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Manière de voir : Getting away with murder

29 octobre 2016, 10:42

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Manière de voir : Getting away with murder

Assiste-t-on à une détérioration graduelle de l’image des forces de l’ordre ? Cela après la mollesse dont ont fait preuve les autorités à la suite d’une manifestation de Bangladais en 2015 ou de nombreux scandales impliquant des officiers récemment.

L’Histoire post-décembre 2014 doit reconnaître à sa juste mesure le rôle qu’ont joué une centaine d’ouvriers bangladais, un 9 juillet 2015, dans la ville de Vacoas. Ce jour-là, ils avaient manifesté devant la résidence du Premier ministre, sir Anerood Jugnauth, à La Caverne.

C’était à peine huit mois après l’installation du nouveau gouvernement, dont le chef fut présenté durant la campagne électorale comme un Rambo et un faiseur de miracle économique. Rambo, car le Jugnauth qui avait dirigé le pays de 1983 à 1995 était connu comme un homme intraitable (péna katakata ar mwa), n’hésitant pas à faire menotter le syndicaliste Rajpalsingh Allgoo sur son lit d’hôpital alors que ce dernier se déclarait souffrant. Ce Rambo en tandem avec l’autre faiseur de miracle économique, Vishnu Lutchmeenaraidoo, allait ainsi gratifier la population mauricienne d’un deuxième miracle économique.

Ce 9 juillet 2015, les ouvriers bangladais, sans le savoir, ont écorné l’image de gouvernement fort et implacable de l’équipe qui avait botté Ramgoolam hors du pouvoir. En effet, ils ont pu manifester et scander des slogans hostiles sans être nullement inquiétés par la police. Un tel geste d’hostilité devant la résidence privée d’un chef de gouvernement constitue en fait une entorse aux normes politiques du pays. On manifeste à Port-Louis, au Champ-de-Mars, devant l’hôtel du gouvernement, certains osant même le faire le jour où siège le Parlement. Mais on respecte les résidences privées.

Dans les années soixante-dix, des éléments hostiles qui voulaient manifester devant la résidence de Paul Bérenger, à la rue Tristan d’Avice, à Quatre-Bornes, furent pourchassés par une équipe de travailleurs du transport menés par un syndicaliste connu. Vers la fin des années quatre-vingt-dix, quand Harish Boodhoo annonça une manifestation devant la résidence de Jugnauth àLa Caverne, son homme fort d’alors, Dinesh Ramjuttun, s’amena sur les lieux avec une armée de partisans MSM du n°5. On ne vit même pas l’ombre de l’homme de Belle-Terre à La Caverne.

Aucune crainte de sanctions

Loin d’être importunés, ces Bangladais manifestant devant la maison des Jugnauth finirent par imposer leur volonté sur le gouvernement qui accepta de prendre des mesures contre leur employeur. Avec le Jugnauth-Rambo des années quatre-vingt-dix, tous ces manifestants bangladais se seraient retrouvés dans le premier avion en partance pour l’Asie.

Cette mollesse démontrée des autorités devant les Bangladais allait se manifester partout dans le pays. On constate ainsi que les Mauriciens respectent de moins en moins l’autorité de la police. On agresse des hommes en uniforme, on saccage leurs véhicules. On croirait les réflexes automatiques des gens n’ayant aucune crainte de s’exposer à des sanctions. Le comportement des conducteurs de véhicules et des motocyclistes est symptomatique du même phénomène, c’est-à-dire on se moque bien des règlements et de l’autorité. On assiste à une détérioration graduelle de l’image des forces de l’ordre. Comme les policiers dans les films indiens d’antan, nos gabelous ne tarderont pas à devenir des objets de dérision.

Les seuls moments d’efficacité policière se sont produits lors des arrestations d’hommes politiques et d’avocats contre qui le gouvernement a adopté une attitude musclée. Les arrestations suivies de comparution en cour et d’incarcération ont été menées avec un acharnement qui ne fait pas honneur à la police d’un pays démocratique. Mais puisque ces arrestations et ces accusations ont souvent échoué à l’épreuve du judiciaire, la police agit avec plus de prudence maintenant. Que la police ait agi d’après des directives données par des politiciens, ce fait reste incontestable.

Tout comme reste incontestable la mainmise du clan Jugnauth sur la structure supérieure de la police. La nomination de Mario Nobin reste largement un token, une mesure cosmétique visant à alimenter la propagande que le gouvernement pratique vraiment l’égalité des chances et n’agit nullement d’après un agenda communal ou castéiste. La vérité, c’est que l’échelon supérieur de la police et les unités spécialisées sont graduellement accaparés par le clan apparenté à la famille «royale» du pays. On s’est débarrassé de Vinod Appadoo, un homme d’action qui aurait fait un excellent commissaire de police après le retrait de Mario Nobin. On lui a confié l’une des institutions les plus pourries du pays, le service pénitentiaire. On a aussi marginalisé Khemraj Servansing, le commandant de la Special Mobile Force, un homme cool et élégant qui mérite déjà, ne serait-ce que sur la base de l’ancienneté, le poste du n°1 de la police.

Cet accaparement politique à la tête de la police pourrait bien expliquer le comportement du député Mahen Jhugroo, qui s’est permis, la semaine dernière, de défier un ordre de la police. Une foire se déroulait à Mahébourg et des policiers avaient interdit à des marchands ambulants d’opérer dans les environs. [Voir : http://ow.ly/LvaK305D8bh]

Le député a pris à partie un officier de police. En principe, dans une telle situation, la police engage des poursuites contre ceux qui défient son autorité ou insulte ses officiers. Deux plaintes ont été déposées contre le député par des officiers de police. Attendons voir la réaction du CP Nobin dans ce cas précis. Membre du clan des Jugnauth, le député MSM pourrait, dans quelques mois, voir son cousin Krishna accéder au poste de commissaire de police. Cet officier de police a été récemment placé sur le tapis roulant des promotions accélérées, n’attendant plus que le token Nobin soit éjecté suivant un incident ou poliment débarqué le temps venu.

C’est dans ce contexte de mainmise familiale que les Mauriciens prennent connaissance, presque chaque jour, d’un événement choquant impliquant des membres de la force policière. Le seuil du scandale public est régulièrement dépassé. Mercredi soir, un policier a été arrêté avec une cargaison d’héroïne valant Rs 35 millions. Comment ce jeune a-t-il pu avoir la permission de ses chefs pour aller faire du tourisme à Dubaï ? Ensuite pour faire un séjour de trois jours à Madagascar ? Un policier de 25 ans pourrait-il s’offrir un tel train de vie ? Or cela n’a pas éveillé les soupçons de ceux censés approuver ses absences.

Limites dépassées depuis longtemps

Ce policier colporteur d’héroïne se joint maintenant à sept autres collègues qui sont eux aussi suspendus pour s’être mêlés à des affaires de drogue. Ils sont 171 policiers suspendus après avoir été accusés de divers délits. [Voir : http://ow.ly/ YzhC305D8ed

Dans d’autres pays aussi, on dénombre des brebis galeuses dans toutes les institutions mais dans le cas de Maurice, on a depuis longtemps dépassé les limites. Comme l’illustre bien le cas de ce membre du corps d’élite qu’on appelle Very Important Personalities Security Unit (VIPSU) le jeudi 22 septembre. [Voir : http:// ow.ly/3wwL305D8gG

La VIPSU assure la sécurité des personnalités locales comme celle des visiteurs de marque dans le pays. Ces agents triés sur le volet et ayant subi une formation poussée dans le maniement des armes et des arts martiaux sont aussi appelés à faire partie de la garde rapprochée des chefs d’État et de gouvernement qui visitent Maurice. D’ailleurs, on les voit derrière ces visiteurs lors des banquets ou prenant place dans la limousine officielle. Nos VIP quand ils voyagent à l’étranger bénéficient, eux aussi, des services de sécurité des pays hôtes. Pour un corps d’élite devant aussi fonctionner à l’étranger, on s’attend que la VIPSU mauricienne se comporte à tout moment de façon irréprochable en observant scrupuleusement les normes les plus rigides de professionnalisme. Avec cet incident impliquant un membre de la VIPSU actuelle, quelle confiance vont faire les visiteurs étrangers à cette unité d’élite de la police ? Dans un pays avancé, le chef de l’unité étant moralement responsable aurait soumis sa démission aussitôt ce membre arrêté. Cependant, quelqu’un a déjà confirmé: government is government and government decides. À partir de ce grand principe de gouvernance, est-il nécessaire de faire remarquer que cette unité est dirigée depuis les dernières élections par quelqu’un qui fait partie du clan de la famille «royale» ?

L’officier de la VIPSU arrêté n’était pas seulement membre d’un corps d’élite mais était surtout affecté à la résidence du Premier ministre lui-même. Un posting prestigieux qui prouve que l’officier n’était pas un «n’importe». Théoriquement, si un membre de la garde rapprochée du chef du gouvernement est incapable de se comporter de façon irréprochable, il crée une vulnérabilité qui pourrait s’avérer extrêmement dangereuse dans une situation de crise.

Les problèmes à la police ne sont que des symptômes d’un grand malaise qui ronge le pays. Les autres symptômes s’appellent Omega Ark, Stree Consulting, Mary Jane Yerriah, Petredec, Youshreen Choomka, Kailash Trilochun, Naila Hanoomanjee, Mike Seetaramadoo. Après Omega Ark, le gouvernement aurait dû limoger tous ceux qui sont responsables d’avoir manifesté une telle incompétence dans la gestion d’avoirs qui ont été bien sûr saisis de la BAI et qui appartiennent maintenant à l’État. Or, ils sont tous en poste. Les éléments pourris de la police n’ont aucune raison de s’inquiéter outre mesure de leur avenir. Il est possible dans la nouvelle île Maurice de get away with murder.