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Trois femmes, trois vécus

8 mars 2016, 10:24

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La Journée internationale de la Femme est le 8 mars 2016. Est-ce un jour pour fêter ou faire un état des lieux? Un jour pour réfléchir sur la façon de changer les perceptions, les attitudes et les mentalités dans une société patriarcale et faire de Maurice une île où l’on vit mieux?

En ce jour spécial, souvenons-nous de ces femmes qui ont vécu l’enfer entre les mains de leurs proches. Certaines portent toujours des séquelles de la violence psychologique, émotionnelle et physique subie alors que d’autres reposent dans leur tombe. En tant qu’activiste du genre, j’ai parlé à bon nombre de victimes. Leur vécu me fait frissonner. Des histoires, qui me rappellent que nos réactions sont insuffisantes et tardives.

«Ma nani (mot hindi signifiant grand-mère) m’a vendue.» Je l’ai crue et cela ne m’a pas surprise car elle semblait si fragile. Nos aînés avaient tendance à vendre symboliquement leur enfant pour une roupie à un voisin ou un parent, en étant convaincus qu’ainsi, leur bébé retrouverait la santé. Mais quand Rita* a continué son histoire, j’ai failli tomber à la renverse. «Je ne pouvais rien faire quand ce vieil homme débarquait chaque nuit et me violait. Un jour que je n’en pouvais plus, j’ai tout raconté à la voisine, qui m’a emmenée au poste de police. Les policiers ont téléphoné à la Child Protection Unit et j’ai été retirée de mon foyer et placée en institution.» C’est d’ailleurs là que j’ai rencontré Rita. Elle avait été envoyée chez sa grand-mère car sa mère n’avait pas les moyens de l’élever. Je ne comprends toujours pas comment une grand-mère peut obliger sa petite-fille à être violée et se faire de l’argent sur le dos d’une gamine de 11 ans. Rita a eu plus de chance que Stacey Henrisson car elle ne s’est pas rendue seule à la police. Dans le cas de la jeune Stacey, la police a refusé d’enregistrer sa plainte sous prétexte qu’elle était mineure et non accompagnée. Peu de temps après, on retrouvait son cadavre mutilé.

«J’avais sept mois lorsque mon père a été emprisonné. A sa libération, il a regagné la maison. J’avais un peu plus de dix ans et j’étais excitée à l’idée de rattraper avec lui le temps perdu en termes d’affection et de présence. A la place, il m’a violée. Comme je ne pouvais supporter d’être constamment violée par lui, à 12 ans, j’ai fugué et fait le trottoir. J’ai été contrainte de me prêter à des actes sexuels inimaginables et ignobles. J’ai été traitée comme un animal. La situation a empiré lorsque mes clients étaient référés par des souteneurs. Je ne percevais que la moitié de mes gains. Ce travail devenait encore plus difficile lorsque les clients passaient toute la nuit avec moi. Mes amis m’ont encouragée à me droguer pour pouvoir tenir le coup. J’ignorais que le partage de seringues pouvait être fatal. Regardez-moi aujourd’hui. J’ai 24 ans seulement et je suis déjà séropositive. Je l’ai appris alors que j’étais en prison. J’y ai séjourné à deux reprises. Un jour, je me suis regardée dans le miroir et je ne pouvais pas croire que j’avais laissé tant d’hommes me passer sur le corps. J’étais si jeune et fragile. Mon corps me dégoûtait. Je me suis détournée de cette image que me renvoyait le miroir et j’ai pris un gallon d’essence et je m’en suis aspergée avant de craquer une allumette. Hurlant de douleur, j’étais une torche humaine courant dans les rues. Ma mère, qui vivait non loin de là, a eu la présence d’esprit de jeter une couverture sur mon corps en flammes pour les éteindre. Elle m’a ensuite conduite à l’hôpital. Après six mois d’hospitalisation, le médecin m’a dit que j’étais une miraculée. Après un certain temps, j’ai rencontré un homme merveilleux, qui m’a dit qu’il m’aimait telle que j’étais avec mes cicatrices

Lorsque j’ai rencontré Mona* qui a vécu toutes ces atrocités susmentionnées, elle était impatiente d’accoucher. Mais elle m’a dit : «J’ignore si mon utérus ne sera pas une tombe car je suis séropositive.» Mona a donné la vie à un bébé en bonne santé grâce au traitement de prévention de transmission du virus de la mère à l’enfant. La dernière fois que j’ai cherché à voir Mona, on m’a appris sa mort.

«J’avais seulement 16 ans lorsque mon monde s’est écroulé avec la mort de ma mère. Peu de temps après ses funérailles, j’ai dû ranger mon matériel scolaire et aller chercher du travail. J’ai été recrutée comme machiniste dans une usine textile. A l’âge de 21 ans, je me suis mariée et je me suis retrouvée dans un foyer composé d’un amas de feuilles de tôle, sans eau, ni électricité. Nous dormions à terre car les meubles, qui étaient censés avoir été achetés à tempérament, n’ont jamais été livrés. J’ai dû les acheter avec mon salaire. Cela n’a pas pris longtemps à mon mari pour qu’il devienne violent. Le tabassage était tel que j’ai perdu mon premier bébé, une fille, à l’hôpital. Après sept ans, j’ai accouché d’un garçon mais cela n’a pas empêché la violence de continuer. C’était si intenable que je me suis rendue à la police et j’ai obtenu une injonction de protection. Mon mari s’est également rendu à la police pour dire que je le battais. Il a lui aussi obtenu une injonction de protection. J’ai quitté la maison et pris mon fils avec moi. Nous avons trouvé refuge à l’abri de SOS Femmes où j’ai reçu une aide médicale, un suivi psychologique et des conseils légaux.» La dernière fois que j’ai rencontré Mimta*, elle était technicienne de surface dans un hôtel quatre étoiles.

La violence basée sur le genre est un problème social complexe. A Maurice, la violence envers les femmes est répandue comme la peste. Si nous voulons sauver des vies, nous devons l’aborder sous tous ses angles. Promulguer des lois plus sévères ou introduire des peines plus lourdes sans accompagner ces mesures de campagnes de sensibilisation et de mise sur pied de structures appropriées s’avèreront futiles. A l’occasion de cette Journée internationale de la Femme, prenons l’engagement d’unir nos forces pour faire de Maurice une île meilleure où il fait bon vivre.

* Noms fictifs