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Post-Covid-19: Quand la bise fut venue…

1 avril 2020, 13:14

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Post-Covid-19: Quand la bise fut venue…

Le risque, c’est que rien ne change ! 
Il est à craindre, aussitôt que la pandémie donnera des signes de reflux, que le pouvoir public s’imagine qu’il sera encore possible de reprendre le cours normal de la vie. Le risque est que l’on cherche à relancer l’activité économique, sans tirer les leçons de ce que l’on continue à qualifier de «crise» ; crise sanitaire, crise économique. L’erreur est là : ce que nous vivons, ce que le monde vit, n’est pas qu’une «crise». 

Qu’est-ce qu’une crise ? 
L’usage s’accorde à parler de crise quand l’on se retrouve face à une manifestation brutale d’un phénomène généralement limité dans le temps. Gérer la crise, dans ces conditions, c’est de chercher à minimiser ses effets en attendant un retour de l’ordre. 

Mais le coronavirus, par sa dangerosité et sa propagation exponentielle, a ébranlé l’ordre ancien comme rarement dans l’histoire de l’humanité. Les structures économiques mondialisées, bâties au cours des dernières décennies, sont aujourd’hui dévitalisées au point d’asphyxie. Malgré les plans de sauvetage des entreprises privées, lancés par les Etats, des faillites retentissantes mettront des millions de personnes au chômage. Le Bureau international du travail estime que l’on comptera entre 5 et 25 millions de chômeurs supplémentaires. Les solidarités politiques, forgées dans l’euphorie de la croissance partagée, ont volé en éclats. Les impuissances des puissants ont été révélées au grand jour. Ce n’est pas qu’une crise, c’est une catastrophe ! 

Qu’est-ce qu’une catastrophe ?
C’est quand un évènement vient bouleverser de manière soudaine et durable l’ordre ancien, en provoquant des conséquences dramatiques. Nous y sommes. 

Parfois, mais c’est loin d’être inéluctable, les lendemains de catastrophes sont l’occasion de profondes remises en cause. Les catastrophes sont des révélateurs des dysfonctionnements de la société, elles éclairent de manière crue les insuffisances des gouvernants du paraître, elles mettent en évidence les incongruités systémiques. 

Les leçons pour Maurice sont nombreuses : la plus importante, à mes yeux, est la question de l’autosuffisance alimentaire ; on parle plutôt aujourd’hui de souveraineté alimentaire. La première responsabilité d’un Etat est de s’assurer, en toutes circonstances, l’alimentation de sa population. La règle, en la matière, est connue : produire ce que l’on consomme ; consommer ce que l’on produit. Déléguer notre alimentation est une folie. Quand, pour des raisons climatiques ou topographiques, une totale autosuffisance est impossible au plan national, l’option régionale s’impose. C’est ce qui doit changer durablement : l’Etat doit mettre en place d’une politique volontariste de production basée sur le régime alimentaire de la nation, et doublée d’une stratégie de soutien à des entreprises de transformation, petites et grandes. L’alerte est donnée une nouvelle fois : L’Inde, la Thaïlande et le Vietnam, d’où nous importons notre denrée de base, ont décidé, dans le sillage du coronavirus, pour sécuriser leur propre approvisionnement, de ne plus accepter de nouveaux contrats d’exportation de riz. 

«L’Etat doit mettre en place d’une politique volontariste de production basée sur le régime alimentaire de la nation, et doublée d’une stratégie de soutien à des entreprises de transformation, petites et grandes.»

En matière de politique d’autosuffisance alimentaire, si le ministre de l’Agro-industrie et de la Sécurité alimentaire manque d’idées, il peut trouver dans les tiroirs du ministère une étude intitulée : «En marche vers l’autosuffisance alimentaire». Tout y est. Elle est signée de Michel de Spéville, elle date de 1979 ! Et elle est plus pertinente que jamais. 

Au plan macroéconomique, revient sans doute le temps de l’austérité. L’Etat a beaucoup fait dans le clinquant et l’arrogance tapageuse ces dernières années. Une dilapidation qui limite considérablement sa marge de manoeuvre quand la bise fut venue… 

Toutefois, si l’on veut trouver des raisons d’espérer une relance mieux maîtrisée, un nouveau «miracle», l’on peut se souvenir que ce pays a souvent démontré, dans son histoire, une grande capacité à surmonter des épreuves, épidémies meurtrières et cyclones dévastateurs. Maurice ne cesse de se réinventer.

Jean-Claude de l’Estrac, ancien secrétaire général de la COI et ancien rédacteur en chef de l’express, écrivain-historien.