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Peut-on combattre l’État islamique ?

10 décembre 2015, 06:46

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Qu’on le veuille ou non, la menace Daech est aujourd’hui réelle, palpable, audible. Et l’on ne peut plus enfouir notre tête dans le sable, avec une accommodante politique de l’autruche, dans l’espoir qu’elle finisse par s’estomper. Quand, le 19 novembre, l’express avait publié un article relatant que quatre Mauriciens, dont une femme, sont partis prêter main-forte à l’État islamique (ou Daech) – ref: http://www.lexpress.mu/article/271829/terrorisme-quatre-mauriciens-parmi-combattants-jihadistes –, les autorités mauriciennes, pourtant au courant depuis longtemps, avaient choisi de minimiser l’information. À l’hôtel du gouvernement, l’on nous avait exprimé des craintes par rapport aux probables répercussions sur les investisseurs et les touristes. «On les suit de près, mais c’est mieux de ne pas en parler pour le moment», nous avait-on expliqué.

 

Mais la donne a changé. Heureusement. Depuis la publication, hier matin, sur lexpress.mu, d’une vidéo de propagande émanant des services de l’État islamique, dans laquelle on voit l’un de nos compatriotes s’exprimant calmement dans notre créole, et invitant nos frères et soeurs musulmans à venir soutenir le califat, l’on sent un frémissement rassurant au sein du gouvernement et aux Casernes centrales.

 

Deux ministres, visiblement concernés par la tournure des événements, sont en communication avec nous et les Casernes centrales. L’un des deux a même déconseillé à l’ICTA, qui pensait nous demander d’enlever la vidéo (soigneusement éditée par notre équipe), car cela pourrait contribuer à la diffusion du message de Daech. Nous y avons pensé aussi mais nous avons penché, afin de rester en alerte, pour la publication de cette information – qui nous a, du reste, été relayée par les services de Reuters qui s’interrogent sur les raisons pour lesquelles Maurice se retrouve mêlée à toute cette histoire de terrorisme international. Reuters et bien d’autres agences de presse internationales qui couvrent l’irruption fulgurante de l’État islamique sont par ailleurs bien au courant que Maurice figure parmi les pays, de plus en plus nombreux, qui ont des ressortissants en Syrie et en Irak.

 

Selon un rapport de l’institut Soufan Group, spécialiste de l’analyse du renseignement stratégique, publié cette semaine à New York, le nombre de djihadistes étrangers présents en Syrie et en Irak avait plus que doublé au cours des dix-huit derniers mois, passant à environ 30 000, originaires d’au moins 86 pays, dont Maurice, La Réunion et les Comores.

 

Devant ce phénomène grandissant, les pays occidentaux ont bien compris qu’ils sont et qu’ils resteront vulnérables face à cette force asymétrique, cette organisation sanguinaire. La France et la Russie l’ont réalisé sur le tard, de manière brutale, après avoir compté leurs morts dans les rues de Paris et dans le désert du Sinaï. Elles ont choisi la guerre – en bombardant la partie visible de l’État islamique. Or, la force de Daech est précisément cette capacité inouïe à s’infiltrer partout, dans une salle de concert à Paris, dans le métro de Londres, dans une banlieue de Californie ou au coeur de Port-Louis.

 

Même si l’on mobilisait les ressources en renseignements de tous les pays, il serait quasiment impossible de surveiller ces milliers de suspects et le nombre inconnu de volontaires qui ont adhéré à la doctrine de l’État islamique. Une doctrine qui a pris le monde de court…

 

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...C’est en 2014 que l’État islamique et son armée internationale de djihadistes se sont fait connaître sur la scène internationale, en jouant un rôle central dans l’occupation de l’Irak, et puis lors des bombardements du régime Al-Assad en Syrie. Selon l’historien Pierre-Jean Luizard, qui a publié Le piège Daech, les ingrédients du succès initial de l’État islamique ne sont pas d’ordre militaire : «Contrairement à ce qu’a fait Al-Qaïda en 2003 et 2004, notamment à Fallojah, à Ramadi, et d’autres agglomérations de la province d’Al Anbar, Daech ne s’impose pas à la population locale comme une force d’occupation étrangère ou ressentie comme telle. Sa stratégie, très différente, repose sur la restitution du pouvoir local à des acteurs locaux.»

 

Puis Daech a compris qu’il lui fallait internationaliser les conflits en Irak et en Syrie en exploitant les faux pas des États-Unis et du reste de l’Occident au Moyen-Orient. S’il s’avère difficile de prédire l’avenir de l’État islamique, aujourd’hui pris en tenaille entre des forces hostiles (notamment celles de Hollande, d’Obama, de Poutine et d’Al-Assad), il est important de comprendre, selon Luizard, que sa défaite militaire ne réglerait rien si les causes de son succès ne sont pas prises en compte.

 

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Si, malgré toutes leurs ressources sécuritaires, les States, l’Angleterre et la France n’ont rien vu venir, que peut-on faire à Maurice, avec la petite quinzaine d’effectifs que comportent notre cellule antiterroriste et ses moyens limités ? Pour contenir la menace domestique, il importe de garder un oeil sur les réseaux souterrains, en particulier dans certaines régions de Port-Louis et du Sud. Le travail de terrain doit aller de pair avec une libre circulation de l’information, comme celle révélant la vidéo de propagande qui a fait la une hier. Le partage d’informations et la synergie émanant du terrain et de la Toile sont les seuls atouts, surtout quand l’on sait qu’il n’existe aucun logiciel qui pourra détecter et prévenir la radicalisation violente au niveau des individus, des «lonewolf terrorists». Une vaste coalition, à la fois nationale et internationale, est non seulement souhaitable mais vitale… À part cela, on peut certainement encourager les sympathisants de Daech à partir en Syrie (ils seraient une vingtaine à avoir exprimé ce désir, selon les Casernes centrales) et à nous rendre le service de ne jamais retourner !