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Sadiq, Barack et notre cosmopolitisme

8 mai 2016, 07:48

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Sadiq, Barack et notre cosmopolitisme

L ’événement est de taille; il est de portée planétaire. Alors que la menace du Front national plane de plus en plus sur la France, et celle de Donald Trump sur les états-Unis, l’élection progressiste du candidat travailliste Sadiq Khan, comme maire de Londres, est une victoire du cosmopolitisme et de l’espoir sur la peur, la division, l’obscurantisme et le radicalisme. Premier maire musulman d’une grande capitale occidentale, Sadiq, 45 ans, a rabattu, de fort belle manière, le caquet à tous ceux qui le traitaient de «Paki» (il est fils d’un chauffeur d’autobus pakistanais), et a surmonté une honteuse campagne d’instrumentalisation de sa religion.

Et dire que même David Cameron s’était joint aux esprits conservateurs qui l’avaient accusé d’accointance avec des extrémistes islamistes. Ne se laissant pas déstabiliser, Sadiq a évité la surenchère. Il a rappelé qu’il a toujours dénoncé l’extrémisme religieux, a voté pour le mariage homosexuel – ce qui lui a valu des menaces de mort – et a fait campagne pour sauver le pub qui se trouve dans son quartier.

Aux médias du monde entier qui s’intéressent, désormais à lui, Sadiq confie n’avoir jamais imaginé d’être choisi pour concourir au poste de maire de Londres. Ayant grandi sur les rues de Tooting, quartier populaire du sud de Londres (où l’on croise souvent quelques Mauriciens qui vendent des dholl-puri), Sadiq est conscient que la politique reste l’apanage d’une certaine élite, façonnée grâce au moule des universités de Cambrige et d’Oxford. Comme ses six frères et sa soeur, Sadiq a, lui, été éduqué au lycée public de son quartier, peu réputé, puis à l’université de North London. Mais sa soif de réussir a fait qu’il a maximisé cette éducation publique et gratuite. «Je dois tout à Londres.» Autant il doit tout à sa ville-monde, autant celle-ci bénéficie du symbole fort en termes de multiculturalisme et de cosmopolitisme que Sadiq, pro-européen, met en avant, en succédant à l’excentrique conservateur Boris Johnson, un partisan d’une sortie de l’Union européenne, à qui l’on prête l’ambition de devenir Premier ministre.

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Il y a huit ans, nous saluions la victoire de Barack Hussein Obama, premier président non blanc des États-Unis, en posant la question suivante : «Et si Obama était mauricien ?» Il était alors évident que cette première ouverture au pays de l’oncle Sam n’aurait pu se produire à Maurice, en raison de notre système électoral figé.

Il est triste de constater que ni Barack Obama ni Sadiq Khan n’aurait pu être au sommet s’ils étaient nés à Maurice. Et il est triste de constater que XavierLuc Duval, quelques autres politiciens communalo-scientifiques (dont Shakeel Mohamed), et leurs propagandistes veulent, aujourd’hui, en 2016, conserver à la fois le recensement ethnique et le Best Loser System. Ces politiciens de la petite semaine ne veulent simplement pas voir disparaître leur fonds de commerce – quitte à ce que Maurice ne s’engage pas sur la voie du progressisme.

Il y a de ces sujets qui restent tabous en politique, surtout quand on vit dans une démocratie, comme la nôtre, composée de plusieurs communautés. Ainsi, il est devenu plus convenable d’évoquer le vivre-ensemble harmonieux en regardant dans le rétroviseur de l’histoire. Dans une perspective «consociative» à durée indéterminée, la religion, l’appartenance ethnique et les clivages sociaux sont alors perçus comme des thèmes susceptibles de troubler l’ordre politique en place.

Pourtant le racisme, sous ses différentes manifestations à travers le temps (esclavage, antisémitisme, colonialisme, etc.) et son pendant, le communalisme, demeurent des sujets d’actualité qu’aucune nation au monde ne peut se permettre d’ignorer même après plus de deux siècles d’indépendance. Mais à cause des blessures d’hier et d’aujourd’hui, parler ouvertement des ségrégations sociales, dans toute leur complexité, est un discours politique qui se fait de plus en plus rare.

Obama aux États-Unis et Khan à Londres ont choisi de sortir de ce discours convenu. Privilégiant la raison à la passion, faisant appel à l’intelligence et à la logique, ils nous surprennent par leur audace. «Je n’ai jamais été assez naïf pour croire qu’une élection suffirait à faire disparaître nos divisions raciales, surtout avec une candidature aussi imparfaite que la mienne. Mais j’ai la ferme conviction que c’est en travaillant ensemble que nous pourrons aller au-delà des vieilles blessures du racisme», déclarait Obama, lors de sa campagne électorale de 2008.

Il est grand temps, à Maurice, de parler sans détour de la notion de «nation parfaite». Oui c’est vrai, nous avons fait mentir les prédictions du professeur Meade, oui c’est vrai, nous sommes mieux lotis que nombre de «jeunes nations» qui sont en guerre civile. Mais n’est-il pas temps pour nous aussi d’évoluer vers une nation non ethnique ?

En la circonstance, la question essentielle que nous ne pouvons pas ne pas nous poser est celle-ci : sommes-nous tous capables, ici, de faire autant que l’Amérique et Londres ? C’est-à-dire élire à la plus haute fonction un citoyen appartenant à une communauté minoritaire ?

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Encore une fois, les membres de Rezistans ek Alternativ nous montrent la voie. Profitant de la présence chez nous du Secrétaire général de l’ONU, ils écrivent, dans une lettre ouverte : “We would like to draw your attention that the State of Mauritius has been condemned in 27 July 2012 by the United Nations Human Rights Committee for violations of Article 25 of the Civil and Political Rights Convention. The UN Human Rights Committee, composed of eminent experts and jurists, ruled that part of the electoral system of Mauritius is in violation of the Convention (…) requirement of mandatory classification of a candidate for general elections based on ‘ethniccommunity’ violates article 25 (b) of the Convenant (…) We would be grateful if during your visit you could remind the State of Mauritius of its obligation (…) the full respect of the State of Mauritius to the Protocol is critical to ensure the fundamental rights of ALL citizens.” Cet important appel sera-t-il entendu ?