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Budget : réalités et vision

10 août 2016, 10:50

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Budget : réalités et vision

 

À Maurice, la présentation d’un Budget est synonyme d’une attente des opérateurs économiques, des fonctionnaires et de la population dans son ensemble. Cependant, depuis des années le Budget est surtout un exercice de relations publiques vantant des termes supposément à la mode ou pour entretenir l’illusion d’un lendemain meilleur. Tout le monde s’y met, des auditeurs/comptables, économistes ou courtisans d’un jour. Le Budget de cette année n’y échappe pas.

Qui se souvient des mesures du Budget 2014/2015 ? Les termes à la mode l’année dernière n’y sont plus, par exemple, l’occurrence du mot «Africa» dans le texte est significativement réduite. L’Afrique ne serait-elle plus l’eldorado qu’on voulait nous vendre ? Ce sont pour ces raisons que le Budget doit rester uniquement un exercice comptable. La politique économique et les arbitrages doivent être la prérogative du Premier ministre en collaboration avec son ministre des Finances. Sa responsabilité doit être engagée aussi.

Essayons d’analyser les grandes tendances de ce Budget. Faisons l’hypothèse que je suis David Ricardo, et je me retrouve à Maurice en 2016. Je constaterai que la croissance de l’économie connaît une situation assez unique. Le pays a une dette significative pour un revenu par tête intermédiaire, un déficit budgétaire proche ou supérieur à sa croissance, une balance commerciale structurellement déficitaire et une inflation essentiellement importée avec une productivité basse voire volatile et une dépense publique croissante. Paradoxalement, l’État semble beaucoup plus enclin au risque que le secteur privé. Il est actif dans des domaines où son efficacité est à démontrer. Le pays a un taux d’inactivité important chez les jeunes.

L’indice SEMDEX regroupant les Blue Chips locaux a peu évolué, les grandes compagnies sont les mêmes, démontrant que la structure industrielle du pays est basée sur la rente. La théorie économique enseigne qu’une population active croissante et une productivité/innovation sont les paramètres pour accroître la croissance potentielle. En suivant ces deux facteurs, tout bon gestionnaire s’ingéniera à augmenter le capital d’un pays grâce à ses infrastructures et adaptera constamment sa machine de production aux réalités du monde.

Du point de vue des économistes, l’élévation du niveau de formation constitue une source de croissance plus intéressante (...) Le Budget contient-il les réformes favorisant ces paramètres ? Sachant l’importance du poids d’un gouvernement et la nature changeante de la population mauricienne, il est réaliste de dire que la fenêtre pour enclencher les réformes favorables de tout gouvernement fraîchement élu est de deux ans. Une période qui se caractérise par un capital politique que tout gouvernement doit s’empresser de profiter pour mettre en oeuvre les grandes réformes. Malheureusement, les deux ans sont terminés et le pays connaît des affaires qui polluent la réalisation des réformes.

Le secteur financier, qui a bénéficié de son activité offshore, subit cette année le risque de régulation des grands pays occidentaux et aussi de l’Inde qui veut capter les revenus fiscaux sur des investissements sur son marché domestique. Les mesures annoncées pour la finance tournent autour de l’arbitrage sur des segments spécifiques.

Je vois mal comment une banque d’investissement de réputation standard viendra à Maurice. Parce qu’il existe une méconnaissance de ce qu’est la finance de marché à Maurice. Pour attirer, disons Goldman Sachs, il faudra disposer d’un capital humain de haut niveau, d’un marché financier digne de ce nom, de banques et d’assureurs qui participent à la liquidité des marchés, un savoir-faire dans le domaine des fusions et acquisitions, des sources de financement alternatives – Private Equity, Business Agnels, Fonds Activiste –, d’un régulateur doté d’une expertise solide, qui encourage la prise de risque, tout en jouant son rôle, d’institutions prônant la transparence et surtout d’un écosystème permettant l’innovation au sein de l’industrie financière. La taxe en est une composante mais elle n’est pas la seule. Le marché de la dette est un paramètre essentiel pour développer son marché financier car tant que l’intermédiation entre l’investisseur, le preneur de risque, l’entrepreneur et le spéculateur sera faible, aucun marché financier ne pourra se développer. L’activité de Market Making y est essentielle, la vente à découvert et la gestion collatérale aussi.

MARCHÉ OPPORTUN

Je note la création d’un marché de dérivés, avec un investissement initial de 50 millions de…. Roupies. Pour développer un marché de dérivés sur les matières premières, il faudra développer le règlement livraison, se doter d’un port ayant une capacité sans commune mesure à celui qu’on a aujourd’hui. Il serait plus judicieux de faire coter sur de grands marchés des titres ou des produits plus complexes ayant des actifs mauriciens sous-jacents. On pourrait donner de la visibilité à des sociétés locales et créer une liquidité initiale que l’on ramènerait à Maurice quand la création d’un marché sera opportune.

Le reste des mesures sont des initiatives pour encourager l’investissement non productif. Pourquoi attirer de grandes fortunes sans savoir quoi faire de l’argent ? Maurice n’est pas essentiel pour investir dans des fonds BlackRock, d’où l’importance d’un marché financier local dynamique. Les pistes à explorer doivent être la monnaie électronique et la BlockChain, et pour doper la croissance, il faudrait importer des talents étrangers pour enclencher un transfert de connaissances. Bâtir un secteur financier de réputation régionale ou mondiale demande du temps, de la vision. Et seuls les centres de profits seront en mesure de le faire. Les activités connexes seront toujours un élément important mais secondaire.

L’activité industrielle a comme principal client le marché domestique. Certes, Maurice veut être un acteur majeur dans le secteur des services mais les secteurs manufacturier et agricole ne sont pas à négliger ; si on veut se prémunir de l’inflation alimentaire importée, il est judicieux d’avoir une autonomie alimentaire. Le développement du secteur industriel dépend des différents modes de financement offerts aux dirigeants. Le crowdfunding et la microfinance doivent faire partie des services qu’offrent les banques et d’autres acteurs. Les PME sont la base de la vigueur des exportations d’un pays. Malheureusement, le pays est chroniquement déficitaire ce qui démontre que notre pricing power est limité. Au lieu de faire des business parks ou créer des organismes publics, il faudrait développer la force de vente des PME/PMI, définir comment on attaque un marché, identifier les salons où il faut être (...). Ce Budget essaie de donner un cap à ces sociétés mais pour avoir des PME-PMI dynamiques, il faut les faire «chasser en meute», regrouper ces acteurs pour fournir aux futurs clients les contacts, les services offerts, un point sur la régulation, l’avantage comparatif pour travailler avec des sociétés mauriciennes, entre autres.

Le poids du secteur de la construction est tel qu’il faut se demander comment les investissements massifs dans ces projets auront un impact sur la croissance potentielle. Une ligne Metro Express pourrait décongestionner les routes. Comment l’État financera-t-il ces projets ? La question d’une taxe sur les propriétaires fonciers (Land Value Tax) ne doit plus être un sujet tabou. Or, le mode de financement sera encore une fois la dette. Il aurait été astucieux d’allouer une partie des investissements dans ce secteur à l’amélioration de l’ensemble des savoirs techniques et organisationnels qui permettent de produire plus avec moins de facteurs de production (...).

TRANSFORMER L’ÉCONOMIE

Pour augmenter sa croissance, il faut anticiper les grands changements de l’économie mondiale. L’«Ubérisation» sera une réalité dans les secteurs comme la banque et l’aviation. Ce Budget en fait peu mention ; en développant ou incitant les acteurs économiques à faire de l’immobilier, une cannibalisation s’opérera avec un arbitrage hôtel-location pour les touristes (...). Pour le comprendre,il faut imaginer le passage d’un modèle qui tire sa valeur de l’écosystème qu’il permet de construire. Pour encourager ce développement, il faut adapter notre politique fiscale (...).

Ce Budget, certes, ouvre des pistes pour transformer l’économie mauricienne mais les fondamentaux restent fragiles. Son application dans sa forme actuelle sera difficile voire impossible. Nos principaux partenaires commerciaux se replient sur eux-mêmes et les grands pays croulent sous les dettes. Les taux à 10 ans sont négatifs dans une large majorité du monde développé, la globalisation fait baisser les prix mais accentue les inégalités si l’économie en question est positionnée dans une gamme intermédiaire voire basse. Dans cet environnement, Maurice devra s’adapter, s’ouvrir vraiment aux compétences étrangères, faire des coupes budgétaires dans le déploiement de l’État providence, constamment adapter son appareil productif, réformer son secteur éducatif et l’apprentissage technique. Cela demande du courage politique et une notion forte de la responsabilité personnelle à tous les niveaux.