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Le grand complexe ou l’obscurantisme lumineux

11 décembre 2015, 10:36

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Samedi, nous avons été faire un tour en famille à Port-Louis, à l’occasion d’un événement de décembre : Porlwi by Light. Étant un habitué des titres et autres slogans, j’avais fini de l’appeler «PorNuit by Lights», histoire d’aller au bout du jeu de mots ! C’était sympa. Bien malin celui qui connaît un peu les faubourgs, parce qu’à 7 heures du soir, cela commençait déjà à devenir compliqué par l’autoroute et que le Caudan redevenait, y compris jusqu’au Salines, le vicieux traquenard qu’il a toujours été : un indécent cul-de-sac.

 

Mais j’ai eu cette chance de rouler ma bosse dans les quartiers et de tourner des centaines de fois dans ces labyrinthes. Détour par Cassis et ses cimetières, passage le long des Salines sous l’échangeur du Caudan puis retour vers la vieille route de la capitale et glissade en douceur jusqu’à une encablure de la Rue Saint Gorges pour se garer, le cul tournant le dos à la capitale. Si j’avais été plus gourmand, nous aurions été coincés et aurions démarré cette expérience par une jolie frustration.

 

La partie sombre du jardin de la compagnie cachait encore quelque créature en petite robe moulante blanche, seul trait de lumière dans ce coin du lieu public enchanteur où les genres ne se mêlent que le temps d’une passe. À dix mètres démarrait le long cortège des stands où l’on mange rapidement mines et sandwiches, où se masse le gros de la foule.

 

Nous sommes remontés par une jolie rue pavée afin de comprendre qu’au fond de ce bâtiment moderne sans cachet, se cachaient depuis toujours d’anciennes cellules dans lesquelles les artistes expriment désormais leur liberté, alors qu’au dehors, une queue interminable, décourageante, s’était formée, comme un paradoxe émouvant, une chaîne de gens libres aspirant à visiter, enfin, les geôles de la vieille prison oubliée.

 

Nous avons préféré rester à l’air libre afin de profiter de «PortNuit». Nos pas nous ont menés au vieux théâtre, bâtiment historique qui a été le point d’orgue de notre soirée. La projection sur la façade était pleine de magie et de technicité et la fascination du public à son apogée : un joli spectacle où les danseuses de séga, de blanc dévêtues, projetés au premier étage, nous accueillaient dans cette île Maurice merveilleuse qui n’apparaît que trop peu désormais dans la vraie vie et trop souvent au creux des halls d’hôtels. C’était donc magnifique de les voir virevolter comme d’érotiques fantômes le temps qu’il faut à la pierre pour s’illuminer.

 

Descente par la rue Newton jusqu’au passage sous-terrain sous l’autoroute et nous visitons, enfin, l’Aapravasi Ghat, bien apprêté et peu fréquenté, avec sa situation hors du monde qui fait tout son charme.

 

Toujours couvert par l’intelligence qui caractérise l’ancien citadin, celui qui n’aime pas la foule, mais qui sait comment elle fonctionne, j’évite à ma famille un bain forcé prolongé dans les allées du Caudan qui mènent toutes au food court et à l’étrange hypnose de masse qu’il génère, a fortiori dans ce cadre-là. Le petit resto du Nouveau Caudan, à l’étage, n’a pas encore été pris d’assaut et nous offre un répit, comme des vacances sur une petite île dans un océan de monde, car tout Maurice semble être à Port-Louis ce soir et c’est réjouissant.

 

Il ne nous reste plus, après avoir réglé une note très raisonnable, qu’à boucler notre parcours en retraversant l’autoroute pour remonter par la Place d’Armes, longer le Musée et nous aurons presque tout vu de ce Port-Louis de lumière, de cet évènement plus luminescent que visionnaire.

 

Il n’est que dix heures et le petit, du haut de ses cinq ans, ressemble à un zombie en cette nuit d’été humide qui vient clore une journée épuisante.

 

Seulement voilà ! Le passage sousterrain entre le Caudan et le Macdo ressemble à un fleuve morbide où s’entassent des milliers de corps à peine en mouvement. Ce tunnel sousterrain, le même qui a tué, il y a peu, des familles, ce piège mortel qui nous a fait comprendre que nous sommes parfois loin d’avoir intégré des notions, urbaines mais simples, de sécurité élémentaire, ce passage étroit où sont à présent coincées trois mille personnes, il faudrait me donner un million de roupies pour que je m’y risque avec un enfant. Même seul, mon instinct m’en empêcherait. Mais cette masse continue d’affluer et au moment où la fatigue vient me glisser, vicieuse, que je n’ai pas d’autre choix, je dois faire comme les autres et risquer l’étouffement et la vie de mon entière famille pour couvrir les derniers 50 mètres vers notre retour triomphal, d’autres êtres libres, instinctifs, désobéissants notoires, brefs, d’autres «fous» qui savent que la foule se transforme en mort certaine en quelques secondes, ont décidé de braver une barrière et de traverser l’autoroute à pieds.

 

Juste avant qu’un vigile, le pauvre, si isolé, ne referme cette voie illégale vers la liberté, je prends mon enfant dans mes bras, ayant calculé que notre chance de survie est mille fois supérieure et avec quelques compagnons d’infortune, nous attendons que la circulation ralentisse pour forcer notre passage et escalader les hautes barrières de l’autoroute. Dans cette allégresse de survie, peu importe si pour faire passer madame et deux «matantes» par-dessus la rambarde, elles doivent découvrir un morceau de chair ou de culotte, car la lumière de la vie est toujours plus claire que les affres de l’obscurantisme.

 

Nous y voilà ! De l’autre côté, hors de ce qui aurait pu, pour un cri, une panique, un début d’incendie, devenir un enfer.

 

Et je me demande pourquoi ! Pourquoi n’arrivons-nous jamais à sortir de cette approche en «à peu près», comme si, endémique, elle faisait partie de notre culture. Pourquoi, alors que cet événement, largement inspiré des modèles du genre comme la fête du 8 décembre à Lyon, même si, et c’est normal, acceptable, et même souhaitable, nous en sommes à des années lumières, pourquoi donc sommes-nous systématiquement bernés par notre propre fierté mal placée au point de remplir les journaux par de l’autosatisfaction ministérielle, toujours puérile, aveuglée par des égos qui n’ont pas les moyens véritables, au sens universel du terme, de leur mégalomanie. Pourquoi ne pouvons-nous résister, dès qu’un événement, qui plus est généré par des individus qui ont acquis des expériences étrangères, une ouverture et un recul en sortant du cadre insulaire… résister, donc et revenir toujours à cette vision partiale qui nous rend si vulgaires et fait dire à nos élus que nous sommes à la hauteur, que nous sommes au niveau international, que nous avons tout fait, tous seuls, comme des grands, que nous sommes capables de rivaliser avec le reste du monde, nous, petits Mauriciens…

 

Sommes-nous à ce point sous perfusion permanente de déni, à coups de doses de plus en plus puissantes, pour que nous continuions à nous prendre pour ce que nous ne sommes pas. Pourquoi nos dirigeants, nombre de nos notables, et tant de simples personnes dont le compte en banque atteint quelques zéros se voient-ils comme des héros n’ayant rien à envier à ces pays qui au fond les fascinent, même à tort ?

 

Pourquoi êtes-vous si complexés ? Pourquoi tenez-vous, dès que des personnes privées, rehaussent le niveau de la culture ou de la société, à endosser cette cuirasse suffisante qui ne met en lumière que votre obscurantisme profond. D’où vous vient cette fierté de façade, cet orgueil de pacotille qui n’est que le reflet d’un indélébile sentiment d’infériorité ?

 

Pourtant, il est bien des domaines où nous pouvons être fiers, contents, sereins. Nous avons nos acquis, nos cultures, notre histoire, nos combattants, nos poètes et nos artistes et tous ceux, milliers de Mauriciens, qui ont fait leur trou ailleurs et sont les premiers à avoir honte, d’ailleurs, de ce grand complexe en déballage permanent.

 

Ce complexe semble être un moteur. Mais il ne faut pas être dupe : engager le progrès d’un pays et d’un peuple avec une énergie négative, puérile, ne donnera jamais d’autres résultats et nous resterons à la traîne, certes enrichis pour certains grâce à l’emplacement stratégique de notre île, mais vivant dans ce misérable déni de réalité.

 

Ce tunnel, l’autre soir, était un monstrueux piège mortel. Si un tout petit incident avait été déclenché, des dizaines de personnes auraient été piétinées, dont de nombreux enfants. Et dès le lendemain, les mêmes ministres qui s’étaient approprié la gloire de l’événement en louant le savoirfaire mauricien et en passant presque sous silence l’expertise extérieure mais aussi l’initiative individuelle de Mauriciennes et Mauriciens, ces mêmes têtes de listes auraient accablé leurs habituels boucs émissaires.

 

Nous ne sommes pas au niveau. Mais ce n’est pas grave. L’important est de le comprendre et d’accepter. Nous savons faire un peu «comme si» et nous n’imitons pas trop mal, mais nous avons tout de même notre culture, notre savoir-faire à nous, notre peuple, notre beauté, notre langue, notre philosophie, notre identité, notre richesse. Nous n’avons pas besoin d’imiter, car nous avons en nous, pour peu que nous puissions l’exprimer, notre propre exemplarité.

 

Certes, nous avons encore sous certains aspects un côté «sous-développé», mais c’est ce qui fait notre charme et c’est ce pourquoi nos visiteurs nous aiment et nous admirent : parce que nous ne sommes pas tombés (même si c’est de moins en moins vrai) dans le piège absolu du consumérisme et de l’imitation aveugle des grandes puissances. Parce que nous savons vivre heureux, avec peu. Cette capacité, cette vision mauricienne, rodriguaise, ce mode de vie, les Européens, les Africains, les Asiatiques nous l’envient. Ce qui doit nous rendre fier n’est pas notre capacité, discutable à être au niveau des autres, mais au contraire notre vision unique, notre talent à ne pas être comme les autres, à être en deçà du développement forcené.

 

Les gens nous aiment et nous admirent non pas parce que nous sommes «sous-développés», mais parce que nous savons leur montrer en quoi leur développement est parfois au détriment d’une humanité que nous avons su préserver.

 

Ne laissons pas les complexes d’infériorité de notre classe politique, de nos nouveaux riches, de nos opportunistes forcenés entacher notre identité.

 

Soyons réalistes et rigoureux. Un tunnel qui a déjà tué est un point d’alarme. Soyons modernes dans ces cas-là, à la hauteur de nos ambitions. Il suffisait de contrôler ces tunnels et la circulation à l’intérieur et sur l’autoroute avec une vingtaine de policiers. Créer des sens de circulation et des moments où la foule pouvait passer sur l’autoroute. Rien de plus simple.

 

Soyons lucides et sortons de ce complexe dans lequel certains de nos dirigeants semblent, eux, s’embourber.

 

Je pense qu’il est temps de changer de classe politique et de la rajeunir, mais en changeant de culture politique et donc en sortant définitivement des clans et des familles.

 

Il est temps d’exister et de nous décomplexer. Cela ne se fera pas sans le peuple, sans ces gens modestes qui étaient à Port-Louis ce week-end et qui sont, globalement d’une générosité exemplaire et décomplexée.

 

Ne laissons pas les oeillères de nos politiques nous maintenir au sous-sol du véritable développement : l’humain et sa place dans le monde.

 

J’ai ma petite idée, à force de creuser : cette vision étriquée de nombre de nos meneurs est une forme d’autoprotection. Afin d’être rois, ils préfèrent être borgnes, quitte à nous maintenir dans un royaume d’aveugles. Pas mal vu !

 

Cela fait tout de même d’eux les rois des cons, et de nous les couillons, mais ce sont eux qui roulent en carrosse…