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L’État de droit se démontre tous les jours… sinon…

17 janvier 2021, 07:43

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L’État de droit se démontre tous les jours… sinon…

Un des principes de base de la justice est qu’elle soit… aveugle. Pas dans le sens qu’elle ne voit plus clair, bien évidemment ! On aurait pu le penser depuis quelque temps, avec les images vidéos de Safe City qui ne sont plus disponibles quand on en a besoin, par exemple. Cependant, la justice doit surtout être aveugle dans le sens qu’elle doit être applicable de manière égale, à tous. 

Le cas du ministre Sawmynaden est venu sérieusement mettre à mal ce principe fondamental et cela est à la fois indigeste et inquiétant, pour de nombreuses raisons. 

D’abord, rappelons la décision absolument incompréhensible de la police de fermer la capitale le jeudi 7 janvier et de mobiliser 300 officiers de l’ordre, GIPM, SMF, Marine Commando, snipers, entre autres, plus des blindés, pour le passage du ministre Sawmynaden en cour ce jour-là. On nous avance que la police avait des renseignements qu’il y aurait des troubles et que c’est pour cela qu’elle s’était mobilisée, armée jusqu’aux dents. Peu de monde semble avoir été convaincu par ces explications. Il y avait bien quelques manifestants devant la cathédrale scandant des slogans hostiles, mais ce n’était pas une insurrection, c’était même plutôt bon enfant. Pour justifier une telle mobilisation de la police, il fallait au moins une menace de même niveau, ce qui peut, alors, être bien plus inquiétant ! 

Quelle pourrait bien être, en effet, cette ‘menace’ potentielle qui pouvait se concrétiser ce jour-là pour justifier une telle mobilisation ? Des personnes armées de fusils menaçant la vie d’un ministre de la république ? Un gang de gros bras devant se pointer pour chercher noise aux sympathisants de Mme Kistnen ? Le début du procès, ce jeudi, des 355 interpellés de la ‘Ndrangheta’ dans la Calabre mafieuse ? Qui détermine la gravité de ces menaces ? Cellesci étaient-elles tangibles au point où on aurait voulu nous rassurer… en nous faisant peur ? Ces ‘menaces’ ont-elles été promptement neutralisées depuis, comme l’aurait été un ‘escadron de la mort’ hypothétique, par exemple ? 

Ensuite, rafraîchissons-nous la mémoire quant à l’extraordinaire initiative du Premier ministre de conduire une «enquête» sur son ministre-colistier Sawmynaden et de déclarer publiquement qu’il n’a rien à se reprocher. Personne ne connaît les éléments de cette enquête, encore moins combien de temps cela lui a pris, mais il est pour le moins intempestif de faire de telles déclarations qui peuvent, une fois encore, vouloir dire que la loi n’est pas égale pour tous. En effet, avec ce certificat de soutien du PM qui s’était lui-même déjà avancé au point de virer Dayal (Bal kouler), Yerrigadoo (Bet 365), Soodhun (propos à relents communaux) ou Collendavelloo (St-Louis Gate), l’indication est limpide : soit son enquête est globalement meilleure qu’une enquête de police et le ministre est parfaitement innocent, soit encore l’arôme mafieux qui émane depuis peu du numéro 8 suggère du pire qu’il faut absolument garder muet dans l’omerta… 

Nous avons même eu droit cette semaine à un défilé de gros bras lors de la comparution du ministre Sawmynaden. Ils ne semblent pas avoir été inquiétés comme M. Picon ou Mme Bundhoo. Même si, selon la presse, ils étaient plutôt motivés à chercher au moins chicane à la presse et aux manifestants venus soutenir Mme Kistnen. Si ça c’est permis, comment traitera-t-on une armada de gros bras lors d’une prochaine comparution de Gros Derek ou de Veeren Peroumal ? Pareil ? 

Il y a aussi eu l’épisode plutôt hallucinant d’un ministre de la république, pourtant interpellé directement par la private prosecution de Mme Kistnen, refusant d’entrer dans le ‘box’ des accusés et recherchant par la même un traitement différencié. La cour, comme attendu, n’a heureusement pas mangé de ce pain-là, mais la demande de départ de l’accusé s’inspirait du privilège supposément dû aux puissants. Tous les accusés doivent, bien sûr, être traités de la même manière… 

Loin du corps calciné de ‘Kaya’ Kistnen et de l’enquête judiciaire qui a dû être ordonnée pour que la complaisance menant à la thèse du ‘suicide’ soit démontée pièce par pièce, il faut rappeler que la présence du ministre Sawmynaden en cour à Port-Louis découle d’une déposition circonstanciée de Mme Kistnen tant à la Police qu’a l’ICAC qui n’avait, semble-t-il, déclenché aucune enquête jusqu’ici. L’accusation de Mme Kistnen est pourtant simple. Contrairement à ce que déclarait le ministre, elle n’est pas la Constituency Clerk de celui-ci, ni n’a-t-elle jamais touché les Rs 15 000 mensuelles qui vont avec. Il est clair que sans la private prosecution initiée par Mme Kistnen contre le ministre Sawmynaden, il n’y aurait pas eu un engagement du chef du CCID, le DCP Jangi, que «enquiry will be completed soon» quant à savoir si le ministre est un filou ou un parfait innocent. Espérons que tous définissent «soon» de la même manière… 

On doit, évidemment, toujours présumer l’innocence de tout citoyen, tant qu’il n’est pas jugé coupable par une Cour de Justice. Le ministre Sawmynaden n’a pas moins de droits que quiconque d’autre à ce titre et cette présomption d’innocence, pour sérieusement secouée qu’elle soit par ce qui remonte à la surface jusqu’ici, lui est due. Mais il n’a pas non plus, plus de droit qu’un autre, face à la justice ! Les événements surprenants qui s’accélèrent depuis peu sont venus sérieusement flétrir ce principe de base de notre système de justice et cela inquiète évidemment. Pouvoir se situer sur l’échelle qui part, d’un côté, de l’État de droit, vers l’autre extrême de l’État mafieux est un exercice qu’il faut faire minutieusement, par les temps qui courent, ne serait-ce que pour savoir quoi raconter à ceux qui nous interrogent, investisseurs potentiels compris, de l’étranger. 

***** 

L’État de droit ! La transparence démocratique ! Les libertés citoyennes ! Ceux qui y croient reconnaîtront qu’ils ont été, cette semaine, véritablement mis en contraste parmi plusieurs pays de cette planète. En Russie, les autorités annoncent qu’elles vont emprisonner l’opposant principal Alexeï Navalny, évacué en Allemagne depuis août 2020, après une tentative d’empoisonnement au Novichok, au motif qu’il a enfreint les conditions de sa… liberté conditionnelle.* En Chine, on étête gentiment le mouvement des démocrates de Hong Kong, on n’approuve pas Xianzi, on améliore les systèmes de caméra pour reconnaître les Ouïghours** et l’on reçoit, enfin, la délégation de l’OMS venue enquêter sur l’origine du Covid-19. Cette visite programmée depuis juin dernier va mettre à l’épreuve le désir de transparence chinois, notamment à propos d’un accès libre à l’Institut de Virologie de Wuhan et à ses diverses enquêtes et rapports. Aux États-Unis, le résultat de la présidentielle est confirmé comme prévu, sauf par le président Trump qui ne concède toujours pas sa défaite et qui s’appuie sur le mensonge d’une élection «truquée» pour enflammer ses partisans jusqu’à les mener au Capitole ! De sérieuses questions seront posées à propos de la débâcle des services de police et de sécurité et elles trouveront certainement, làbas, réponse : les images des caméras de sécurité ne disparaîtront pas et les institutions, dont la presse, font leur travail librement. Le président flingueur qui ne sera pas, contrairement à son souhait, fait Prix Nobel affiche, par contre, un exploit absolument unique désormais, celui d’avoir été «impeached» par deux fois. Son avenir politique, financier et légal est désormais sérieusement compromis. Dans cet État de droit, une fois l’immunité présidentielle disparue, on paie «cash» ses dérapages, sauf un «Pardon» présidentiel, qui ne peut, rappelons-le, que protéger contre des poursuites au niveau fédéral et pas à celui des États. 

La question à mille francs est, cependant, celle-ci. Si Trump ayant excité ses partisans à marcher sur le Capitole en leur promettant d’être «à leur côté», a pu ensuite disparaître à la Maison Blanche préférant regarder le ‘gamat’ à la télévision, pour ensuite les remercier (‘We love you’) puis finalement les désavouer, osera-t-il se pardonner, lui-même et sa famille, en refusant ce pardon aux 170 partisans déjà arrêtés, grâce à lui, dans sa grande conspiration pour renverser les élections !? 

Réponse avant le 20 janvier. Promis !

*https://www.theguardian.com/world/2021/jan/14/alexei-navalny-will-be-detained-on-return-to-russia-says-prison-service
**https://www.bbc.com/news/technology-55634388