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L’inflation dévoile sa tête hideuse

16 mars 2022, 09:13

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Décidément, la déveine nous colle à la peau en cette nouvelle décennie que l’on disait synonyme de renouveau. Après l’hécatombe provoquée par la pandémie, que ce soit d’un point de vue sanitaire ou économique, la guerre en Ukraine risque de faire replonger le monde dans un cercle vicieux où tout n’est que volatilité, incertitude, complexité, ambiguïté et perturbation, pour reprendre l’acronyme VUCA-D.

Toute la dangerosité de la trajectoire qu’empruntent ces deux crises réside dans le fait qu’elles mêlent, comme jamais, la récession et l’inflation dans une sorte de danse macabre et destructrice. Au fait, les conséquences de cette guerre en Ukraine – il faudra attendre le prochain rapport du Fonds monétaire international sur les perspectives mondiales qui paraîtra le 18 avril pour avoir une image plus empirique de son impact – sont venues se superposer aux disruptions causées par le grand confinement.

Afin de lutter contre les effets pernicieux de la crise de Covid-19 sur l’économie réelle, l’outil monétaire a été utilisé à fond par les banquiers centraux. Mais, aujourd’hui, il est manifeste que le mécanisme de transmission monétaire a atteint ses limites, notamment dans sa capacité à servir de levier pour soutenir la croissance. Le conflit russo-ukrainien intervient au plus mauvais moment, soit lorsque la Réserve fédérale et la Banque centrale européenne s’étaient accordées sur le principe d’un début de normalisation de la politique monétaire dans un effort concerté de mener une guerre sur tous les fronts contre l’inflation, qui, comme le rappelle le président américain, Joe Biden, depuis l’année dernière est une priorité absolue.

 

«Toute la dangerosité de la trajectoire qu’empruntent ces deux crises réside dans le fait qu’elles mêlent, comme jamais, la récession et l’inflation dans une sorte de danse macabre et destructrice»

 

Il serait intéressant de voir si malgré la perspective d’une croissance plus lente résultant de la guerre, la Réserve fédérale ira de l’avant avec sa stratégie de resserrement monétaire dans le cadre de sa politique de tapering. Lors d’une audition devant le Congrès américain début mars, son président, Jerome Powell, a déclaré qu’il recommanderait un rehaussement des taux d’intérêt de 25 points de base lors de la prochaine réunion du comité monétaire qui se tient en ce moment (15 et 16 mars). Au total, la FED prévoit jusqu’à sept ajustements à ses taux directeurs qui se situent dans la fourchette de 0 % à 0,25 %. Une stratégie qui ne sera pas sans conséquence sur les marchés boursiers et raffermira le billet vert aux dépens des autres devises, dont la roupie.

Jeudi dernier, la présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, a annoncé le début de la normalisation de la politique monétaire dans la zone euro à partir de fin 2022. Cela débutera avec l’arrêt du programme de rachats d’obligations de la BCE au troisième trimestre.

À Maurice, la Banque centrale s’est montrée quelque peu timorée dans sa démarche de normalisation de la politique monétaire. À l’issue de sa dernière réunion, le comité de politique monétaire a décidé de relever le taux repo de 15 points de base, le portant à 2 %. Un ajustement cosmétique, diront certains analystes qui estiment qu’il fallait une réponse plus énergique face aux pressions inflationnistes décuplées par la guerre en Ukraine, avec le baril du Brent atteignant un pic de 139 dollars en début de semaine dernière (les cours pétroliers se sont stabilisés depuis autour de 110 dollars) et la pression folle exercée ces jours-ci sur les prix des céréales et des engrais alimentaires ; des marchés qui sont largement dominés par l’Ukraine et la Russie. Les inquiétudes portent également sur la roupie qui, selon le Mauritius Exchange Rate Index (MERI), s’est dépréciée de l’ordre de 25,7 % face aux principales devises de janvier 2019 à fin décembre 2021. Rien que pour la période de janvier 2021 à janvier 2022, la monnaie locale a cédé 5,6 % face au dollar, 11,7 % vis-à-vis de la livre sterling et 7,7 % face à l’euro.

Face à ces craintes légitimes, le Gouverneur de la Banque de Maurice, Harvesh Seegolam, reconnaît que la guerre est venue ajouter une couche d’incertitude aux perspectives de croissance mondiales, lesquelles ont déjà été impactées par le variant Omicron. Il prévoit ainsi un taux d’inflation de 6,7 % pour l’économie mauricienne en 2022 contre des prévisions initiales de 4 % en décembre. Concernant la croissance, la Banque centrale anticipe une expansion de 7 % à 8 % du PIB en 2022 sur la base d’une solide performance du secteur touristique. À ce sujet, on sait que le gouvernement s’est fixé comme objectif d’atteindre la barre d’un million d’arrivées touristiques cette année. Or, le ralentissement au sein de la zone euro et la perspective d’une inflation galopante grignoteront définitivement le pouvoir d’achat des Européens avec une probable incidence sur leurs projets de voyage. En effet, le 9 mars dernier, la BCE a abaissé ses prévisions de croissance de 4,2 % à 3,7 % pour 2022. Pour l’inflation, elle a rehaussé nettement ses prévisions de 3,2 % à 5,1 %.

Au Trésor public, l’on surveille de près les répercussions de la guerre en Ukraine. Ainsi, depuis le 4 mars, le ministère des Finances a institué une cellule de crise qui est placée sous la présidence du Senior Economic Adviser, le Dr Sen Narrainen. Ce groupe de travail aura des consultations avec les différents départements ministériels, des institutions clés comme la Banque de Maurice, la Financial Services Commission, la Financial Intelligence Unit, l’Economic Development Board, la State Trading Corporation, la Mauritius Investment Corporation, Business Mauritius, la Chambre de commerce et d’industrie, la Chambre d’Agriculture et la Mauritius Export Association.

Ce groupe de travail a une double attribution. Primo, il s’agit de mesurer l’impact socio-économique du conflit russo-ukrainien sur la croissance, le secteur touristique, les importations d’énergies et des produits alimentaires et les pressions inflationnistes. Et secundo, ses conclusions seront prises en considération dans le cadre de la préparation du Budget 2022-2023. À ce propos, la nouvelle loi de finances promet d’être un exercice compliqué pour le ministre des Finances. Malgré la conjoncture actuelle, Renganaden Padayachy devra proposer un budget expansionniste et placer l’économie sur la voie de la croissance, en adressant des secteurs prioritaires comme les énergies renouvelables et l’industrie de substitution à l’importation. Dans le même temps, il est primordial d’instaurer la discipline fiscale, de réduire les gaspillages dans nos institutions en prenant en ligne de compte les recommandations du bureau de l’Audit, de combler le déficit budgétaire, d’esquisser une stratégie claire concernant la gestion de la dette publique et de veiller comme le lait sur le feu à ce qu’il n’y ait pas de dépassement de budget lors de l’exécution des projets gouvernementaux. Une politique d’austérité budgétaire est plus que jamais nécessaire si l’on veut traverser sans trop de casse les eaux tumultueuses de la crise.