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Au nom de la transparence : l’arborescence des possibilités

10 avril 2016, 07:27

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«Si dans les prochains jours, la situation se tasse et Lutchmeenaraidoo n’est pas poursuivi, ni pour son “faux” affidavit, ni pour son prêt en euros sous la POCA , les chances sont qu’il possède bien des munitions et que l’équilibre de la terreur  s’est imposé et a fermé les gueules des uns et des autres.»

 

De deux choses l’une. Soit Vishnu Lutchmeenaraidoo ment quand il affirme que le Premier ministre a consulté son dossier de prêt auprès  de la State Bank et en était satisfait. Soit c’est le PM qui ment.

 

Dans les deux cas, c’est extrêmement grave que l’on en soit arrivé au constat que l’un ou l’autre des deux colistiers-vedettes du nº 7 est en train de nous mentir éhontément. C’est pire quand l’on réalise que l’un de ces deux piliers de la promesse de «miracle économique» est tout bonnement un menteur. Mais encore !

Il faut aussi regarder derrière la façade et sonder quelques hypothèses. Si c’est Lutchmeenaraidoo qui a menti, pourquoi le faire dans un affidavit (juré et rejeté le 4 avril) qui peut lui valoir plein de désagréments du point de vue légal ? La seule réponse à cette question c’est que cela pourrait être un indicateur qu’il possède des «munitions sûres et sèches» et que l’affidavit s’avère, en fait, un appel à composer, à faire du troc. Dans lequel cas, c’est le PM qui a pris un risque sérieux en le désavouant aussi vertement dans un communiqué du PMO. La présence, cette semaine, de Lutchmeenaraidoo au Parlement, mâchonnant son chewing-gum tranquillement, et ensuite au Conseil des ministres face à Roshi Bhadain, tout en n’étant aucunement une preuve en soi, n’est pas incompatible avec ce scénario.

Si c’est le PM qui a menti, Lutchmeenaraidoo serait suicidaire de ne pas avoir la preuve que son dossier était aux mains du PM pour en établir la normalité. Il l’est peut-être dans son état actuel ? D’autant que Me Maxime Sauzier s’est dissocié du fait qu’il était au courant de son affidavit, apprenait-on dans le Mauricien cette semaine.

Cette partie de poker menteur est effrayante à plus d’un titre. Nous parlons des plus hauts échelons de l’État et donc, ni plus ni moins, de la crédibilité du pays lui-même. De la crédibilité de nos institutions (SBM leaks) et, par là même, de notre crédibilité individuelle comme citoyens.

Si dans les prochains jours, la situation se tasse et Lutchmeenaraidoo n’est pas poursuivi, ni pour son «faux» affidavit, ni pour son prêt en euros sous la  PoCA, les chances sont qu’il possède bien des munitions et que l’équilibre de la terreur s’est imposé et a fermé les gueules des uns et des autres.

Par contre, si le nouveau ministre des Affaires étrangères est inculpé et poursuivi pour faux sur affidavit, nous aurons d’autres révélations de taille – qui pourraient même inclure celle de notre ex-ministre des Finances, ne croyant plus aux chiffres – et qui prouveront qu’il aura vraiment disjoncté…

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Le concept de transparence financière est au coeur des débats entourant les Panama Papers. C’est cette même volonté qui anime ceux qui tentent de légiférer – enfin ! – le financement de nos partis politiques. Même si les débats n’ont pas (encore ?) été ouverts au public, force est d’admettre que l’on ne peut plus retarder la question du financement des partis politiques, qui demeure le talon d’Achille, par excellence, de toutes nos prétentions à la transparence. Question subsidiaire : avez-vous déjà vu les comptes annuels publiés du PTr, du MMM, du MSM, du PMSD ?

Nous discutions l’autre soir de corruption et du doute qui émerge inévitablement à chaque fois qu’un gros contrat est négocié (Betamax ou Heritage City par exemple). Le réflexe de flairer la fraude et la corruption  partout est souvent alimenté par quelques pistes sérieuses comme la signature, de gros contrats toujours, à la veille des élections 2014 (Neotown, métro léger, Airbus). Mais, à vrai dire, la corruption paraît beaucoup plus compliquée à envisager, même si une attention particulière est de plus en plus accordée aux «politically exposed persons», alors qu’il existe aussi des «listes noires» et des chiens de garde qui se constituent en réseaux et consortiums.

Autre dilemme du monde moderne : le fondement même d’une démocratie, c’est la séparation des pouvoirs, avec les «checks and balances» qui empêchent la suprématie omnipotente des uns sur les autres. Or, quand ces contre-pouvoirs ou ces institutions supposés agir en toute indépendance sont noyautés ou pire, se soumettent volontairement aux diktats du pouvoir politique, la démocratie libérale s’effrite.

Qui pourrait croire aujourd’hui que l’ICAC, la police, les ministères divers, les corps parapublics, la FSC, l’IBA, la FIU, la MRA et la MBC, entre autres, sont capables d’agir «in their own deliberate judgement» ?

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Au fil des dernières décennies, la victoire du libéralisme, et plus particulièrement celle de la concurrence sur l’idée de coopération et de collectivité, s’avère incontestable. Mais les Panama Papers pourraient nous pousser à reprendre espoir dans la pertinence de la bataille entre deux paradigmes jusqu’ici irréconciliables : concurrence et opacité contre coopération et transparence.

C’est un fait : la concurrence demeure un moteur actif du système libéral et elle a besoin de l’opacité pour pouvoir bien fonctionner. Dans une vision utilitariste, la mise en exergue des Panama Papers permet de promouvoir et de légitimiser la transparence et, par là même, la coopération. Cela constitue, selon moi, l’impact le plus positif dont puisse bénéficier notre monde. Les lanceurs d’alertes, les WikiLeaks, Julian Assange, Denis Robert, Edward  Snowden, et ceux derrière les Panama Papers (quels que soient leurs nationalités et leurs desseins), sont les nouveaux chantres du paradigme de la coopération.