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La vérité si je vous mens

16 avril 2016, 07:42

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«Tout va bien, Madame la Marquise, ne vous inquiétez surtout pas. Comme d’habitude, le gouvernement Lepep travaille dans une excellente ambiance.»

Réponse classique qu’on jette aux journalistes, chaque vendredi, au sortir du Conseil des ministres. Le sourire factice et le pas pressé sont de circonstance. Le ton sérieux aussi. Tout est mis en oeuvre pour instaurer une pensée unique, une pensée, distillée aux quatre coins du pays, qui refuse le débat et la contradiction.

Il se peut qu’un ministre, disons un peu donneur de leçons comme Collendavelloo, Gayan ou Bodha, s’attarde légèrement aux micros, pour aller plus loin dans l’explication fournie : «Écoutez, une équipe est composée d’hommes et de femmes qui ne pensent pas tous pareil. Donc il se peut qu’on ait de temps en temps quelques petites divergences, mais, grâce au leadership de sir Anerood, celles-ci évoluent rapidement vers un consensus. Nous avons un mandat et du pain sur la planche.»

Du pain pour trancher et distribuer équitablement, pas pour manger entre proches, bien sûr.

Si l’on a l’échine souple, on peut aussi se courber et abonder dans le politiquement ultra correct comme Xavier-Luc Duval, devenu expert dans l’art de flatter les Premiers ministres (quels qu’ils soient) : «Sir Anerood est très ‘sharp’. Il est écouté, il est respecté et il a de l’autorité. Son âge ne se voit pas dans ses aptitudes à gérer. À voir sa vivacité d’esprit, on dirait qu’il a 68 ans.»

Bien sûr, le chiffre 68 est un compliment, un coup de sirop du marchand patenté, pas forcément un mensonge d’État, à l’instar des ministres de Robert Mugabe qui ont pour mission de rajeunir, dans leur discours, le président à vie du Zimbabwe.

Même s’ils décrédibilisent leurs auteurs lorsque (ou si) la vérité éclate, tous les mensonges ne sont pas destructeurs in fine. Il y a des «mensonges blancs» ou des «mensonges pieux». Qui ont pour but de protéger les autres. Il se peut donc que SAJ mente pour éviter d’endommager les sentiments de ceux qui ont cru en Lepep, ou pour ne pas salir la réputation de ceux qu’il a choisis comme ministres, ou encore parce qu’il veut éviter de divulguer des informations douloureuses (sur l’or de Vishnu ? ou la gestion de la MBC selon Bhadain ?).

Si SAJ a pu expulser l’encombrant Raj Dayal, et le réduire, ainsi, presque au silence, en revanche, il arrive difficilement à ménager le chou (disons Vishnu) et la chèvre (Roshi). Normalement, dès qu’on a le dos tourné, la chèvre dévore le chou. Mais dans notre histoire à nous, le chou refuse de se laisser «liquider». Le chou ne veut pas être légume et a décidé de se battre contre le «KGB» – en utilisant toutes ses cartouches. Vishnu, contrairement à Roshi, s’en fout de la solidarité gouvernementale de façade. Devant les locaux de l’ICAC, il a méthodiquement répété ses attaques contre son collègue du cabinet. Du jamais vu ! Il prouve du coup que son affidavit incendiaire n’était nullement un coup de colère ponctuel, un mouvement d’humeur passager. Il place ainsi le PM devant ses responsabilités : il est temps de trancher entre les deux.

Si nous ne sommes pas prudents, les mensonges de nos ministres-perroquets vont créer un enchevêtrement dans lequel le pays va s’empêtrer. À titre d’illustration : aujourd’hui, au Sofitel, le ministre des Affaires étrangères, de l’intégration régionale et du commerce international va expliquer sa vision à divers partenaires du gouvernement, dont plusieurs diplomates et investisseurs. Va-t-il mentir ou va-t-il leur dire la vérité par rapport aux efforts de Maurice pour promouvoir la bonne gouvernance en instituant un ministère pour remplir cette mission ? Pourra-t-il expliciter le lien entre le commerce international et le renouveau des services financiers ? Va-t-il dire ce qu’il pense réellement du projet Heritage City ? Bhadain sera-t-il à ses côtés en affichant un air de vous-ne-voyez-pas-que-tout-va-bien ?

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Il pensait, peut-être, aller à une célébration relaxe, pour saluer le Nouvel An tamoul dans la bonne humeur. Le nouveau vice-président tamoul étant en selle, le cas du conseiller du ministre Sawmynaden ayant été relégué par d’autres actualités, SAJ pensait que le Varusha Pirappu n’allait être que du gâteau au centre Swami Vivekananda. Or, il a reçu une volée de bois vert. Ses hôtes n’ont pas du tout apprécié son leadership par rapport au jour férié, à la programmation de la MBC, à la nomination au sein de la police, à l’absence d’un conseil d’administration pour le centre culturel tamoul, etc. Ce que l’on retient de cet incident : les électorats de Lepep vont de plus en plus faire entendre leur voix eu égard aux promesses non tenues ; à force de vouloir satisfaire chaque composante de la nation arc-en-ciel en 2014, le gouvernement s’est mis en position de créer des mécontentements parmi tout le monde indistinctement. Tant chez ceux qui voulaient leur bout que parmi ceux à qui l’on avait promis la transparence et la méritocratie.

Ce qui s’est passé lors du Nouvel An tamoul est le reflet d’une dangereuse politique de  balkanisation qui bloque l’émergence d’un vrai mauricianisme. Soyons précis : nous n’avons rien contre Monsieur Barlen Vyapoory mais, alors que le pays souffre d’un surendettement, nous ne comprenons pas pourquoi on doit nommer un vice-président de la République qui nous coûte une fortune pour ne pas faire grand-chose. En passant, combien du reste nous a coûté la gentille Monique Ohsan-Bellepeau ? Et qu’a-t-elle réalisé concrètement ?

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Aujourd’hui, on ne devrait plus laisser le champ libre à quelques profiteurs du présent système électoral - et son Best Loser System communal. Dans une interview consacrée à l’express cette semaine, Xavier-Luc Duval démontre la pleine mesure de son hypocrisie. Se voulant moderniste, il prétend qu’il est pour la méritocratie et l’égalité des chances, et que chaque Mauricien devrait pouvoir être Premier ministre. Soit ! Mais celui qui préside aux destinées de la réforme électorale – tant nécessaire pour changer la donne et envoyer à la retraite nos chefs de tribus ! – le dit sans gêne : «Nous avons été très fermes pour insister sur le maintien du Best Loser System Nous sommes en 2016 et celui qui trouve des jobs pour son fils, son frère, son neveu, ses proches, etc. veut se battre pour un nouveau recensement basé sur la répartition ethnique afin de perpétuer le Best Loser System - qui est à l’opposé même du concept de la méritocratie. C’est honteux de promouvoir ainsi un système basé sur la ségrégation : qui ne se souvient de ces clubs sociaux ou sportifs de triste mémoire qui n’accueillaient les membres que d’une seule famille ou d’un même clan ?

Depuis ses débuts, par opposition à un système politique basé sur le divide and rule, l’express milite pour la disparition des partis à base raciale. Déjà, dans notre éditorial en date du 5 juillet 1966, sous le titre évocateur Les petits pères de la nation, on écrivait : «Pour la première fois dans l’histoire de Maurice, chaque candidat à la législature va être obligé de déclarer à quelle communauté il appartient (...) Tous les racistes du passé doivent bien rigoler dans leurs tombes. » Un demi-siècle plus tard, un homme rétrograde, qui se la joue moderniste et progressiste, rigole lui aussi. Et contrairement à son père, lui il ne fait pas semblant !

Face à des politiciens qui, au final, ne défendent que leur patrimoine familial, Maurice a plus que jamais besoin de citoyens critiques et d’horizons nouveaux.