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Tirer la sonnette d’alarme sur l’abus sexuel des enfants 

7 juillet 2015, 10:53

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Le Directeur des poursuites publiques, Satyajit Boolell, l’illustrateur Abdool Kalla et l’ambassadrice américaine, Shari Villarosa lors du lancement de Tanya so zistwar en 2013. 

 

Le Bureau du Directeur des Poursuites Publiques réaffirme son allégeance à une répression draconienne des abus sexuels perpétrés sur les enfants.  Nos ‘Newsletters’ antérieurs  témoignent de l’engagement de prioriser ces faits de sociétés dans le collimateur de la justice.  La vulnérabilité entachée à la personne de l’enfant justifie que ce fléau soit érigé en priorité nationale, comme nous l’avons fait ressortir dans le ‘Newsletter’ d’avril 2015. La pornographie, le ‘sexting’, le commerce de l’exploitation sexuelle sur les enfants,  le devoir de divulgation des psychologues,  le contre-interrogatoire des enfants ainsi que  l’introduction d’un ‘Sexual Risk Order’, sont tant de thématiques qui ont été abordées précédemment par le Bureau du DPP afin d’illustrer l’envergure du danger. De 2012 à 2014, les statistiques démontrent une croissance alarmante des cas rapportés dénombrant plus de 400 plaintes pour l’année 2014.

 

L’efficacité des poursuites engagées va de pair avec le volume de dénonciation de ces comportements. La signalisation de ces agissements a été favorisée par la publication et la distribution de « Tanya so Zistwar », une bande dessinée, adressée principalement aux enfants, les habilitant à s’identifier en tant que victime d’abus sexuel et de faire le pas vers la dénonciation. Force est de constater que l’appréhension de ce phénomène passe par une synergie des institutions publiques, du secteur privé et des membres de la société civile. Il serait inopérant de vouloir parler d’abus sexuel à des enfants quand il existe une hostilité initiale à aborder le sujet du « sexe ». Ainsi l’intervention des officiers du bureau du DPP dans les institutions scolaires se heurte à l’imperméabilité d’adresser le sujet. L’ère technologique façonne favorablement un environnement interactif, accessible aux enfants et convoité par les prédateurs sexuels. Il appartient à tout un chacun, surtout aux fournisseurs de service internet et aux autorités compétentes, de s’assurer que l’usage d’internet par les enfants soit filtré et surveillé. 

 

Une question qui resurgit fréquemment dans le débat est celle qui a trait à la majorité sexuelle. Une discordance entre les dispositions du code pénal et celles du «Child Protection Act 1994 » est pointée du doigt. En effet, alors que l’article 249(4) du code pénal condamne les « relations sexuelles » avec une personne de moins de 16 ans, la combinaison des articles 2 et 14 du « Child Protection Act 1994 », prévoit que des « abus sexuels » sur un enfant, c.à.d. un mineur non-marié de moins de 18 ans, constitue un délit. Selon les terminologies utilisées par le législateur, on constate que l’acte matériel n’est pas le même. L’acte sexuel et l’abus sexuel sont fondamentalement différents. Le terme « non-marié » prévu par le « Child Protection Act 1994 » peut être interpréter à contrario pour déduire que le texte de loi ne concerne pas ceux sur lesquels pèse une présomption d’émancipation sexuelle par le mariage qui, selon les dispositions civilistes, peut être autorisé à partir de 16 ans.

 

En dépit de l’indifférence du consentement de la victime dans les deux cas, la notion « d’abus » manifeste un degré de gravité supérieur qui se constate par la gravité des sanctions imposées. En effet, alors que le « Child Protection Act 1994 » sanctionne à un maximum de 20 ans d’emprisonnement, et de 30 ans si la victime a un handicap mental, le code pénal prévoit quant à lui une peine maximale de 10 ans. D’ailleurs, l’article 249(7) du code pénal exonère le suspect si ce dernier prouve qu’il a eu la croyance légitime que la victime avait plus de 16 ans. Les dispositions du « Child Protection Act 1994 » sont plus rigides et n’accordent aucune dérogation au principe de responsabilité pénale. 

 

Tous ces éléments tendent à étayer l’argument selon lequel, la question de majorité sexuelle ne relève pas du  «Child Protection Act 1994 », qui a comme finalité première d’engager des poursuites à l’encontre de personnes perpétrant des ‘abus sexuels’ sur une personne non-mariée de moins de 18 ans. La majorité sexuelle, qui est l’âge à laquelle on peut avoir des rapports sexuels sans courir le risque de faire l’objet d’une poursuite, est indubitablement fixée à 16 ans. Ceci n’exclut pas la protection accordée par le « Child Protection Act 1994 » à une personne de 16 ou 17 ans, qui serait sujet à des abus sexuels. La question épineuse a plutôt trait à la notion « d’abus sexuel » qui est défini par la section 14(2) du « Child Protection Act 1994 » comme une activité pornographique, obscène, indécente ou toute autre exploitation.  Il incombe ainsi à nos juridictions de privilégier une approche qui tendrait à la protection de l’enfant sans négliger la présomption d’innocence qui pèse sur le suspect.

 

L’article 249(5) du code pénal établit également une liste de personnes à l’encontre desquelles des relations sexuelles ou un attentat à la pudeur, qu’ils soient consentis ou non, sont prohibés et les peines aggravées. Parmi ces personnes figurent les ascendants et descendants et alliés dans la même ligne, les frères et sœurs, les oncles et nièces, les tantes et neveux, les beaux enfants, les enfants adoptifs, les enfants sous garde légale et tout enfant ou toute personne ayant un handicap mental vivant sous le même toit que l’agresseur.  Dans ce contexte, la peine maximale pour un attentat à la pudeur est rehaussée à 8 ans tandis que la peine prévue pour les relations sexuelles est de 30 ans maximum. L’aggravation de la peine s’explique par la présomption de l’existence préalable d’une relation de confiance qui aurait été exploitée pour faciliter l’acte. On constate que dans la majorité des cas, les prédateurs sexuels ne sont pas étrangers aux victimes. 

 

Nonobstant l’argumentaire ci-dessus, la législation mauricienne doit faire l’objet d’une approche contemporaine à la lumière de l’évolution des comportements.  La loi doit répondre à l’impératif de précision et de clarté afin de démocratiser autant que possible la connaissance du fonctionnement des instruments juridiques disponibles pour cerner et traiter le problème. Les textes de loi concernant la protection des enfants doivent être accessibles à tous les protagonistes qui composent l’environnement habituel de l’enfant tel que les parents ou les enseignants. Le lexique juridique employé doit permettre à tout un chacun d’identifier un cas d’abus sexuel  et de le dénoncer. La question d’une réforme et d’une harmonisation législative mériterait peut être un questionnement nouveau. 

 

L’efficacité de la procédure pénale est inhérente à la garantie d’une condamnation dans les cas d’abus sexuels. Il a été suggéré que la procédure pénale qui entoure les abus sexuels sur les enfants doit faire l’objet d’une table ronde autour de laquelle les principaux protagonistes, tels que les officiers du CDU, les avocats du parquet, les ‘Probation Officers’ ou les membres de la force policière, se réunissent pour valider une approche coordonnée. Par ailleurs, l’établissement de procédures accélérées (fast-track procedures) devrait être préconisé car la prolixité du délai influe bien souvent sur la motivation de la victime de collaborer. Le procès est un rappel constant du traumatisme qu’a vécu l’enfant et devrait être écourté autant que possible. Il serait également plus adéquat d’assouplir le test de crédibilité applicable aux témoins car les enfants reflètent souvent une dépendance à l’égard de leurs agresseurs surtout dans le milieu familial ou dans les zones d’exclusion et ont ainsi tendance à retourner auprès d’eux. Ceci devrait être pris en considération lors de la recevabilité des témoignages. 

 

Comme le fait ressortir Zaynah Essop, State Counsel au bureau du DPP, dans la 27e édition du Newsletter, le contre-interrogatoire des enfants suscite souvent des inquiétudes quant à l’obtention des preuves. Les techniques utilisées sont parfois enclin à intimider l’enfant qui, en se rétractant n’est plus apte à formuler l’expression de la réalité. Dans des cas répertoriés, les affaires sont classées sans suite parce que l’enfant, le témoin principal, fait un blocage face à l’agressivité des interrogations. Les avocats ont ainsi le devoir d’adapter leurs questions et leurs formulations en fonction de l’enfant, et le respect de ce devoir doit être garanti par les juges et les magistrats. Dans certaines juridictions, la liste des questions posées aux enfants est soumise préalablement au juge ou au magistrat qui opère une validation avant que ces questions soient formulées en Cour. 

 

Parallèlement, l’ambiance qui règne au sein d’une Cour de Justice peut s’avérer être angoissante pour un enfant. A ce niveau, les Cours commencent graduellement à être aménagées pour apaiser l’enfant. La preuve présentée à huit clos (evidence in camera) ou les preuves recueillies par vidéoconférences (evidence by live video link), sont des dispositions législatives existantes dont l’usage devrait primer sur les méthodes classiques en la matière. On note également que la contrainte financière joue aussi sur la continuité de la poursuite. Des cas sont abandonnés faute de moyen suffisant pour la famille de la victime de se déplacer à la Cour. L’enfant doit être accompagné tout au long de la procédure et cet accompagnement requiert un représentant qui aurait les compétences nécessaires pour rassurer la victime à chaque étape. 

 

Hormis la répression des crimes et délits, le volet de la réhabilitation doit être partie intégrante de la politique pénitentiaire. L’efficacité d’une peine d’emprisonnement se mesure à la lumière de la réinsertion sociale et de la récidive. L’intervention de psychologues et de psychiatres est déterminante à ce niveau. La réhabilitation doit également s’étendre à la victime.  L’obtention d’une condamnation est nécessaire mais pas suffisante. Les séquelles ont des répercussions importantes sur l’épanouissement de l’enfant et celles-ci devraient être comprises et traitées aussitôt que possible. 

 

Conforme à la campagne nationale de sensibilisation qui est mené à  Maurice en ce moment, le bureau du DPP s’engage à fournir son artillerie pour prévenir et neutraliser le phénomène d’abus sexuel sur les enfants. A ce titre, des ressources ont été déployées pour former les officiers du bureau afin qu'ils puissent gérer les affaires de cette nature. Les conférences nationales et internationales sont impératives afin que le droit mauricien soit constamment irrigué par des idées novatrices. Pour sa part, le « Victim and Witness Support Unit »  au sein du bureau du DPP œuvre pour la démocratisation de la connaissance du droit en organisant des ateliers de formation pour les officiers qui sont en lien direct avec les enfants, tel les officiers de la « Child Protection Unit » ou les membres de la force policière. 

 

Nous sommes face à un danger qui pénètre indistinctement toutes les couches sociales nécessitant un élan déterminé de tout un chacun. Le Bureau du Directeur des Poursuites Publiques rejoint la dynamique amorcée et déploiera ce  qui est nécessaire pour neutraliser et réprimer ces abus.

 

Satyajit Boolell, SC

Directeur des Poursuites Publiques