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Corruption : la couleur du peuple admirable

5 avril 2016, 15:15

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Selon l’auteur, la corruption dans notre société ne date pas d’hier.

S’il n’y avait personne qui acceptait ou même exigeait du politicien cadeaux et faveurs en  échange de sa sympathie et de son vote, il n’y aurait eu aucune nécessité pour que celui-ci s’active à satisfaire l’appétit du demandeur, qu’il soit agent, partisan ou simple électeur. Le politicien n’aurait pas eu  à creuser dans les poches de ses bailleurs de fonds pour plaire à ceux qui votent ou voteraient pour lui. Si l’électeur  avait refusé qu’on lui achète son soutien et le vote avec une poignée de poudre de couleur et qu’il l’avait bien fait comprendre aux politiciens et partis politiques, il n’y aurait jamais eu quelque demande alléguée de 50 sacs.

Cette demande n’a pas encore été prouvée. Mais si toutefois il s’avère que le politicien avait recherché autant de poudre colorée, ce n’était pas pour son usage personnel. Ni pour en revendre. C’était évidemment pour offrir gratuitement à plusieurs bénéficiaires qui d’ailleurs attendaient ce geste du donateur. Nous sommes là en présence d’une pratique dont l’origine est bien installée dans notre culture politique, et dont l’incriminé du jour n’est pas l’inventeur.

La pratique politique nous enseigne que l’exigence du peuple a évolué au fil des ans. Elle glisse dangereusement d’une exigence de rigueur idéologique vers une demande simplifiée de biens et d’argent. Aujourd’hui, une seule personne risque de payer les pots cassés, alors qu’ils sont nombreux à participer à la construction d’une culture de roder bout auprès des politiciens. Et c’est avec ces nombreux participants aussi que le mal commence. Mais eux, ne se manifesteront jamais pour dire qu’ils sont aussi responsables. Encore moins sont-ils capables de reconnaître qu’ils y sont pour quelque chose dans le scandale qui agite l’opinion aujourd’hui.

Démocratie minée

Nous refusons d’appeler ce qui suit du «folklore politique». Car il s’agit d’une tragique  réalité : notre pratique de la démocratie est minée. Lors d’une élection partielle à Beau-Bassin il y a quelques années, des tempos servaient de moyen d’échange contre des votes. On raconte qu’on les livrait sans couvercles, en attendant les résultats du scrutin. Dans notre réalité électorale, circulent cageots de vin, de bière et de Goodwill. Se vident des degs de briani, se donnent les billets  de 500 roupies ou des sachets de macaroni pour acheter les consciences.

Aussi, en période électorale, une base s’érige et s’anime pendant un mois contre trente mille roupies, nous dit-on. Pas d’argent, pas de base. Tel est l’exigence du peuple. L’expression de son engagement. Et c’est ce même peuple qui parl& e de corruption au singulier lorsque le politicien part chercher chez des bailleurs de fonds de quoi le satisfaire.

L’électorat est gourmand. Même après les élections, il continue à demander, à exiger. Il a des attentes qu’il croit légitimes. Il continue à exercer la pression sur l’élu pour qu’il donne, trace, facilite, dépense, favorise, discrimine. Et lorsque le politicien est pris dans les filets des autorités, ceux qui ont été pourtant à l’origine de la faute se drapent dans le voile de l’innocent. Ils se disent offusqués du comportement du politicien. Ils ne penseront pas un instant que s’ils avaient refusé de vendre leur conscience, l’autre n’aurait pas eu l’audace de venir les combler avec quelque cadeau.

Dans cette histoire qui domine ces jours-ci l’actu, le politicien n’a pas encore été trouvé coupable d’acte de corruption. Il sera peut-être l’unique accusé. Les prétendus bénéficiaires des sak lapoud kouler ne seront nullementinquiétés. Lorsque l’on dit que le peuple participeou est à l’origine de lacorruption, il s’agit de ceuxqui mettent la pression surles politiciens par le biais deleurs exigences matérielles,ceux qui aident à corromprel’environnement politique du pays à la recherche dequelque gain immédiat audétriment du bien commun.Heureusement que notrepays n’est pas fait uniquementde ceux-là.

Le mal qui ronge notre société ne date pas d’hier. C’est le fruit d’un système qui ne veut pas que le peuple progresse et gagne en maturité. C’est un système qui transforme le simple gain personnel et immédiat en idéologie. Sur ce chapitre, le politicien est responsable. Lui, qui peut influencer le peuple, ne fait rien pour le guider dans la promotion des valeurs. Au contraire.

Prix de la conscience

Un vieux à qui on avait demandé pourquoi il avait voté pour Lepep disait que cette alliance lui promettait 5 000 roupies comme pension. Et que si l’autre lui donnait plus, il aurait voté pour lui. Voilà qui résume le résultat du processus de maturation politique de la période postindépendance.

Mais qu’importe, du moment que le peuple complice sort indemne des scandales, il peut continuer à faire semblant de ne pas reconnaître sa responsabilité dans une situation qu’il a aidée à installer. Et comme on le dit souvent, il n’ y a pas de corrompu sans corrupteurs, l’on pourrait ajouter qu’il n’ y a pas de politicien corrompu sans électeurs traceurs, demandeurs, gourmands, exigeants et rancuniers punissant les pingres. La conscience s’achète : il suffit d’y mettre le prix.

Mais l’opinion ne verra pas tout ça. Elle a la poudre dans les yeux.