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La soie versus le droit

27 juillet 2016, 07:30

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Il fut un temps où la soie, fabriquée par la chenille du bombyx du mûrier, était si précieuse qu’elle pouvait servir de monnaie d’échange, davantage que l’or mythique. Elle servait aussi à rapprocher des peuples lointains et différents. À l’époque, seule la Chine savait fabriquer la soie, jadis une matière précieuse, considérée jalousement comme un monopole d’État. Le commerce soyeux fut si florissant qu’il donna lieu, à partir du IIe siècle avant notre ère, aux «routes de la soie», qui connectèrent d’une part l’Asie en interne et d’autre part l’Asie, l’Europe et le reste du monde. Ces routes à la fois terrestres et maritimes ont ouvert la voie, bien avant l’OMC et l’ONU, au commerce international et, partant, à la diplomatie. D’ailleurs, les Grecs et les Romains se référaient alors à la Chine comme le «pays des Sères» (les «soyeux»).

Ces routes de la soie n’étaient pas empruntées uniquement par les marchands de soie, mais également par des diplomates, poètes, astronomes, militaires, religieux, artistes et techniciens qui échangèrent, dans le dialogue, et non pas dans la confrontation, toutes sortes d’objets et de savoirs. Dans les deux sens…

Retour au temps présent. Nous nageons en pleine tension diplomatique et militaire à la suite du récent verdict de La Haye sur la mer de Chine du Sud (PCA Case Nº 2013-19, rendu public le 12 juillet 2016, disponible en ligne sur : http://bit.ly/29AUzDE).  Verdict qui blâme sérieusement la Chine pour ses ambitions expansionnistes et jugement que celle-ci rejette, avec force et menaces.

Mais l’Empire du Milieu ne reste pas les bras croisés face au monde entier. Il passe à l’offensive communicationnelle. Les 26 et 27 juillet 2016 (hier et aujourd’hui), il a réuni, à Beijing, plus de 200 responsables des «médias les plus influents du monde» (dont l’express !). Par cette démonstration médiatique, la Chine entend montrer au monde entier sa façon de distinguer sa «diplomatie de la soie» du «droit international» (le droit selon les bases conceptuelles de l’ONU, insistent les Chinois) ; débat qui est au coeur de bien des litiges territoriaux et géostratégiques. Dont ceux autour des îles Spratleys (sises en mer de Chine du Sud ou mer méridionale) et des Chagos, plus près de chez nous, et qui réveillent autant d’instincts nationalistes.

En raison des droits des pays souverains et des revendications territoriales y relatives, il est tentant de faire un parallèle entre le verdict de la Cour d’arbitrage permanent de La Haye et les ambitions de Maurice d’aller (à La Haye également) solliciter la Cour internationale de justice. D’autant, comme nous le rappelle Milan Meetarbhan dans une tribune sur lexpress.mu, que «theTribunal is similar to the one that decided the Mauritius v UK dispute over the Chagos Marine Protected Area. Indeed, both Tribunals were appointed under Annex 7 of the UN Convention on the Law of the Sea (...) The legal team appearing for the Philippines in this case consisted mainly of lawyers who appeared for Mauritius in the MPA case».

La conclusion que l’on pourrait hâtivement dégager par rapport aux deux cas, c’est que les pays puissants, comme la Chine, la Grande-Bretagne et les États- Unis, ne respectent PAS le droit international ou les résolutions onusiennes qu’ils aiment par ailleurs prêcher dans leurs discours. Toutefois, cela va bien plus loin qu’une interprétation purement juridique. La justice a ses limites – et peut , parfois, au lieu de résoudre, amplifier les conflits entre nations. Les routes de la soie et le litige de la mer du Sud s’inscrivent dans un choc de logiques et de civilisations (qui dépasse la thèse réductrice de Samuel Huntington). Ce sont aussi – et surtout – des parenthèses historiques encadrant différents périodes et espaces.

Si la stratégie diplomatique chinoise voulue par le président Xi Jinping s’articule précisément autour de la renaissance des routes de la soie, et des valeurs de partage et de coopération économique et commerciale qui y sont associées, Beijing donne, en même temps, l’impression, tout comme les États-Unis et la Grande-Bretagne, que le droit international est devenu une farce – qui ne peut pas faire fléchir les puissants du monde. Et que les intérêts des uns continueront d’empiéter – de manière non contrôlée – sur le territoire des autres.

Si la Chine, en raison de sa longue civilisation et de sa puissance de feu, considère le verdict du tribunal de La Haye comme un «vulgaire chiffon de papier» et y voit «la main de Washington, DC», d’autres vont immanquablement lui emboîter le pas. Et ce sera, au final, la loi du plus fort. Dans ces différends territoriaux, les pays qui n’ont pas de puissance, ni armée ni économique, comme le nôtre, auront-ils voix au chapitre ? Sous les gants de soie, y a-t-il toujours des armes à feu qui font taire le droit international ? Si l’ONU est impuissante, qui remettra le monde sur le «droit» chemin ?

S’inspirer des expériences des routes de la soie pourrait être un début de solution équitable pour l’Occident et l’Orient. Pour le Nord et le Sud aussi. Surtout pour nous, gens du Sud. Sinon, seules auront disparu les étiquettes de l’époque coloniale…

 

(de Beijing)