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Merci Rashid Ahmine

16 janvier 2016, 07:03

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Un sursaut d’espoir ! Un public servant qui fait son travail sans avoir peur du pouvoir en place. Le nº3 du Parquet n’a pas raté son réquisitoire, cette semaine, dans la très médiatisée affaire Medpoint. Face à une star du barreau britannique, Me Rashid Ahmine, discret Senior Assistant DPP, n’a pas fait de la figuration. Bien au contraire, il nous a donné des raisons de ne pas désespérer :

  1. Il n’a pas été comme ces hauts fonctionnaires qui agissent comme des poupets devant des ministres et qui n’ont aucune honte à l’avouer quand ils sont interrogés par la suite aux Casernes centrales ;
  2. Il n’a laissé transparaître aucune émotion avant ou après l’appel et s’est contenté, en cour, de défendre son dossier, fruit de longues recherches, sur la base de ses compétences éprouvées ;
  3. Il n’en tire aucune gloire personnelle et place son travail dans un cadre strictement professionnel, où la séparation des pouvoirs demeure un principe sacro-saint. Pour tout cela, Me Ahmine demeure, selon nous, un exemple pour tous les fonctionnaires. Son sens de l’État, son patriotisme, sa rigueur et son éthique personnelle constituent, pour ceux qui le connaissent, une chance pour notre pays.

Pourtant, ses détracteurs sont nombreux et embusqués. Non seulement Me Ahmine incarne la poursuite contre un éventuel futur Premier ministre, mais c’est également lui qui mène la charge contre Prakash Maunthrooa dans l’affaire Boskalis. De quoi alimenter les MSM myopes qui ont décidé que le bureau du DPP a une dent contre eux, maintenant qu’il y a eu l’affaire Sun Tan et l’arrestation avortée de Me Satyajit Boolell.

Dans ce chassé-croisé entre le gouvernement et le bureau du DPP, il nous faudra nous assurer que des fonctionnaires intègres ne soient pas écrasés, victimes d’une politique revancharde.

***

Me Ahmine n’a pas mâché ses mots par rapport au «conflit d’intérêts» évoqué lors de la condamnation de Pravind Jugnauth sous l’article 13(2) de la Prevention of Corruption Act (PoCA) de 2002. Ses arguments, étayés en anglais et en français, sont clairs et directs :

  1. «The reasonable man would have concluded that there was a conflict of interest : The facts of the present case are such that a fair minded and well informed common man would be reasonably entitled to conclude that Accused had been placed in a situation of conflict of interest whereby he ignored his public duty and approved a reallocation of funds to pay Medpoint Ltd in which company his sister had a personal interest.»
  2. «The standard of proof applied was the beyond reasonable doubt standard : The PoCA has provided for the offence of conflict of interest as a criminal offence. The facts of the present case establish the elements of the offence beyond reasonable doubt and the Court finds the charge proved beyond reasonable doubt against Accused. »
  3. «Le délit est commis, même si aucun acte illicite ou malhonnête n’a été effectué, dès lors que l’agent public s’est placé dans une situation telle que ses actes peuvent être seulement suspectés. C’est précisément cet aspect fondamentalement préventif qui rend le délit d’ingérence si redoutable pour ceux qui en ignorent l’existence et le régime : il suffit de se placer, même avec la plus entière bonne foi, dans une situation qui permet la suspicion pour que le délit soit commis.»
  4. «Cette disposition est faite pour empêcher ceux qui gèrent et surveillent les affaires de l’État, d’un département, d’une commune ou même d’un établissement public, de jouer à la fois les deux rôles incompatibles de surveillants et de surveillés… et par-là même, de soustraire l’agent public à la tentation même d’une ingérence dangereuse, empêcher qu’il se trouve placé entre son devoir et son intérêt.»

Pour résumer, alors que Clare Montgomery avançait que Pravind Jugnauth ne peut être coupable de conflit d’intérêts car il n’a pas participé au processus de sélection de la clinique, et que la loi mauricienne est «conservative», Me Ahmine a surtout fait ressortir que, selon le PoCA, Pravind Jugnauth aurait dû éviter des situations «in which his behaviour may reasonably be perceived to raise doubts over his impartiality».

Bref, qu’il aurait dû faire preuve d’un meilleur sens de l’État. Le jugement de la Cour inférieure n’en avait pas dit moins, les magistrats Ramsoondar et Neerooa ayant parlé de «accused’s reckless attitude» (page 30).

***

Pour conclure, il est utile de rappeler que le même Pravind Jugnauth avait voté en 2002 en faveur de la PoCA, rédigée par Ivan Collendavelloo, à la suite d’un Select Committee auquel siégeaient, entre autres, les ministres Nando Bodha et Anil Gayan.

À l’époque, ces politiciens pensaient qu’il nous fallait une loi avant-gardiste qui permettait de brasser large afin de combattre le fléau multiforme de la fraude et de la corruption.

Et pour que ce combat nécessaire soit gagné, enfin, le nettoyage ne devrait pas être sélectif, et l’ICAC doit retrouver son indépendance.

Car, au fond, ce n’est pas qu’une affaire de loi, c’est surtout et aussi une question de culture et de maturité politique.