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Le défi de Pravind

21 août 2016, 08:31

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Le défi de Pravind

 

Le politicien professionnel est-il dépassé ? Caduc ? Certains le pensent fort. Très fort même ! Le problème, voyez-vous, c’est que le politicien faisant carrière en politique n’a, en fin de compte, et bien trop souvent, qu’un seul but dans la vie : arriver au pouvoir et/ou y rester. On imagine bien pourquoi. Si, pour ce faire, il faut promettre trop, parler exagérément de «sauver le pays», noircir le bilan de son adversaire au-delà du raisonnable, mentir, s’allier avec le diable et passer un temps déraisonnablement long à satisfaire son ego ou à rendre des coups quand ce même ego est meurtri par des tiers, pas de problème ! On y va ! Et vogue la galère !

J’ai reçu, ce vendredi, un appel déchirant de Wesley, maçon de son état, qui cherche du travail. Que je sache, ni «zougadere», ni paresseux, il a une épouse, un foyer, un gosse. Pas pour lui, l’idée d’aller dans un Citizens Advice Bureau ou de demander une allocation  chômage. Il veut juste travailler. Au pays du «miracle économique», est-ce trop demander ? Y a-t-il un seul ministre, député, représentant municipal, bureaucrate d’État capable de l’aider concrètement ? Ou sont-ils tous immergés dans les comités qu’ils ont «mis diboute», derrière leurs grandes assiettes de fritures et leurs tasses de thé, produisant procès-verbaux et propos persifleurs, analysant les dernières lettres anonymes et les moyens de caser quelqu’un de leur coterie ou de leur «fami» ? Ou peut-être sauront-ils couper quelque ruban, ânonner un discours, savourer la flagornerie de ceux qui les entourent et jouir de leurs sièges en cuir, blottis au fond de leur «BM» ?

Je n’en sais trop rien. Ce qui est sûr, c’est que la «démocratisation de l’économie» de l’autre a souvent ressemblé à du favoritisme, parfois bien emballé, parfois patent et que la bande du «2e miracle économique» qui nous promettait «la méritocratie»  (page 6 du manifeste électoral de Lepep-novembre 2014), de ne pas «persécuter les opposants du régime» comme leurs adversaires le faisaient (page 5) ou de gouverner «pour le peuple, avec le peuple et dans l’intérêt de toute la Nation, pas pour nous, ni pour un petit groupe d’amis, d’agents politiques, de copains ou de copines» (page 7) se ressemblent décidément beaucoup. C’est vrai que le fait d’être au gouvernement du jour n’ouvre pas que des occasions ! En étant aux affaires quotidiennement, il est ainsi inévitable que leurs décisions soient d’actualité et que celles du pouvoir précédent s’estompent avec le temps… Les premiers mois, grisants et faciles, où l’on pouvait presque totalement assouvir l’attente du peuple en déshabillant le gouvernement fraîchement mis à la porte, sont loin derrière nous. La population n’oublie pas mais, avec raison, voit au-delà des coffres de Navin, de Soornack et de Gooljaury, de Dufry ou de Sungkur car cela ne répond pas à SES espoirs de vie meilleure, d’emploi, d’un toit, d’enfants qui auront un  avenir amélioré.

«Des proches du pouvoir admettent, assez facilement maintenant, qu’il y a erreur sur la marchandise promise et vendue en décembre 2014. Ils en sont au stade où ils rationalisent en disant ‘oui, mais ils ont fait pareil avant’ (…)»

Des proches du pouvoir admettent, assez facilement maintenant, qu’il y a erreur sur la marchandise promise et vendue en décembre 2014. Ils en sont au stade où ils rationalisent en disant «Oui, mais ils ont fait pareil avant» ou encore «Oui, mais pas au même degré !»  Si c’est là le raisonnement généralisé, même au plus haut sommet (je n’ai aucune prétention, ni possibilité, de savoir ce qui se pense si haut et ne puis donc que juger «sur pièce»), ils sont foutus ! En évoquant les précédents gouvernants ou le degré relatif de leurs fautes et de leurs manquements, ne réalisent-ils pas qu’ils concèdent déjà les principes sur la base desquels ils ont demandé un mandat (méritocratie, justice sociale, approfondissement de la démocratie, le citoyen d’abord), admettant ainsi qu’ils ont menti et invitant à les botter dehors à la prochaine occasion, comme leurs prédécesseurs ?

Il y a quelques signes timides que Pravind Jugnauth souhaite peut-être mieux. Son intervention pour freiner la boulimie de voyages (et de per diem) de ses ministres est bienvenue. Sa détermination à juger Heritage City sur ses mérites plutôt que sur son aura de legs pharaonique au peuple qui n’en a ni besoin, ni envie, a été notée. Positivement. Sa tentative de lancer un plan Marshall qui pourrait enfin mettre fin à la misère noire de certaines familles (si tant est que ses bureaucrates jouent le jeu) était attendue. Il tente ainsi d’adopter une posture d’homme d’État plutôt que de chef de parti et c’est encore mieux si c’est sincère. Mais il ne peut pas ne pas voir que sa Bérézina à lui se situera dans le quotidien de son gouvernement, à stimuler l’économie pour tous, à pratiquer ce que Lepep a promis fin 2014, à cesser de voir perdre du temps en règlements de comptes futiles et coûteux, à créer un appareil d’État beaucoup plus productif et utile, à mieux former la population pour les défis de demain, à bannir, à la fois, le parasitisme et les grosses têtes. Et il verra alors que s’il y a de multiples courants dangereux qui l’attendent dans sa Bérézina, il y a, au-delà de ces tranchées partisanes et intéressées, des multitudes de citoyens et d’électeurs qui ont cru au changement de 2014, dont les espoirs s’effritent face au choléra qui les accable et qui veulent encore croire à mieux que le retour de  Navin la peste.

Pravind sera-t-il toujours un politicien de carrière ou, désormais, un homme de conviction ?