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Bérenger : le temps du soupçon

8 janvier 2015, 09:57

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Le leader des mauves et Navin Ramgoolam lors de la signature de l’accord

entre le PTr et le MMM le 20 septembre.

 

Moins d’un mois après l’éclatement de l’alliance PTr-MMM, plusieurs questions se posent quant aux véritables intentions de Navin Ramgoolam à l’égard des mauves au moment de la signature de l’accord liant le PTr au MMM deux mois à peine avant les élections législatives.

 

Les écailles tomberaient-elles enfin des yeux de Paul Bérenger ? Découvrirait-t-il tardivement le sinistre piège tendu au MMM par Navin Ramgoolam, avec peut-être la complicité inavouable de certains «socioculturels», à travers un accord électoral décrit un temps par Bérenger comme «trop beau pour être vrai» et qui n’aura servi, en défi nitive, qu’à mener le MMM à un désastre sans précédent ? Et ce sans possibilité pour les mauves de faire marche arrière, une fois l’accord signé et la campagne électorale engagée…

 

Analysant rétrospectivement l’humiliante débâcle du MMM, devant l’Assemblée des délégués le 20 décembre, Paul Bérenger s’est finalement interrogé à haute voix sur les «intentions réelles» de Navin Ramgoolam en multipliant de supposées «gaffes» de campagne destinées à amoindrir le MMM aux yeux de l’électorat, autant travailliste que MMM.

 

Pourquoi, se demande aujourd’hui Bérenger, Navin Ramgoolam humiliait-t-il sciemment son partenaire en évoquant «l’appât» irrésistible destiné à capturer le «gros requin» ou encore la prise de judo qui nécessite qu’on se «rapproche le plus possible de son adversaire pour mieux le terrasser» ? Alors que Bérenger peinait à convaincre ses partisans désorientés qu’il n’allait pas être un Premier ministre dévalué mais exerçant au contraire «toutes les prérogatives habituelles du PM», pourquoi Navin Ramgoolam insistait-il autant sur le fait que comme éventuel Président il détiendrait «tous les pouvoirs, y compris celui de fou deor n’importe quel ministre», si on n’obéissait pas à ses injonctions et si on ne rappliquait pas séance tenante au Réduit au moindre de ses appels ? Que cachait tout cela ?

 

Subitement saisi par le doute, Bérenger se pose enfin la bonne question, celle qu’il aurait du s’être posée depuis avril : Et si … ?

 

PARTI D’APPOINT

 

Et si tout cela n’était pas aussi innocent qu’il y paraissait ? Et si Navin Ramgoolam n’avait au fond aucun intérêt à avoir à ses cotés, en cas de victoire, un partenaire MMM «à parité totale» et numériquement aussi fort au Parlement que le PTr ? Et si la main tendue de Navin Ramgoolam n’avait toujours été qu’un leurre, une astuce destinée à diminuer Bérenger aux yeux de ses propres partisans, à enfumer le MMM, à obtenir les voix militantes qui manquaient au PTr pour repousser toute menace Jugnauth mais sans avoir à aller jusqu’au bout des termes de l’accord PTr-MMM ?

 

Et si Navin Ramgoolam, une fois le risque d’un Remake MMM-MSM écarté, l’accord PTr-MMM scellé et sa survie assurée sur papier, avait très tôt dans la campagne conclue (grâce à ses sondages et à son network) que la IIe République proposée, la réforme électorale évoquée et la perspective de Bérenger Premier ministre pour 5 ans ne passent absolument pas dans l’électorat traditionnel travailliste? Et si, s’en étant convaincu – sans rien révéler de ses états d’âme - Ramgoolam avait alors modifié sa stratégie en cours de route, secrètement abandonné ses impopulaires velléités de présidence semi exécutive et basculé finalement pour le statu quo constitutionnel, en espérant retenir ses pouvoirs considérables comme PM ?

Et si, au fil de la campagne, il ne recherchait plus véritablement une majorité de trois quarts qui l’obligerait à partager le pouvoir avec Bérenger ? Et si une simple mais confortable majorité (avec plus de députés travaillistes que MMM) lui convenait parfaitement, résultant en une coalition «classique» PTr-MMM (type 1995) où, Ramgoolam demeurerait Premier ministre omnipotent et Bérenger aurait été réduit au rang d’un Deputy Prime minister protocolaire «à la Beebeejaun» ? Qu’auraient alors pu faire un Bérenger et un MMM frustrés mais minoritaires ? Ruer dans les brancards ? Rompre ? Ou, comble du ridicule, repartir vers les Jugnauth ?

 

Ce qui permet, avec du recul, de poser la question : depuis avril, Navin Ramgoolam jouait-il franc-jeu face au MMM ou avait-il accessoirement comme arrière-pensée de compromettre sciemment et décrédibiliser peu à peu le MMM et son leader ? Plus tard, une fois la course électorale lancée, le PTr a-t-il, vraiment voulu faire élire dans les bastions rouges tous les candidats MMM ?

 

Au final, tout ces calculs se sont, bien sur, écroulés et n’ont plus eu d’importance avec l’effondrement total du PTr lui-même, piégé par ses propres incohérences - ce que n’anticipait guère Ramgoolam. Mais si l’hypothèse d’un Plan B Ramgoolam (utiliser mais en même temps contenir le MMM) tient la route, d’autres questions trouveraient alors également réponses. Celle-ci en particulier : alors que le mot d’ordre officiel du PTr était le «vote bloc» de tous les candidats PTr-MMM, pourquoi aussitôt l’accord conclu et le MMM ne pouvant plus faire marche arrière, d’influents soutiens socioculturels pro travaillistes invitaient-ils sans complexe l’électorat rural à «couper» les candidats MMM pour priver ce parti de sièges ruraux ? À qui aurait alors profité cette surprenante démarche sinon d’assurer une prédominance travailliste ? Quelle alternative aurait, dès lors, été laissée à un MMM numériquement inférieur que de suivre docilement le PTr au pouvoir mais comme un partenaire minoritaire sans «fall back position» ?

 

On peut aussi pousser plus loin le soupçon : les négociations PTr-MMM ont duré des mois entiers. Pourquoi, si certaines organisations pro-travaillistes étaient tellement opposées à l’accord PTr-MMM, ne l’ont-elles pas fait savoir plus tôt ? Ou encore : pourquoi, face aux réactions indignées du MMM et des observateurs vis-à-vis du mot d’ordre d’organisations socioculturelles de «trier et couper», Navin Ramgoolam a-t-il mis si longtemps à dénoncer - du bout des lèvres – ce qu’il n’a qualifié que de comportement «malheureux» de celles-ci ?

 

Le mot d’ordre des socioculturels arrangeait objectivement Ramgoolam. Certes, le PTr, engagé sur l’honneur dans un accord écrit et signé avec le MMM ne pouvait qu’appeler au «vote bloc» mais qu’est-ce qui empêchait certains amis socioculturels pas liés par cet accord, de lancer de l’extérieur du PTr des «directives » de vote constituant un véritable croc-en-jambe au MMM. À la fin, pour qui roulaient les «socioculturels » ? Avec la bénédiction de qui ?

 

Au fil du temps, chacun au MMM découvrira cette évidence, que je n’ai eu de cesse de souligner : historiquement, le PTr n’a jamais été intéressé à «partager» le pouvoir avec d’autres partis autrement que dans un rapport de forces le privilégiant, lui, et qui le laisserait, lui, maître du jeu. Sir Satcam Boolell, contraint et forcé, mit les ambitions travaillistes en veilleuse entre 1983 et 1991 mais sous un Navin Ramgoolam moins conciliant, depuis 1991 le PTr ne s’est jamais effacé pour laisser la place prépondérante à un allié. Si on ne comprend pas cela, on ne comprend rien du tout au fonctionnement de l’ex-Premier ministre. «Alchimie», «racines communes», «vision partagée de l’avenir», «unité et modernité», «Ramgoolam ne voulant plus gouverner mais seulement régner au Réduit» et autres sornettes n’ont jamais été que des contes pour grands naïfs et de la poudre jetée aux yeux du MMM.

 

En réalité, depuis la première alliance PTr-MMM en 1995, Navin Ramgoolam abuse cyniquement de la faiblesse psychologique d’un Paul Bérenger frustré jusqu’aux os parce qu’incapable (malgré son immense stature) de se faire accepter là où il est essentiel de l’être à Maurice pour espérer devenir PM et qui, malgré toutes les peaux de banane jetées sous ses pieds, est toujours demeuré comme bloqué dans le temps par l’idée romantique d’un Parti travailliste «historique et héroïque». Or, ce Parti travailliste-là, celui des grands tribuns, des grands combats et des grands idéaux, n’existe plus depuis des décennies. À partir de 2010, négligeant ses pur-sang rouges, le PTr est devenu une formation politique envahie par des transfuges et des opportunistes, entourés d’affairistes constituant ce que feu le Dr Philippe Forget décrivait comme une véritable «pollution morale» à Maurice.

 

En admettant publiquement, à son Assemblée de délégués de décembre, ne plus croire qu’il peut aller seul, gagner seul et encore moins gouverner seul, le MMM s’enferme mentalement dans un rôle de parti d’appoint, de parti marche-pied au lieu d’être un parti conquérant, brassant chaque année plus large, en route vers le pouvoir mais sans y perdre son âme. Sir Anerood Jugnauth et Navin Ramgoolam mesurent parfaitement ce complexe, cette faiblesse autodestructrice de Bérenger et du MMM.

 

Pravind Jugnauth n’est pas plus bête que son père et Navin Ramgoolam : il attendra patiemment le MMM venir à lui en 2019…