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Agaléga: zone de discrimination ?

27 septembre 2022, 17:36

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Il sera extrêmement intéressant de voir la réponse que fera le Premier ministre à la lettre officielle de M.Ehsan Juman, député correctif du n°3 (Port-Louis Maritime- Port-Louis Est), demandant au Gouvernement d’organiser et de financer à son intention une visite dans l’île d’Agaléga pour rencontrer certains des électeurs de sa circonscription. 

Agaléga, territoire mauricien graduellement développé en base avancée de l’Inde, occupe désormais une place de choix dans l’actualité locale et internationale. Que s’y passe-t-il vraiment? Qu’a-ton le droit d’y voir et de ne pas y voir? 

L’express publie ce mercredi des photos de l’île, montrant sans équivoque possible l’étendue des structures qui y sont installées – en attendant la prochaine publication de photos-satellites régulièrement prises au-dessus d’Agaléga par les Américains et aujourd’hui largement accessibles, qui confirmeront sans doute ce que chacun devine. 

La démarche d’Eshan Juman sera particulièrement révélatrice du degré de secret que veut maintenir le Gouvernement sur Agaléga, son statut futur et l’usage qui en sera fait. Un des aspects les plus troublants du débat public sur Agaléga a, en effet, toujours été non seulement le peu de transparence affiché, mais également l’absence totale de supervision parlementaire qui y est exercée alors que l’Assemblée nationale vote, chaque année, un Budget pour Agaléga. 

Agaléga fait, depuis le début de ce siècle, partie intégrante de la circonscription n°3 (Port-Louis Maritime – Port-Louis Est) et on y recense quelque 200 électeurs qui, en tant que citoyens de la République, votent régulièrement aux élections pour y être officiellement représentés. Cette disposition est due à sir Anerood Jugnauth qui, comme Premier ministre et dans son combat pour une République élargie aux Chagos et aux îles lointaines (St.Brandon, Agaléga), avait souhaité que tous les habitants de la République soient représentés et entendus au Parlement mauricien. Une démarche plus que louable! 

Les autres députés d’Agaléga à l’Assemblée nationale, outre Ehsan Juman, sont MM. Shakeel Mohamed (PTr), Salim Abbas Mamode (ex-PMSD passé au MSM) et Aadil Ameer Meeah (MMM). Ces parlementaires ont, parmi leurs devoirs et attributions, une exigence de représentation suivie des intérêts, des problèmes et des préoccupations de leurs électeurs d’Agaléga. Or, trois des quatre parlementaires n’y ont jamais mis les pieds, alors que la dernière visite de Shakeel Mohamed remonte, elle, à une bonne quinzaine d’années. Ces députés ne savent donc personnellement presque rien de la situation réelle dans l’île, hormis des bribes d’informations sporadiques publiées dans la presse.

Pourquoi? Parce qu’ils ne disposent, pour visiter cette partie de leur circonscription, que de l’avion de l’État, Le Dornier, dont l’utilisation est presque toujours refusée par les autorités – pour des raisons évidentes! Tout vol organisé en avion privé pour rejoindre Agaléga et en revenir coûterait, au bas mot, Rs 2 millions, ce qui rend Le Dornier indispensable pour s’y déplacer. 

Nos parlementaires ont le devoir, l’obligation de visiter régulièrement les localités tombant dans leurs circonscriptions. C’est là le sens de l’allocation-voiture que leur verse l’État, de leur privilège d’une duty-free car et de bureaux payés par l’État. Visiter sa circonscription n’est pas, pour un élu, une option mais une obligation morale et pratique. Le Parlement, dans son Budget, doit lui en assurer les moyens. Même hors de Maurice, dans le cas de Rodrigues par exemple, MM.Francisco Francois et Buisson Léopold, députés de l’île, disposent gratuitement de toutes les facilités à Air Mauritius pour visiter leurs mandants et assister aux séances parlementaires à Maurice afin d’y faire entendre la voix des Rodriguais et leurs représentations. Tout celà, aux frais de l’État.. 

Qu’en est-il d’Agaléga? Pourquoi les Agaléens n’auraient-ils pas le droit d’exprimer de vive voix à leurs députés leurs problèmes et leurs vues sur leur situation actuelle ? Seraient-ils considérés comme des électeurs de deuxième classe? 

Navires et avions se déplacant vers Agaléga, rapporte- t-on, ne font jamais de la place pour quiconque, selon des directives de l’Outer Islands Development Corporation (OIDC), responsable depuis 1983 de la gestion de l’île sous la tutelle du Premier ministre et qu’anime M. Avinash Naeck. Même les résidents dans l’île éprouvent les plus grandes difficultés à y revenir s’ils se déplacent vers Maurice pour des raisons médicales ou autres. Ces restrictions nouvelles s’appliquent aussi à la presse.

S’étendent-elles aux parlementaires, représentants de la nation ? À Maurice, constitutionnellement, le Parlement est souverain. C’est lui qui vote le Budget de l’Outer Islands Development Corporation. Cet organisme ne peut avoir préséance sur le Parlement et les exigences de celui-ci. La demande de M. Juman va, entre autres choses, éclairer l’opinion publique sur l’étendue réelle de l’autorité du Parlement. Sera-t-elle rejetée pour priver le député d’Agaléga du droit de rencontrer ses électeurs et de jeter, en passant, un oeil sur l’état des installations indiennes dans l’île ? Seule une partie de l’île abrite ces installations et reste une restricted area. Le reste est librement occupé par la population locale. 

Un représentant du Parlement mauricien sera-t-il empêché de visiter une partie du territoire mauricien, de surcroît dans sa propre circonscription ? Un refus des autorités ne ferait que renforcer le sentiment de discrimination et le soupçon populaire à l’effet qu’il y a des choses à cacher à Agaléga. 

Si la requête du député Juman est rejetée, il restera certes toujours à l’opposition la liberté de reprendre cette demande à la rentrée parlementaire. Mais la question pourrait alors être posée avec une acuité plus grande encore: Avec des No Go zones dans une circonscription, où commencent et où finissent la souveraineté et les droits du Parlement à Maurice?