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Soyons intransigeants

3 novembre 2016, 14:21

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Habitués que nous sommes de nous mettre à l’abri à la première rafale venue, nous nous plaisons, ou nous complaisons sans doute, à nous barricader des vents mauvais derrière le paravent de notre petite cuisine où nous continuons à tourner notre petite soupe dans notre petite marmite devant notre petit feu. Toujours ce culte de la mémoire courte. Ainsi, un scandale en chasse l’autre. «Ah les cons», entendons-nous alors murmurer du grenier où se frottent les mains des petits bonshommes censés privilégier le bien commun, la bonne gouvernance, l’égalité des chances, la méritocratie et tutti quanti. Et tant pis pour la banalisation du mal. Demain sera un autre jour. Nous aurons bien un autre filet tout aussi saignant à nous mettre sous la dent, une autre patate bouillie à écraser, d’autres navets à glisser au fond de notre gosier. Mais voilà : il arrivera un jour où notre appétit de court terme se retournera contre nous. Ainsi, notre petite marmite débordera, notre petit feu s’éteindra et notre petite cuisine sera empestée d’effluves indigestes. Il nous ne restera alors qu’à courir au grenier, chasser ces méchants petits bonshommes, afin d’y loger d’autres petits bonshommes aux discours plus alléchants sur la forme car l’urgence de la situation ne nous permet pas de prendre le temps d’en juger le fond, la substance. Nous retournerons alors au salon, soulagés, avec la conscience claire. Car, voyez-vous, ce n’est jamais de notre faute.

En attendant, vautrés au fond de nos canapés-mammouth, mains croisées sur un ventre repu, nous guetterons notre boîte à images en nous délectant d’avance d’un nouvel épisode. Déjà, au générique de celui-ci, nous chasserons de nos mémoires les scénarii antérieurs après avoir, d’un désinvolte coup de pouce, zappé sur le si-vous-avez-manqué-les-épisodes-précédents. Oubliés alors les nominations faisant fi de l’égalité des chances, les mises sous l’éteignoir d’institutions créées pour combattre toute forme de discrimination, les honoraires scandaleux des cousins-beaux-frères, les affres du conflit d’intérêts, les dérives monarchiques sur fond d’escroquerie électorale, les promesses non-tenues, les braderies d’entreprises B haïes, le non-respect des droits à la propriété, les atteintes aux libertés individuelles, les millions jetés par les fenêtres pour des projets morts sans héritage, les allocations de contrats raffinés aux coteries d’Albion, les alphas et les omégas de transactions cliniques mais douteuses, les ministres mis en examen pour des bals hauts en couleurs payés de sous bannis, les valises de scheiks sans provisions acheminées par jets privés, les chauffards-dépités bleus de peur qui mentent aux forces de l’ordre mais qui, aujourd’hui, en rient et les grandes manœuvres à haute pression, aussi suspectes qu’intéressées, qui éclaboussent plus qu’elles ne nettoient et qui délestent certains autant qu’elles enrichissent d’autres. Nous arriverons même demain à minimiser les secousses ressenties dans la carlingue de notre fleuron aérien par l’évincement scandaleux et révoltant d’un mec pillé et broyé à l’issue du dernier feuilleton politico-médiatique. Ça vole bas.

Notre indulgence bon public nous poussera aussi, sans doute, à pardonner le mauvais jeu de certains acteurs mettant en scène des personnages qui ont la faculté de nous faire tout accepter aujourd’hui et gober son contraire demain. De même, nous n’aurons aucune peine à supporter que les ennemis d’hier soient devenus les amis d’aujourd’hui. Une série télé est une fiction, après tout, dirons-nous. Mais nous occultons le plus important : notre vie n’en est pas une. Et l’avenir de nos enfants ne se joue pas.

Pour que cet avenir soit durablement tracé dans la pierre, une introspection sur nos comportements et notre culture est indispensable : pourrons-nous encore longtemps rester les spectateurs de notre destin et ainsi être inlassablement tributaires du prochain scénario d’alliances que nous imposerons les leaders de nos incontournables partis politiques ?

Contrairement au scepticisme qui habite certains, nous sommes de ceux qui persistent à croire que Paul Bérenger est un patriote respectueux des principes fondamentaux de la démocratie. L’appel qu’il a solennellement lancé à son ancien camarade de lutte, pour que ce dernier délaisse sa tentative de passation de pouvoir en cours de mandat, repose sur un postulat, a priori, fort louable : le poste suprême ne s’hérite pas ; il se gagne par le scrutin populaire. Ainsi, Paul Bérenger souhaite ardemment que le vote soit rendu au peuple et qu’accessoirement SAJ sorte par la grande porte de l’Histoire. Afin que les plus rétifs ne puissent pas subodorer ne serait-ce qu’un iota d’opportunisme dans la démarche du leader du MMM – car elle peut être perçue comme une légitimation première ministérielle, bien qu’en suppléance, de Pravind Jugnauth –, il revient à Paul Bérenger de pousser sa logique jusqu’au bout : tenir sa promesse d’affronter seul les prochaines législatives. Et non pas se transformer, une fois de trop, en faiseur de rois. Rendre le vote au peuple, c’est lui donner le libre choix. Et non lui imposer un système bipolaire où s’affronteront encore deux alliances concoctées par des leaders, pour des leaders. D’autant plus que le feuilleton «Ennemis hier, amis demain» n’est pas suivi par la jeune génération. Celle-ci préfère zapper sur la chaîne «Courage» et ainsi laisser ce feuilleton ringard et dépassé à papi et à mamie.

Le 6 octobre, sous le titre «Chacun pour choix», nous dénoncions la restriction du libre choix que fomentent les jeux d’alliances et écrivions, entre autres, ceci : «Pour la liberté de choix auquel a droit un peuple et pour le respect des règles démocratiques, il est donc réconfortant d’entendre les leaders du Parti travailliste et du MMM (…) annoncer leur ferme intention d’aller seuls aux prochaines élections législatives. Nous osons espérer que ce n’est point une fanfaronnade de plus ou un enfumage répondant à un climat politique sur lequel flotte encore un épais brouillard. Celui des deux qui gardera le cap et respectera encore demain sa parole d’aujourd’hui sans succomber à la tentation de la facilité prendra de la hauteur aux yeux d’un électorat désabusé et las des regroupements opportunistes et condamnables.»

Nous persisterons toujours dans cette logique. Car il est grand temps que nos politiciens commencent à respecter leur parole et cessent de les ravaler à la veille de scrutins, au nom d’une calculette électorale qui peut parfois flancher, comme elle l’a fait en décembre 2014. Si Paul Bérenger juge salutaire que SAJ sorte dans l’honneur, le moins que l’on puisse faire, c’est de lui souhaiter une sortie tout aussi honorifique. Mais pour cela, il faudrait qu’il ne succombe pas, pour une énième fois, à la tentation de s’acoquiner avec des membres d’un gouvernement qu’il n’a eu de cesse de vilipender. Se montrer intransigeant à ce chapitre, c’est, avant tout, se respecter soi-même.

Faute de contraindre, nous espérons convaincre. Il y a des gens qui ne sont point persuasifs mais contagieux, disait Claudel. Aux jeux d’alliances, nous préférerons ceux des mots. S’ils contaminent, ce sera pour des moindres maux.

 

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