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Vers une nouvelle organisation du pouvoir

2 septembre 2016, 15:00

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Vers une nouvelle organisation du pouvoir

 

La tournure des événements autour du projet Heritage City est la toute dernière illustration, s’il en fallait une, non seulement que le pouvoir est traversé de différents courants, mais que se précise aussi la nature double de sa direction. Des signes qui nous font penser à quelque mutation profonde dans le partage des responsabilités de ceux chargés de la gestion des affaires du pays. Se met en place, de manière graduelle mais certaine, une nouvelle organisation du pouvoir au sommet : phénomène quasiment inconnu du système politique mauricien jusqu’à présent, mais dont les contours se dessinent ces jours-ci avec plus d’insistance. En témoigne, le rôle accru du ministre des Finances par rapport à ses pairs. À cela s’ajoute l’alignement d’un Premier ministre (PM), que l’on connaît tranchant, aux vœux de ceux qui l’entourent. Deux éléments susceptibles d’augurer de profonds changements pouvant set the trend à un nouveau mode opératoire, une nouvelle structure et organisation du pouvoir exécutif. Les futures alliances électorales vont peut-être s’en inspirer.

La pratique à ce jour

Depuis l’indépendance du pays, l’essentiel du pouvoir exécutif a été entre les mains du chef du gouvernement, le PM. Le gouverneur général, et plus tard, le président de la République, avec des prérogatives clairement limitées par la Constitution de Maurice, s’attelaient à des fonctions ayant un cachet plus honorifique que déterminant. Depuis toujours, le PM dans le système gouvernemental mauricien, comme dans celui du Royaume-Uni, est omnipuissant. Il a un contrôle effectif sur ses ministres, et donc, sur l’exécutif. Et puisque dans un tel système, l’exécutif contrôle le Parlement, le PM est appelé à être seul maître à bord, contrôlant tout dans le pays, sauf bien entendu, le judiciaire.

Le pouvoir sans partage du PM est un trait fortement établi dans notre système politique. Il en est ainsi depuis un demi-siècle, comme il l’a été chez les Britanniques pour plus longtemps. C’est un système qui se maintient malgré les critiques, entre autres, pour ce côté autocratique déguisé qu’il renferme.

La parenthèse de 82

Sur le plan local est inter- venue une brève parenthèse en 82, lorsqu’un questionnement sur le centre effectif du pouvoir gouvernemental flottait en toute évidence dans la conscience populaire. On se demandait alors qui du Premier ministre ou de son ministre des Finances était le maître à bord. Ce dernier était leader effectif et historique du parti qui contrôlait la majorité.

L’existence de deux pôles aux pouvoirs mal définis ou légèrement assumés au sein du gouvernement devait tourner au conflit. C’était un clash entre celui qui était le Premier ministre officiellement nommé, et l’autre qui visiblement disposait d’une autorité sur ses pairs ministres. Une cassure intervint quelques mois après. S’il n’y avait pas eu de cassure en 83, l’organisation et le fonctionnement du pouvoir exécutif à Maurice allaient connaître déjà à l’époque une nouvelle orientation comme celle qui se met en place aujourd’hui avec un PM qui délègue de plus en plus et un ministre des Finances assumant des responsabilités accrues.

Le risque de cassure

Si la réorganisation du pouvoir exécutif avait été stoppée par la cassure en 83, par contre, il nous paraît impossible que celle qui se dessine ces jours-ci subisse le même sort : les circonstances étant totalement différentes. Aujourd’hui, règne une autre logique avec un PM qui est aussi le père du ministre des Finances. Sont éloignés donc, les risques de conflits majeurs ou des excès traduisant des ambitions apparentes ou cachées. Au contraire, c’est une logique de préparation du fils à assumer de hautes fonctions qui est en marche. Si le père ne lui cède pas la place officiellement, ce n’est pas qu’il veut à tout prix rester PM. Il a ses raisons propres à lui.

Cette quasi-impossibilité de rentrer en conflit avec son père, va permettre au Grand argentier et leader du parti majoritaire de l’alliance gouvernementale d’asseoir son pouvoir et agir comme le PM de facto. Ainsi, au sein du gouvernement, le centre du pouvoir effectif va progressivement bouger d’un point à l’autre. Ce qui nous amène à dire que nous allons connaître un power shift qui introduira dans notre système de gouvernement le concept d’un Premier ministre de jure : un chef de gouvernement de nom et de droit, et un PM de facto. Bien entendu, certaines responsabilités, telles que celles conférées par des dispositions constitutionnelles et légales, seront toujours assumées par le titulaire officiel du poste.

Utilité pour les alliances futures

L’organisation des pouvoirs qui se dessine ces jours-ci va offrir aux alliances à venir une option pour satisfaire les appétits et ambitions des dirigeants des partis politiques. À ce jour, nous connaissons la formule selon laquelle les partis politiques à une alliance se partagent le poste de président de la République et de celui de Premier ministre. Bientôt les partis politiques pourront aussi se partager le poste de Premier ministre, avec l’un à titre officiel, sur papier et présenté à l’électorat comme tel, et un autre «Premier ministre de fait», soit celui qui, en fait, effectue le boulot mais avec un titre de ministre d’un secteur quelconque. L’option sera aussi valable dans d’autres scenarios : par exemple, dans le cadre du renouvellement de la classe politique, lorsque le leader d’un parti au pouvoir veut préparer sa succession.

Le côté positif

Cette nouvelle formule comportera des vertus non seulement pour ceux que cela arrange politiquement et qui y trouvent leur compte. Elle offre aussi la réplique à ceux qui formulent des critiques à l’encontre des tenants du pouvoir pour absence de leadership au gouvernement et de direction menant à une léthargie dans la gestion des affaires du pays, et à des incohérences dans gestes et discours des ministres. Les auteurs de ces critiques devraient pouvoir accueillir toute démarche qui mettrait fin à un désordre au sommet du pouvoir.

Sans vouloir faire l’apologie de cet arrangement entraînant un power shift, reconnaissons que depuis qu’il se met en place, la population a eu droit à certains signes prometteurs. Des rectifications de tir, à l’instar d’Heritage City, dont nos dirigeants se rendent compte aujourd’hui, relevaient d’une absurdité imposée sur le pays. On peut en espérer d’autres. Déjà les 184 voyages, les Rs 19 millions d’honoraires et autres Yerriah sont décriés. Et si cette tendance se maintenait, il n’y aurait plus de jets privés, plus d’habits de prince, ni de ces nominations insultantes, imposées ou tolérées. Fermée, la porte au ridicule.

Et si on veut se plonger dans le passé récent, le pays aurait pu bénéficier d’une meilleure gestion des affaires Bramer, BAI, ou encore, le DTAT.

Légitimité essentielle

Toutefois, même si certains peuvent trouver dans le power shift une manière de faire avancer le pays, restera la question de la légitimité de toute nouvelle option dans l’exercice du pouvoir exécutif non avalisée par le peuple. Si les prochaines alliances veulent y avoir recours, elles doivent proposer la formule, avec des noms des aspirants aux deux différents postes à l’électorat. Pour que celui-ci puisse choisir en connaissance de cause. C’est pour répondre à une exigence démocratique évidente que l’électeur doit savoir pour quelle organisation du pouvoir, et aussi pour qui voter. Qui sera le Premier ministre honorifique, aux responsabilités réduites, et qui sera cet autre ministre qui jouerait effectivement ce rôle, mais in waiting.

C’est pour la même raison que l’on ne peut changer de PM en cours de route, sauf en cas d’empêchement. Si le cas se présentait aujourd’hui, il serait loisible à l’alliance Lepep d’en proposer un nouveau. Mais nous n’en sommes pas là. Aussi, l’exigence de transparence avant les élections mettrait les partis politiques entrant dans une alliance au courant de ce qui adviendrait en cas de victoire électorale. Plus important encore, le peuple ayant démocratiquement choisi un Premier ministre pour diriger le pays, c’est cette même exigence démocratique qui commande le respect du choix.

La proposition de partage du pouvoir pose un dilemme au peuple : il doit choisir entre légitimité et statu quo. Il a le choix de dire que, n’ayant jamais voté pour un tel arrangement, le Premier ministre qu’il a choisi ne peut confier ses responsabilités à un autre. L’autre choix se résume à laisser perdurer un statu quo dans la manière dont les affaires du pays sont gérées. Gestion, que le peuple lui-même critique.

Il paraît évident qu’ainsi présenté, le choix semble facile. Mais laissons le bon sens guider chacun dans son raisonnement. Évidemment, dans l’un ou l’autre cas, celui qui choisit, court le risque d’être accusé de quelque chose. Dans un cas, il est en train de faire le jeu politique d’une famille, et dans l’autre, il peut être critiqué de ne pas penser au bien commun, ni à ce qui est en train d’advenir à son pays.

C’est un dilemme qui est présenté au peuple, car dans la réalité, il ne peut rien même si la nouvelle organisation se met en place sans son avis. Le Premier ministre a bien le droit de déléguer. Et si dans les faits, les affaires du pays sont mieux gérées, et que la population a le sentiment qu’il y a un gouvernement présent, l’argumentaire en faveur de la nouvelle organisation du pouvoir décrite plus haut se trouvera renforcé. Et surtout, si l’avenir s’accompagne de moins d’incompétence, d’incohérence, d’esprit de vengeance. Et surtout, moins d’arrogance et de suffisance..