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Histoires de femmes

8 mars 2020, 09:33

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J’ai  froid. Il avait pourtant promis de toujours me chérir et de me protéger des aléas de la vie. On s’est aimé depuis le collège et nous sommes ensemble comme mari et femme depuis onze ans maintenant. J’ai 28 ans. Au début, ça allait. Il était bon avec moi. Nous n’étions pas riches mais nous avions de quoi vivre. Puis sont venus les jurons et les cris. Il me hurlait dessus pour un rien. Il s’est mis à boire. Ensuite, avec les trois enfants qu’il m’a faits, sont venus les coups. J’ai dû sûrement faire des bêtises. C’est pour ça qu’il me frappe. Il me corrige comme on corrige un enfant. Pour mon bien, qu’il dit. Des fois, il frappe aussi les petits. Je me dis qu’il faut les discipliner. Je lui trouve toujours des excuses. Je l’aime. Du moins, je le pense. Des fois, je reste allongée des heures, le corps meurtri. Il va te tuer, me dit la voisine. Mais non, il m’aime. Quitte-le, me dit ma soeur. Mais non, il m’aime. J’ai froid. Ce matin, il m’a donné la mort. 

*** 

J’ai arrêté l’école à dix ans. Je fais grande, pour mon âge. Mon père me dit que je suis son trésor. Il m’a volé ce que j’ai de plus précieux quand j’avais neuf ans. Après, je n’ai plus été une enfant comme les autres. Ce salaud me touchait dès que maman partait travailler. Puis, maman est partie pour ne plus revenir. L’autre, le monstre, m’a vendue au propriétaire de notre taudis. Pour une bouteille de rhum. Puis, sont venus d’autres hommes. Même des garçons de quelques années plus âgés que moi. Ils étaient tous comme des bêtes. J’étais leur chose. Je n’étais plus une enfant. Puis, mon ventre s’est mis à grossir. Pourtant, je ne mange presque rien. Tu es enceinte, me dit une amie. Je ne sais pas qui est le père. Cinq mois, qu’ils m’ont dit à l’hôpital. Tu as aussi le sida, me dit le médecin. J’ai 14 ans.

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Je suis enseignante. J’ai 35 ans. J’ai fait des études universitaires à l’étranger. J’ai de tout temps été une élève brillante et studieuse. J’ai aussi une tête bien faite. Trop bien faite même, me disent les hommes qui me tournent autour. Je dois leur faire peur. Ça effraie les hommes, une femme intelligente. Je dois devenir une «bonne» fille, me disent les aînées de la famille. Sinon, tu n’auras personne qui voudra de toi comme épouse. Déjà que je suis trop vieille pour me marier, selon elles. Sais-tu cuisiner, me demande un garçon qui n’a jamais mis les pieds hors de son village. Sais-tu tenir une maison, m’interroge un homme, qui ne sait pas ce qu’est une université. Je n’aime pas que ma femme travaille, dit celui qui était venu demander ma main à mon père. Pour ces hommes, la femme doit être soumise, bonne cuisinière, excellente ménagère et conne. Non, sans façon. Je préfère mener ma vie comme bon me semble. Je n’ai pas besoin d’un maître. Je suis la maîtresse de ma propre destinée. 

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Le 8 mars, les hommes vont encore venir nous bassiner avec leur Journée de la femme. Nous devons remercier ces êtres supérieurs qui ont bien voulu nous faire l’aumône d’une journée toute à nous. Vous rendez-vous compte, chères soeurs, 24 heures rien que pour nous ! Quelle magnanimité de leur part ! On va oublier les inégalités, les exactions, les crimes, les brimades, les harcèlements, les passe-droits, les humiliations. On va nous faire croire, l’espace d’une journée, que les hommes nous comprennent, qu’ils ont à coeur la défense de nos droits, la consolidation de nos acquis. On sera chouchoutées, choyées, caressées. Nous serons des reines, des princesses. Mais à minuit, paf ! Tout redeviendra comme avant.

Non, n’en déplaise à certains, cette journée n’est pas un cadeau. Les femmes ont certes réalisé de grandes avancées dans beaucoup de domaines mais les vieilles habitudes machistes ont la peau dure. C’est toute une rééducation des hommes qu’il faut faire quand vient le sujet de la femme. Bien sûr, il n’est pas question de traiter les hommes en ennemis de la femme mais plutôt de mettre les deux sur un véritable pied d’égalité. Avec les mêmes droits, les mêmes responsabilités, les mêmes attentes. Et il nous faut aussi savoir combattre le problème récurrent du meilleur ennemi de la femme : la femme, elle-même.