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Le mérite, la croissance et la société

12 février 2015, 07:38

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Le mérite, la croissance et la société

M. Ollivry est méritant et a donc été nommé à la Financial Intelligence Unit. M. Chitamun est méritant et est donc devenu chairman de l’université de Maurice. M. Peerun et Mme Jhungeer sont méritants et ont donc rejoint M. Aujayeb comme commissaires à l’ICAC. M. Basant Roi est méritant et a donc remplacé M. Bheenick à la Banque de Maurice. M. Martin est méritant aussi et est donc devenu responsable de la Tourism Authority. M. Purmessur est un homme méritant et a pris la direction de la MBC. M. Sherry Singh est, une fois encore, méritant et il devient donc le patron de Mauritius Telecom.

 

On s’arrête là pour aujourd’hui, vendredi, en posant une seule question : Comment et qui décide celui qui est «méritant» ?

 

Personne n’a dicté au nouveau gouvernement ce qu’il fallait faire ou pas une fois au pouvoir. Eux-mêmes s’en sont chargés, comme des grands. C’est le ministre des Finances qui a d’abord annoncé des appels à candidatures pour tous les postes, corrigé en cela par le PM, quelques jours plus tard, qui rectifiait qu’il s’agirait de «quelques postes» seulement alors que le ministre du Tourisme y allait, lui, de son couplet indiquant que c’était pour les jobs de CEO seulement que l’on ferait des appels à candidatures…le jour même de la nomination du CEO Sherry Singh !

 

En toile de fond ? Le manifeste électoral sur lequel ce gouvernement est élu : «Notre pays doit changer», «Une Ile Maurice débarrassée… du copinage», «un pays où primera l’égalité des chances», «les axes fondamentaux de notre programme… c’est.… la méritocratie», «nous garantirons la liberté d’opinion», etc…

 

La méritocratie véritable implique de choisir le meilleur pour le poste, ce qui est peut-être bien le cas des pourtant retraités Basant Roi et Martin (du moins c’est le message de leur CV connu du public), mais moins évidemment le cas par ailleurs ! On augmente la probabilité de choisir le meilleur quand on offre, pour commencer, l’ «égalité des chances» à tous et que l’on sélectionne en fonction de critères objectifs recherchés pour le poste et non pas en fonction du degré de «copinage». Je peux comprendre la tentation première des caciques des partis Lepep, face à l’establishment «et aux réseaux rouges incrustés un peu partout» d’installer leurs propres hommes de «confiance» à leur tour ; mais cela n’est pas ce que l’on nous a promis, annoncé et vendu !

 

Loin d’être de la méritocratie, c’est principalement du «nou bann» à la place de «zotte bann». Notre pays ne va donc pas «changer» après tout ?

 

Devrons-nous donc seulement nous contenter du bonheur relatif d’avoir évacué la putréfaction accumulée lors des neuf dernières années pour la remplacer non pas par le «vrai changement», mais juste une promesse de moins de puanteur, à la faveur d’un nouveau cycle qui d’ailleurs ne fait que commencer ?

 

***

 

Comme promis la semaine dernière, et actualité grecque oblige, revenons sur quelques éléments du capitalisme et de la croissance.

 

D’abord ce point de vue de Joseph E. Stiglitiz (à lire sur lexpress.mu : http://www.lexpress.mu/blog/258609/ greek-morality-tale) : «Seldom do democratic elections give as clear a message as that in Greece. If Europe says no to Greek voters’ demand for a change of course, it is saying that democracy is of no importance, at least when it comes to economics. Why not just shut down democracy (…)?»

 

En fonction de la perspective selon laquelle on se place, la dette grecque a, entre autres, pour origine la crise financière de 2008 et le renflouement des banques. Les États se sont endettés pour sauver les banques et relancer l’économie. Le capitalisme entre dans son aboutissement : une crise en provoque une autre, dans un cycle sans fin dont le moteur est la spéculation. Les mesures d’austérité préconisées se traduisent par une diminution des revenus disponibles et conduisent à une aggravation de la récession.

 

Autre apanage du capitalisme : la croissance. Nous lisons, dans les colonnes mêmes de l’express, des spécialistes qui nous disent qu’il faut renouer avec une croissance à 5 ou 6 %. «Or, il n’existe aucun exemple, dans l’histoire, d’une croissance économique à 5 % pendant une très longue période. Les Trente Glorieuses furent une exception ; la normalité, c’est 1 % de croissance!», explique Thomas Piketty le célèbre économiste.

 

Ouvrons les yeux : le capitalisme comme mode d’organisation de la société est de plus en plus contesté. Ses promesses de prospérité, de mobilité sociale, de démocratie sont aussi fiables que celles d’un politicien. Pour reprendre le défunt Bernard Maris, zigouillé dans l’attaque de Charlie Hebdo, «le capitalisme organise la rareté, le besoin et la frustration. Les générations passent, s’“enrichissent” (accumulent des objets et des déchets), mais leur frustration, leur peur de l’avenir et du manque ne paraît pas diminuer». Les 1 % les plus riches possèderont plus que le reste de la population mondiale en 2016 d’après Oxfam.

 

Est-ce cela le modèle de société dont nous voulons ?

Fidèle à sa tradition, l’express souhaite contribuer à la réflexion autour de la contestation du modèle économique et social. Vaste tâche, car tout n’est pas noir dans le capitalisme : méritocratie, productivité, rigueur budgétaire, incitation à ne pas vivre au-dessus de ses moyens... Il y a donc lieu de souligner les vertus de l’économie libérale et dénoncer, voire corriger, les imperfections et démences (dont le fossé riches-pauvres) qu’elle ne manque pas d’engendrer. Car la société est constamment redéfinie. Nous nous baserons sur les interrogations suivantes :

 

Comment une société peut vivre au mieux ? Comment s’assurer que chacun se sente faire partie de cette société, à l’échelle de la planète ? Peu importe les opinions religieuses, les atouts naturels, l’histoire. Car il y a des besoins communs : avoir à manger, un toit, de l’amour, se sentir en sécurité. Tout système doit viser à ce que chaque être humain possède cela. Celui qui aura répondu à cette question fonctionnera.