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Éclairage: Le coup de force du FMI face aux relations incestueuses BoM-MIC

18 mai 2022, 09:19

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Éclairage: Le coup de force du FMI face aux relations incestueuses BoM-MIC

Le verdict du Fonds monétaire international (FMI) est tombé et la cheffe Cemile Sancak l’a lâché sans sourciller : il faut en finir avec la Mauritius Investment Corporation (MIC), tout au moins dans sa forme statutaire. Soit une filiale de la Banque centrale (BoM) qui se comporte carrément comme son ATM pour sinistrés du Covid. En attendant le rapport final du FMI à la mi-juin, les conclusions de l’Article IV consultations version 2022 ne cachent aucune ambiguïté : elles invitent les dirigeants de la BoM Tower à réagir.

Toutefois, comme l’année dernière, les experts du FMI savent que leurs recommandations ne sont que consultatives et ne peuvent contraindre l’État à y souscrire. Les réactions du tandem Padayachy-Seegolam n’ont certes pas tardé, émettant frontalement des réserves sur la position de l’institution de Bretton Woods sur toute la problématique des relations contestées de la BoM avec la MIC. D’ailleurs, c’est un secret de Polichinelle que le ministre des Finances s’oppose ouvertement et ouvertement au FMI sur son constat de la posture de la BoM comme financier du Trésor public. Tel a été le cas pour équilibrer son exercice budgétaire de juin 2020.

Dès lors, il serait mal inspiré pour Renganaden Padayachy comme pour Harvesh Seegolam de balayer d’un revers de main les recommandations du FMI, même si elles peuvent faire mal, au même titre d’ailleurs que le constat dressé par l’agence de notation Moody’s sur l’état de la gestion économique, financière, voire de l’endettement du pays.

«Rien n’empêche les deux parties, l’exécutif et l’institution financière, de se concerter pour dégager un compromis autour des points litigieux et accepter une feuille de route sur leur mise en application.»

Au juste, ce que le FMI répète depuis une année relève du bon sens économique et les explications de Mme Suncak, lors de son point de presse du 10 mai, s’inscrivent dans cette logique : la BoM doit se recapitaliser, se retirer de l’actionnariat de la MIC ; que celleci retourne à la Banque centrale les fonds non déboursés, qu’elle cesse le «quasi-fiscal financing», comme dans le cas d’Airport Holdings, où elle a injecté Rs 25 milliards ou encore que ses opérations soient reprises par le gouvernement ou, à défaut, par la Banque de développement.

Certes, on peut comprendre en même temps la réticence de l’État à liquider la MIC quand celle-ci est aujourd’hui engagée dans le financement de certaines sociétés à coups de milliards, dont certaines étaient devenues des zombies dans le paysage économique, bien avant la Covid !

Tout comme on peut comprendre le refus de la direction de la BoM à ne pas suivre la ligne du FMI soutenant que, dans une crise inédite comme celle du Covid, une banque centrale peut recourir à des moyens «non conventionnels» pour bail out l’État et éviter l’effondrement de son économie. La ligne de démarcation est visiblement très mince…

Encore que dans le cas de la BoM, qui se dit indépendante, on peut néanmoins demander si les autres directeurs, comme l’affirme un spécialiste de la finance, ont été consultés sur la base des recommandations du FMI avant que la direction ne se prononce publiquement. Il rappelle que pourtant «rien n’empêche les deux parties, l’exécutif et l’institution financière, de se concerter pour dégager un compromis autour des points litigieux et accepter une feuille de route sur leur mise en application». Quid de la séparation des politiques fiscale et monétaire, telle que la réclame fortement le FMI dans ses conclusions de l’Article IV ? L’économiste Pierre Dinan est catégorique. Il dit comprendre que l’institution étrangère vienne aujourd’hui implorer le gouvernement de se ressaisir à travers une politique fiscale adaptée aux gros soucis du moment. Qui sont la réduction des dépenses publiques, l’élimination du gaspillage, la révision de la politique des pensions ou encore l’impérieuse nécessité de démasquer l’économie souterraine pour dynamiser les rentrées fiscales. Et cela, pour ne pas épuiser les réserves officielles, avec le risque qu’elles soient éventuellement réduites comme une peau de chagrin.

«Après moi, le déluge…»

En pratique, qu’est-ce que cela veut dire ? Revoir toutes nos ressources, humaines et naturelles, les mobiliser, les développer ; bref, les organiser afin qu’elles contribuent le mieux possible à la fabrication d’un plus gros gâteau national que celui de la postpandémie.» Or, ce que l’économiste constate est effarant : l’utilisation des réserves officielles pour faire face aux conséquences néfastes de la pandémie, alors que le Consolidated Fund est bien là et, comme dirait l’autre, c’est du «business as usual».

Voilà ce qui se cache derrière l’opposition du FMI à cette union illégitime entre la politique monétaire et la politique fiscale, se dit l’économiste. «Les risques d’une progéniture maladive sont grands : ils se nomment épuisement accéléré des réserves en devises et dégringolade de la roupie, avec en prime l’inflation des prix.»

Mais Pierre Dinan dresse un constat plus sévère. Après le passage du FMI et en attendant le rapport final de Moody’s, il voit que les dirigeants du pays se rebiffent : ils n’ont que faire d’écouter ces fonctionnaires internationaux ! Ou à craindre les grosses pointures internationales qui évaluent des économies pour les investisseurs potentiels. Comme dit l’adage : «Après moi, le déluge…»

Sans doute, dans une entreprise comme dans Mauritius Incorporated, il n’y a pas de risque zéro. D’autant plus qu’avec une économie insulaire comme la nôtre, tributaire de la conjoncture internationale, avec l’effet d’entraînement de la guerre russo-ukrainienne et de l’après-crise pandémique, bien malin est celui qui pourra dire de quoi demain sera fait.

Alors, faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain et fermer les yeux sur les recommandations d’institutions internationales, même si leur aide financière peut être assortie de prescriptions socialement douloureuses ? Loin de prévoir le pire et d’entraîner, malgré nous, l’exemple de la débâcle srilankaise dans l’équation mauricienne – même si des spécialistes ont rappelé ces dernières semaines d’étranges similitudes avec Maurice –(dette extérieure conséquente, baisse des recettes, augmentation des dépenses, pénurie de devises, recours à la Banque centrale pour financer le Budget…), il faut que les dirigeants aient les pieds bien sur terre et sachent que la réalité est souvent objectivement différente de celle qu’on peut ressentir dans une bulle, où règne une pléthore de conseillers mal avisés.