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En eaux troubles

18 novembre 2020, 15:25

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Très critique de l’État, Adam Smith n’est pas pour autant un partisan du laissez-faire. Il est d’avis que l’économie de marché ne fonctionne avantageusement que quand ses règles, telle la propriété, sont respectées. Sinon, la poursuite d’intérêts privés dans l’exploitation de biens communs peut aller à l’encontre de l’intérêt public. C’est le cas des océans, dépourvus de droits de propriété. 

Il a fallu que des chaînes de supermarchés en Europe aient lancé un boycott des produits à base du thon de l’océan Indien pour que la surpêche revienne sur le tapis. Ce secteur nage en eaux troubles : le volume d’exportation de nos produits de mer a drastiquement baissé, d’un niveau record de 137 532 tonnes en 2016 à 105 502 tonnes en 2019, néanmoins il reste deux fois plus élevé qu’en 2004 (54 163 tonnes), à l’époque où déjà on avait tiré l’alarme sur la surpêche. 

Faute d’avoir une flotte de pêche, Maurice n’a pas de capacité de pêche, ses ressources marines étant exploitées par d’autres pays. Certes, la Commission thonière de l’océan Indien octroie des quotas de pêche à des thoniers, mais elle ne gère pas les stocks de thon. Les zones de pêche sont surexploitées, puisque la moyenne de prises (le rendement) diminue. Elles sont pillées par des bateaux qui n’enregistrent pas leurs captures ou qui font des déclarations non conformes aux normes internationales. 

L’épuisement des stocks fait craindre aux usines de transformation du thon (Princes Tuna et IBL Seafood Hub) de ne pas être suffisamment alimentées en poissons pour répondre à une demande globale croissante. Une reconstitution de stocks passerait par une réduction des quotas de pêche et des dispositifs de concentration de poissons autorisés. Deux solutions réglementaires qui sont tributaires de la coopération des États de l’océan Indien. 

La surexploitation des ressources halieutiques explique d’ailleurs pourquoi le secteur des produits de mer a continué, depuis son lancement en 2004, de ne contribuer qu’un pour cent au produit intérieur brut, avec moins de 4 000 emplois aujourd’hui. Elle a résulté en des conditions économiques qui n’attirent pas de nouveaux entrants ou l’utilisation de technologies innovantes. Un deuxième résultat, c’est qu’elle a suscité peu d’intérêt dans les connaissances des ressources marines autres que la pêche. Et une troisième conséquence, c’est le manque de sensibilisation au potentiel du marché pour les produits de mer, qu’il est difficile d’évaluer s’ils ne sont pas répertoriés. 

À ces faiblesses s’ajoutent des menaces qui pèsent sur l’industrie, parmi lesquelles la concurrence régionale, la hausse des rémunérations et la dépendance à l’égard de la main-d’oeuvre étrangère. Maurice est en compétition avec ses voisins, même dans le cadre d’accords commerciaux régionaux. Les opérations de transformation sont entravées par des taux de salaire élevés et par la réticence des travailleurs mauriciens à faire des heures supplémentaires et à effectuer le service de nuit. 

Il existe des opportunités d’investissement dans la transformation des produits de la pêche en vue d’accroître leur consommation par la population locale et par les touristes, et de faire de l’industrie halieutique un exemple réussi de substitution à l’importation. Ainsi, on doit promouvoir davantage la pêche aux petits pélagiques qui serviront de matières premières au développement d’une industrie des conserves de poisson. Puis, une île doit exploiter intensément ses eaux pour développer la mariculture, une alternative à la surpêche, à savoir l’élevage d’animaux marins, la production de concombres de mer et la culture d’algues. 

Maurice a deux grands atouts, le premier étant sa zone économique exclusive de 2,3 millions de kilomètres carrés. Certes, elle n’est pas abondante en ressources marines vivantes, l’aire du plateau continental le plus riche en espèces démersales et en crustacés s’étendant sur seulement 75 000 kilomètres carrés. Mais celui-ci recèlerait aussi d’importants gisements de pétrole et de gaz. 

L’autre atout, c’est d’avoir une infrastructure portuaire développée, avec un port franc pour la réexportation, offrant des installations de transbordement et des services de stockage et d’entreposage. Reste que la productivité en termes de mouvements par heure et par grue doit absolument s’améliorer pour minimiser le temps qu’un navire passe au port. Il faudrait envisager un système de pénalité frappant tous ceux qui n’atteignent pas des objectifs quantitatifs fixés. 

Afin que l’économie bleue devienne un nouveau pôle de développement pour Maurice, il convient d’exploiter pleinement les avantages de l’océan tout en respectant l’équilibre de l’écosystème marin et tout en assurant la pérennité des ressources halieutiques. Il faut protéger la mer contre tout préjudice causé par l’homme et ne pas tolérer le moindre compromis environnemental dans l’économie maritime. Faire de l’océan une source de nourriture aidera à relever les défis de la sécurité alimentaire.