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Géostratégie et «amis»

4 juillet 2016, 07:20

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Géostratégie et «amis»

Oublions les toasts que l’on porte dans les réceptions officielles, c’est pour la galerie ! Soyons réalistes : les États n’ont pas d’amis. Les États n’ont que des intérêts. C’est un principe de base en relations internationales – et c’est pour cela, entre autres, que l’on a institué, depuis 1945, une cour internationale de justice à La Haye, afin de «régler, conformément au droit international, les différends entre États». Ce principe perdure à travers un monde en perpétuelle mutation, d’où les jeux d’alliances qui se nouent et se dénouent au gré des intérêts des nations à court, moyen et long termes.  C’est ainsi. Cela le restera. 

Sur le dossier des Chagos, au-delà de l’incontestable dimension humaine et des actions diplomatiques et juridiques portant sur la souveraineté ou d’autres aspects, il ne faut pas occulter de l’analyse l’importante question géostratégique – la géostratégie, qui est une branche de la géopolitique, focalise essentiellement sur les implications politiques et guerrières de situations géographiques (ressources naturelles, espaces frontaliers, espaces maritimes). 

On peut voir l’archipel des Chagos de multiples perspectives. Mais occulter sa localisation géopolitique et son rôle géostratégique, c’est se priver de la compréhension des multiples enjeux stratégiques, dont plusieurs font tourner le monde. Et passer à côté d’énormes intérêts entourant le combat mauricien contre les deux superpuissances. L’archipel, démembré de notre territoire avant notre indépendance, baigne au cœur de l’océan Indien, au milieu d’un espace maritime de 75 millions de kilomètres carrés, où doivent inévitablement passer les pétroliers du Golfe. 

Cette mer, qui n’est pas close, et où l’Europe rencontre à la fois l’Afrique et l’Asie, est bordée de 36 États (dont l’Inde, l’Afrique du Sud et l’Australie). Le géant chinois, présent via le couloir de la mer de Chine, a aussi depuis longtemps des vues sur la région. 

Après avoir échoué dans leur tentative de mettre le grappin sur l’atoll d’Aldabra des Seychelles – sauvé par ses tortues et ses dirigeants politiques, comme le rappelle l’ancien président Albert René –, les Américains ont jeté leur dévolu sur Diego Garcia pour implanter une base militaire (photo). Ils voulaient surtout se frayer une place dans le berceau des civilisations africaine, indienne, arabe et chinoise au début de la guerre froide. Et ce, avec le soutien de la Grande-Bretagne, aujourd’hui encore son allié indéfectible, Brexit ou pas. 

L’archipel, vidé de ses habitants, repeuplé par des milliers de militaires, est aujourd’hui un véritable pivot des forces aéronavales pour toute intervention vers le Moyen-Orient et l’Asie centrale. Il sert également de centre de surveillance des communications et de l’espace de cette partie cruciale du monde. «This is a strategic position and it will be used for the defense of the West», ont souvent répété plus d’un dirigeant britannique, de Harold Wilson à Margaret Thatcher. L’arrivée du New Labour de Tony Blair n’a pas bougé d’un iota cette position souhaitée par Washington, DC. 

Entre-temps, depuis les attentats terroristes de 2001,  «Rebuilding America’s Defense» est devenu l’un des documents clés du Pentagone. Et il se résume ainsi : moderniser les armées et les infrastructures militaires – ce dont d’ailleurs une poignée de Chagossiens ont pu constater, les yeux ahuris devant tant de chantiers, lors de leur brève escale d’avril 2006, à Diego Garcia. Et même après Al-Qaïda, les  Américains ne comptent pas lâcher prise, ayant l’État  islamique et d’autres organisations terroristes, les pirates  somaliens, quelques factions syriennes et pakistanaises, entre autres, dans le viseur… 

***

Aller à La Haye, c’est bien, mais que se passera-t-il si on essuie un revers là-bas ? Il faut s’y préparer car les Britanniques s’acharneront à prouver que nous avons «vendu» Diego Garcia en 1965. Et en attendant la fin de l’ultimatum que sir Anerood leur a accordé, il serait intéressant et important de mobiliser nos contacts avec les pays, surtout ceux du Mouvement des non-alignés (plus à même de favoriser la décolonisation complète des pays du Sud). Même si son influence politique a baissé après la fin de la guerre froide, le Mouvement continue de jouer un rôle de contrepoids, et quelques nouvelles mouvances s’inspirent de ses principes. Il ne faut pas non plus oublier que nous avons déjà obtenu – en 1983 à New Delhi – le soutien de 101 États non-alignés qui ont reconnu la souveraineté de Maurice sur les Chagos ! 

En 1983, sir Anerood Jugnauth était Premier ministre et nous avions plus de 100 pays derrière nous contre les deux Goliath qui tentent de nous intimider.

Combien de pays «amis» sont vraiment derrière  nous aujourd’hui ?