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Organismes parapublics: les grands malades de la République

10 février 2016, 07:58

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Organismes parapublics: les grands malades de la République

 

Depuis quelques semaines, deux des plus importantes institutions du pays retiennent l’attention : la Mauritius Broadcasting Corporation (MBC) et Air Mauritius (MK). Les rapports d’enquêtes s’amoncellent, leurs conclusions toujours plus lapidaires. Pire, dans un tel contexte, les dirigeants politiques peinent à nommer des responsables à leurs têtes. Face à des pressions venues des milieux sectaires, le gouvernement a eu le courage de rétropédaler. Si l’ironie apaise l’incompréhension, elle n’empêche pas l’analyse. Car qu’importe la force politique au pouvoir, le mal persiste. Pourquoi donc ?

Le parallèle troublant entre ces deux institutions peut conduire à les ériger en symbole. Car leurs problèmes – personnel pléthorique, finances dans le rouge, influence des lobbies sectaires sur les nominations – s’observent dans toutes les institutions paraétatiques ou du moins dans celles où l’État est actionnaire majoritaire. Cette gangrène incurable qui les frappe donne des politiques une piètre image d’impuissance.

En décembre 2014, Vishnu Lutchmeenaraidoo annonçait que les nominations se feraient à la suite d’appels à candidatures. Des applaudissements nourris ont suivi. Mais le désenchantement n’a pas tardé. En analysant les systèmes politiques africains des années 1960/70, les politologues ont eu recours à un concept : le néo-patrimonialisme. Avant que l’État n’existe, ceux qui dirigeaient une collectivité tiraient leur pouvoir des ressources dont ils avaient le contrôle. On appelait cela le patrimonialisme. Ce type de relation gouvernantsgouvernés allait refaire surface en Afrique.

Dans ces pays nouvellement indépendants, où les tribus cohabitaient péniblement, les dirigeants se sont heurtés à une difficulté majeure. En effet, face à une telle hétérogénéité de populations et à l’inefficacité de l’appareil économique, les simulacres électoraux de leurs régimes autoritaires ne pouvaient suffire à légitimer leur autorité. Cette légitimité, alors, ils allaient la puiser d’une fonction  re-distributive des ressources de l’État dont ils sont les dépositaires. Cela en passant outre les limites qu’impose un État moderne à ses dirigeants en dessinant une ligne indélébile entre leurs biens personnels et ceux de la collectivité.

Ce modèle fit de l’Afrique un exemple des pires pratiques de gouvernance. Les terres, les permis en tous genres, mais surtout les emplois, étaient autant de ressources dont disposaient les dirigeants pour rendre légitime leur domination. Pour le citoyen-électeur, ce deal relevait d’une logique gagnant- gagnant : j’accepte de lui donner le pouvoir et en retour, il me donne un emploi. Sous les plumes des politologues, ce modèle prit le nom de néo-patrimonialisme.

Ce concept analytique développé par la science politique  peut être un outil pour comprendre le mal qui frappe les parapublics à Maurice. Ces organismes, tombant sous la tutelle directe des ministres, sont de gros pourvoyeurs d’emplois. Parfois même, les recrutements ne suivent aucun besoin rationnel en effectifs. MK il n’y a pas longtemps, et la MBC plus récemment, sont de parfaits exemples de ce dispositif néo-patrimonial dans lequel les organismes parapublics sont des banques de ressources. Les casinos sont aussi d’excellentes illustrations en la matière.

Gain personnel des deux côtés

Ce dispositif est au coeur du système politique mauricien. Depuis longtemps déjà, les politiciens locaux n’ont plus aucune prise idéologique sur l’électeur qui, lui-même, a muté en consommateur, en «roder-bout». Prisonnier d’un cercle vicieux qu’il a engendré, le politicien n’est plus un acteur sur le temps long. Au mieux, il est un ouvrier du moyen terme. Toutefois, il n’est souvent qu’un boutiquier de l’immédiat. Son seul horizon est la prochaine élection. Un homme politique efficace est celui qui redistribue les ressources.

Cette relation gouvernants/gouvernés est basée sur un échange mutuel qui défie les impératifs d’efficacité managériale, voire financière. Que MK ou la MBC soit bien gérée profiterait à la collectivité. Mais ce donnant-donnant n’a pour seul objectif qu’un gain personnel des deux côtés. Les deux parties deviennent interdépendantes, attachant les mains des gouvernants sur certains dossiers. (…)

Pour le politicien aussi, il est utile pour déminer le terrain en temps de crise. Il est un relais. Dans cette position, il est un maillon fort de la chaîne de distribution et devient un acteur avec qui le politicien doit composer. Son efficacité, pour traire cette vache à lait qu’est l’État, pourrait faire pâlir d’envie les plus grandes associations patronales.

Une des grandes faiblesses de ce modèle, toutefois, est son instabilité. Vous aurez beau avoir bien dîné que vous aurez tout de même besoin de manger le lendemain. Les ressources doivent constamment se renouveler. Les pays du continent africain comptaient sur leurs alliés occidentaux, pour la plupart, pour des aides en tous genres.

Contrairement à ces pays, à ce moment de leur histoire, Maurice n’est pas un État autoritaire. Notre démocratie n’est pas factice. La compétition politique y est effective. Ainsi, l’électeur mauricien a un choix qu’il utilise pour tordre le bras aux hommes politiques. Bien que les ressources ne se renouvellent pas comme attendu, cela ne conduit pas à la fin du système. Il se cale dans le rythme de la démocratie, et prend une forme cyclique. Les réseaux se tissent jusqu’à saturation puis s’écroulent, pour de nouveau recommencer. Chaque écroulement correspond généralement à une alternance politique. À Maurice, c’est connu : après les élections, «karapat sanz lisien».