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Démondialisation

4 mars 2020, 09:18

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La peur du coronavirus est-elle rationnelle ? Suffisamment pour expliquer la déroute des marchés financiers. Ou faut-il croire que le rebond du début de semaine traduit un retour au bon sens ?

Une épidémie, c’est anxiogène. Ne serait-ce que parce qu’elle anime en nous cette peur instinctive de la mort. Parce qu’elle nous rappelle notre condition animale et sa fragilité. Si le nombre de cas est encore faible à l’échelle mondiale, si le taux de mortalité est encore en deçà d’autres maladies bien plus dangereuses, notre confiance est néanmoins ébranlée. Ce n’est pas notre santé que l’épidémie ébranle. Ce sont nos certitudes.

La première de ces certitudes qui se fissurent est la promesse que notre capital et notre technologie nous protégeront des aléas du monde de demain. C’est la vision promue par un auteur tel que Yuval Harari, qui envisage un monde dans lequel les élites useraient de la technologie pour se protéger de la mort par les dernières avancées de la médecine, se protègeraient de la pénibilité de la vie par la technologie. Alors que le reste de l’humanité serait fatalement condamné à subir les caprices de la nature.

Une telle vision invite à une approche individualiste. L’idée est que si une personne, une entreprise, un pays sont assez intelligents, prévoyants et riches pour s’emparer de cette technologie et de ce capital, ils feront partie du club des nantis, des survivants.

Tout ce scénario tombe à l’eau quand un microorganisme se promène dans l’atmosphère et dame le pion aux êtres humains, toutes fortunes confondues.

Une épidémie, c’est un phénomène qui invite à des solutions collectives. Brutalement collectives. Quarantaines, voyages annulés, flux de marchandises interrompus. La production mondiale est perturbée. Quand les flux de biens physiques et de personnes sont gelés, ce sont aussi les flux financiers qui suivent. Pas de production, pas de facturation. Pas de moyens pour payer les achats et les salaires, ou encore pour rembourser les dettes. Résultat : une récession anticipée.

Les marchés qui ont rebondi en début de semaine semblent vouloir positiver. L’espoir, c’est que les gouvernements amorcent une politique monétaire plus souple. Ils devraient abonder les marchés de ressources financières afin de soutenir l’activité économique. Cela redonnerait confiance aux investisseurs.

Cependant, cela ne suffit pas à rassurer tout le monde. Pas Bruno Lemaire, le ministre français de l’Économie et des finances. Ses craintes ? Que l’économie mondiale soit en proie à un mal plus difficile à mater : un choc sur l’offre («supply shock»).

Un «supply shock», c’est un arrêt brutal des chaînes de production. Dû à la raréfaction des ressources. Le monde a déjà subi un tel choc dans les années 70 quand les risques de raréfaction du pétrole ont fait plonger les bourses mondiales.

Ces dernières semaines, le ralentissement d’une grande partie de l’économie chinoise a eu cet effet. Les chaînes d’approvisionnement de la plupart des grands noms de la technologie ou de la pharmacie ont été bouleversées. Nombreux sont ceux qui veulent y voir un problème temporaire, qui passera avec la fin de l’épidémie.

Est-ce un problème temporaire ou un risque qui pourrait s’inscrire dans des scénarios plus permanents? Et si les incidents de coronavirus s’avéraient plus fréquents et récurrents ? Dans un tel cas, les industries et les économies ne devraient-elles pas s’organiser différemment afin que le monde entier ne soit pas mis en quarantaine quand la Chine (ou un autre pays) s’enrhume.

Certains commencent donc lentement à appréhender un monde différent. Pour le ministre français de l’Économie et des finances, cette épidémie est un «game changer», un évènement de plus qui marque dans le monde un pas dans une direction de ‘démondialisation’. Dans ce cas, ce ne sont pas les caprices des Américains ou des Chinois qui en sont la cause, mais les caprices de la nature.

C’est de cela dont les économistes ont le plus de mal à appréhender. Car si la ‘démondialisation’ en marche s’installe comme une tendance longue, si le «supply shock» s’avérait impossible à contrer par des politiques monétaires, ce sont toutes les hypothèses de «business as usual» des marchés financiers qui doivent être retravaillées.

En ce qu’il s’agit de l’économie mauricienne, une question se pose : comment nous positionnons-nous dans un monde qui amorcerait une phase de démondialisation ? Avons-nous une autre stratégie? Si notre stratégie est d’espérer que nous pourrons nous mettre à l’abri des tendances mondiales, que la démondialisation en marche ne nous atteindra pas, c’est que nous n’avons pas de stratégie.