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Des dodos comme s’il en pleuvait !

31 août 2016, 07:44

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Par plusieurs articles parus dans les colonnes du journal l’express en date des 25 et 29 décembre 2013, puis le 14 janvier 2014, j’ai tenté, hélas sans succès, d’alerter et informer vos lecteurs comme les autorités concernées, de l’existence de plusieurs ventes aux enchères prestigieuses ayant eu lieu la même année et où figuraient, entre autres, des ossements de dodo.

En effet, mi-novembre 2013, le journal Daily Mail rapportait dans ses colonnes, que deux os de dodo provenant d’une patte et d’un pelvis, devaient être mis aux enchères par Summers Place Auctions de Billingohurst dans l’Ouest Sussex. Dans les commentaires du journal, ils étaient déclarés tous deux en excellent état de conservation. La mise à prix était fixée à £ 30 000, soit la coquette somme de Rs 1 500 000 ! Comme il est dit dans l’article à l’époque, il s’agit de la seconde vente privée d’os de dodo pour l’année 2013. Il y est aussi expressément mentionné qu’aucune vente d’os de dodo n’a eu lieu entre 1934 et 2013… En mars 2013, un autre simple petit fragment de fémur avait aussi été mis à prix pour £ 8 000 lors d’une vente chez Christie’s à Londres. Selon moi, la question méritait alors d’être posée : deux ventes coup sur coup dans les plus prestigieuses salles du Royaume-Uni, alors qu’il n’y en avait eu aucune depuis 1934… Cela donnait à réfléchir. À tout le moins, il convenait d’enquêter afin de pouvoir connaître la provenance de ces vestiges de notre Raphus cucullatus.

Comme le déclarait alors naïvement James Hyslop, directeur du département Travel, Science and Natural History au sein de la très célèbre maison de vente aux enchères Christie’s, située dans le sud de Kensington à Londres, «il est tellement rare pour quelqu’un de tomber sur une parcelle de si grande valeur»… et le directeur d’ajouter, toujours en 2013, que «le dodo est un oiseau qui, au fil des ans, s’est fait une place dans la culture du patrimoine». À savoir justement, que selon le directeur lui-même, la dernière vente d’une pièce rare provenant de cet animal désormais mythique remontait à 1934.

En effet, les ossements de cette ancienne vente de 1934 à laquelle il faisait référence, furent en fait recueillis jusqu’en 1930, année où le marais de la Mare-aux-Songes fut alors comblé, afin d’éviter les risques de propagation de la malaria. Mais le responsable de Christie’s l’assurait mordicus : le fragment d’os de dodo vendu cette année 2013 est... «d’origine parfaitement légitime». Pourtant, des questions concernant l’origine et la légitimité de ce fragment d’os, vendu à plus de £ 8 000 (près de Rs 400 000), avaient alors été soulevées.

Selon le même responsable interrogé à l’époque par l’express, «la vente réalisée en avril dernier provient d’une vieille collection anglaise qui a été réunie au 19e siècle». C’est du moins ce que révélait James Hyslop, le spécialiste scientifique de Christie’s. Il précisait même qu’à travers le monde, il n’y avait qu’une poignée de collectionneurs privés à pouvoir posséder des fragments d’os de dodo.

Si, comme l’affirmait le Commissaire- priseur, il existait encore des familles anglaises propriétaires d’ossements de dodos recueillis lors de la fouille de 1865, comment se pouvait- il qu’une aussi célèbre salle des ventes que Christie’s refusait alors catégoriquement et contre toute logique, de produire le nom des propriétaires qui lui en avaient confié la vente en 2013 ? D’autant plus que Christie’s déclarait étrangement qu’elle n’avait pas pour politique habituelle de divulguer les noms de ses «vendeurs»...

Il est très facile au lecteur de comprendre que ce qui doit justement prévaloir en matière de ventes aux enchères est exactement l’inverse et qu’une salle des ventes digne de ce nom ne peut en aucun cas se retrancher sur l’équivalent d’une sorte de secret bancaire à la suisse, prétextant qu’elle se devrait de protéger l’identité des personnes lui confiant leurs objets… De là à évoquer le délit de recel, il n’y a pas loin !

M. Hyslop déclarait enfin à l’express que les vestiges passés en vente provenaient de la fouille de 1865… l’année de la découverte des ossements de la Mare-aux-Songes par Higginson, employé des Chemins de fer.

En 2013, mon point de vue personnel était que nous ne pouvions pas nous contenter d’une pareille affirmation pour le moins péremptoire et non étayée, il nous fallait des preuves… Mais le gouvernement mauricien n’entreprit absolument rien pour récupérer cet héritage national. Étrange me direz-vous? Normal, si l’on connaît Maurice.

Le Mauritius Institute, devenu le National Museum’s Council, est pourtant, et de loin, l’institution en possession du plus grand nombre d’os de dodos au monde, environ 3 000 ! Multipliés par 15 000 livres sterling, cela nous donne £ 45 millions. Soit, tenez-vous bien, Rs 2, 2 milliards. Voilà désormais l’équation ! C’est aussi simple que cela…

Pourquoi revenir sur ce sujet aujourd’hui, sachant qu’il y a deux ans, rien ne fut entrepris pour recouvrer ces biens culturels ? Figurez- vous que le journaliste Harry Cockburn, dans le journal Independent, en date du 25 août 2016, annonce ostensiblement la future vente en novembre prochain, d’un dodo entier, reconstitué à 95 %, ce qui le rend, au passage, plus complet que tous ceux existant à ce jour. Il informe que ce squelette «comes from a private collector who bought the majority of the bones in the 1970s and 1980s. By the early 2000s he realized he had enough bones to construct a skeleton, only lacking part of the skull and one set of claws, both of which have been reconstructed to complete the skeleton for the sale». Eh ben voyons! Aussi simple que cela !

«À entendre les responsables de la future vente, se procurer des os de dodos dans les années 70 aurait été aussi simple que de faire son marché sur E-bay aujourd’hui.»

Aujourd’hui, le directeur de la salle des ventes concernée, qui n’est autre que la même Summers Place de la précédente vente de 2013, (a Sussexbased specialist in natural history auctions) déclare quant à lui : «The rarity and completeness of this specimen cannot be over emphasised, and it provides a unique opportunity for an individual or an institution to own a specimen of this great icon of extinction. Et d’ajouter sans complexe : The majority of auction estimates are based on precedent of similar pieces being offered, which is impossible in this case, so given its rarity and desirability, we are anticipating an auction price in the region of a high sixfigure sum.» Les dés sont jetés.

Le journaliste Harry Cockburn de conclure l’article de l’Independent : «The last time an almost complete dodo skeleton was available was in 1914, when a skeleton was sold to Cardiff Museum, which paid £350 for the remains. Summers Place Auctions estimates that would be roughly £5m today.» 5 millions de livres sterling d’aujourd’hui, soit la somme de Rs 250 millions ! Cela laisse pantois.

Le hic : Dans un second article publié dans le County Times, West Sussex, sous la plume de Sarah Page en date du 28 août 2016, celle-ci n’hésite pas à citer Errol Fuller, le ‘conservateur’ de la vente de Summer’s Place : «Dodo skeletons are extremely rare. It is currently owned by a private collector who has bought bones from private collections and auctions for decades. He spent years adding to his collection which he started in the 1970s and it was only in the early 2000s that he realized he had enough bones to construct a skeleton. He then meticulously reassembled them to create as complete a specimen as possible.» Quelle perspicacité, n’est-ce pas ? Sans jeu de mot, la plume m’en tombe.

En peu de lignes, voilà une version qui en dit long… Premièrement parce qu’elle contredit les informations données par Christie’s en 2013 à l’effet qu’aucune vente d’ossements n’avait eu lieu dans le monde depuis 1934. C’était une fierté de la célèbre salle des ventes londonienne qui s’en servit alors comme principal argument de vente !

D’où proviennent donc les ossements dont parle Errol Fuller et qui sont censés avoir été acquis méticuleusement, avec patience et dévotion dans les années 70-80 par ce collectionneur tout à la fois génial et fortuné, aujourd’hui à même de pouvoir reconstituer un dodo entier ! Si, selon Christie’s, il n’y a eu aucune vente entre 1934 et 2013, comment prétendre que le squelette entier aujourd’hui en vente a pu faire l’objet d’achats avisés, nombreux et ponctuels, d’ossements épars lors de ventes qui n’ont, de fait, jamais existé ?

CQFD... Nous l’affirmons ici haut et fort, la Maison Summers qui s’apprête à vendre un squelette de dodo entier en novembre prochain, a menti. Les ossements en question ne proviennent pas de ventes licites puisque ventes il n’y eut jamais et sont donc d’origine plus que douteuse, faisant sans doute l’objet d’un trafic international aussi juteux qu’immoral et cela, sur le dos de notre pays, la République de Maurice. Il est plus que temps de diligenter des démarches juridiques visant à empêcher ou annuler ces ventes et obtenir le rapatriement de ces biens culturels de la plus haute valeur, que seule l’île Maurice devrait pouvoir s’enorgueillir de posséder.

Un commerce odieux a lieu en ce moment, impliquant des trafiquants et des réseaux qu’il convient de démasquer. L’île Maurice se doit de lancer une commission rogatoire ayant pour but affiché d’arrêter cette vente dont l’origine des biens vendus est plus que douteuse afin de rapporter ce qui se devra d’être restitué en bonne et due forme au pays.

Comment oser affirmer qu’un collectionneur, savant érudit, aurait pu s’avérer suffisamment calé pour pouvoir reconstituer un squelette entier par lui-même ? À moins d’imaginer en toute logique, que le squelette en vente ait pu se voir reconstitué ni plus ni moins que par des paléontologues eux-mêmes. L’enquête seule pourra le dire, si toutefois, les autorités d’aujourd’hui s’avèrent plus capables d’entreprendre quoi que ce soit pour recouvrer des biens qui reviennent aux institutions culturelles de notre pays. Y seront-elles seulement sensibles? Peut-être, comme à l’accoutumé, s’enorgueilliront-elles du montant de la vente une fois qu’elle aura eu lieu ?

Aujourd’hui, serait-il possible, à travers Interpol ou, mieux encore, une commission rogatoire, d’exiger de la salle des ventes concernée par ces enchères sur des ossements de dodo, de dévoiler l’origine exacte et détaillée de ces vestiges et de donner le ou les noms des anciens propriétaires en remontant dans le temps ? À entendre les responsables de la future vente, se procurer des ossements de dodos dans les années 70 aurait été aussi simple que de faire son marché sur E-bay aujourd’hui. Un métatarse par-ci, un tibia par-là, juste une question de patience, somme toute…

Dans cette affaire, il y va d’une certaine idée de notre souveraineté, sans quoi, demain, nous ne tarderions pas à voir apparaître ou malheureusement s’amplifier, un trafic aussi odieux que juteux, se faisant sur le dos de notre patrimoine mauricien qui, il est vrai, se trouve ici même peu pris en compte, mais qui s’avérerait, à l’étranger, une véritable poule aux oeufs d’or… Pauvre dodo ! De colombiforme, le voilà devenu gallinacée. Un comble, pour un Français devenu Mauricien.

Un meilleur suivi de ces ossements et de leur état serait le moins qu’on puisse faire, faute de quoi, ne nous étonnons pas qu’en fait de dodos, nous ne devenions purement et simplement que les dindons de la farce ! Nous nous faisons plumer par Rs 500 millions et nous ne le savons même pas, ou pire, le sachant, nous nous laissons faire sans broncher ! À lire les journaux de bord hollandais et contrairement aux idées reçues, le dodo, au moins, lui, se défendait bec et ongles et vendait chèrement sa peau ! De fait, un négoce du patrimoine mauricien a bel et bien lieu, à 11 000 km de nos frontières et sans aucune garantie de transparence… Les montants concernés s’élevant désormais à des millions de livres sterling, ces ventes d’un tout nouveau genre paraissent, de fait, guidées par le seul appât du gain.

Laisserons-nous faire ce type de sordide trafic parfaitement odieux sans broncher ? Si notre dodo figure bien sur nos armoiries nationales, serait-ce pour, aujourd’hui, fermer les yeux sur ce qui préfigure une dilapidation de notre patrimoine le plus cher ? Sans compter que d’autres pays comme Madagascar, notre voisin, sont euxaussi touchés. Lors de cette même vente de 2013, un oeuf d’Aepyornis maximus, l’oiseau le plus grand que la terre ait porté, fut également mis en vente. Allons-nous laisser faire ces crimes pratiqués sur le dos de notre patrimoine sans broncher ? Et comment qualifier ceux qui s’y adonnent en toute impunité, prenant un malin plaisir à dépecer notre patrimoine comme d’autres rapportaient autrefois chez eux des défenses d’éléphant, fiers trophées de chasse arborés avec ostentations dans leurs salons cossus.