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Claudette

26 janvier 2020, 09:15

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Claudette

22 Décembre 1979. Claudette. Il y a de cela 40 ans, un terrible cyclone nous frappait. Leo avait neuf ans à l’époque mais il s’en souvenait comme si c’était hier. La présence de Diane dans nos parages fait remonter en lui des souvenirs qu’il croyait disparus. Diane a, heureusement, frôlé nos côtes sans vraiment faire de dégâts et la population a eu plus de peur que de mal. Mais, en 1979, nous n’avons pas eu cette chance, se dit Leo. «On l’a pris en pleine gueule, la Claudette !» Un chocolat chaud à la main, Leo se cale dans son fauteuil et regarde le ciel dégagé. Ses pensées vagabondent et vont vers cette folle nuit du 22 au 23 décembre 1979, «la nuit où Claudette nous a fait une peur bleue…»

Leo, du haut de ses neuf ans, était l’aîné d’une fratrie de quatre enfants. Le dernier venait tout juste d’avoir un an. Avec sa cadette, âgée de sept ans, et de son petit frère de quatre ans, il passait son temps libre dans le petit bois qui jouxtait leur maison, située dans un des faubourgs de Curepipe. C’était plutôt une case en tôle, une «dépendance» comme on disait à l’époque, toute petite mais qui paraissait très grande à Leo. Les deux pièces de la case étaient propres, tout comme la minuscule cuisine construite à côté. Sa mère y veillait. Son père, laboureur, travaillait comme un forcené. Il faisait de sorte que les enfants avaient de quoi boire et manger tous les jours, même si, le soir, sa femme et lui s’endormaient souvent le ventre vide. 

Il ne restait plus que trois jours avant la Noël. Les enfants profitaient des vacances et jouaient du matin au soir, au grand air. Ils n’avaient que deux petits voisins, qui habitaient la grande maison en béton qui se trouvait à côté de la leur. Tout ce beau monde se chamaillait, se querellait, se réconciliait dans un joyeux tohu-bohu. Le samedi 22 décembre était cependant un peu différent des autres jours. Le temps semblait comme suspendu, le ciel se couvrait, l’air fraichissait. 

Le matin, comme tous les jours, Leo était de corvée d’eau. Il devait aller à la source, située de l’autre côté du bois, pour y ramener de l’eau, car ils n’avaient pas l’eau courante chez eux. Pour ce faire, il avait un «touk» en fer-blanc, qu’il positionnait sur sa tête, au retour. Leo était devenu très adroit dans l’art de ne pas faire tomber ne serait-ce qu’une goutte d’eau, à force de faire le même exercice matin et soir. Sa cadette l’accompagnait. Elle avait un seau. Ils faisaient le trajet de plus de 500 mètres autant de fois qu’il le fallait, jusqu›à ce que la grosse «barrique» en plastique, qui se trouvait prés de la cuisine, soit remplie. 

Les enfants aidaient aussi leurs parents, en allant ramasser du bois sec pour la cuisine ; en gardant les poulets et le coq féroce qui gambadaient tout autour de la maison ; en «triant» le riz, les grains secs ou les brèdes. Leo allait aussi à la boutique, située à un kilomètre et demi de chez eux. 

Ce samedi-là, les voisins ont dit que la radio annonçait qu’un cyclone venait tout droit sur le pays. Le papa de Leo a allumé la petite radio à piles et les enfants écoutaient religieusement les bulletins de la météo. La musique qui annonçait ces bulletins résonne encore aux oreilles de Leo, 40 ans après. Claudette. C’est ainsi que ce cyclone s’appelait. Leo pouvait lire l’inquiétude sur le visage de ses parents. 

Vers 13 heures, la météo a émis l’alerte 3. Le danger était réel. La pluie est venue, un véritable rideau d’eau, opaque. Le vent grondait, violent. Les tôles qui recouvraient le toit de la case battaient un séga endiablé. Les petits étaient effrayés. Leo tremblait. De froid, de peur, il n’en savait rien. À la tombée de la nuit, personne n’osait manger ni boire. Les rafales de pluie et de vent faisaient trembler les frêles murs de la case. Personne ne dormait. 

Vers 22 heures, on est passé en classe 4. Cela voulait dire que Claudette était sur nous, couvrant l’île de toute sa puissance dévastatrice. Vers minuit, toute la petite famille s’est refugiée dans la maison en béton des voisins. Et ils ont attendu le lever du jour ainsi, priant pour que leur maison soit épargnée. Le matin, l’apocalypse régnait toujours. Ce n’est que vers midi que tout s’est calmé. Claudette s’en allait. Personne n’avait été blessé. La petite case était toujours là mais la cuisine n’existait plus… 

Leo sortit de sa rêverie. C’est loin tout ça, se dit-il. Néanmoins, il sait que Claudette avait tué, ce soir-là. Six personnes avaient trouvé la mort, 34 autres blessées et plus de 3 700 Mauriciens étaient sans abris. «Pourvu que nous n’ayons plus jamais d’autres Claudette…», murmura Leo.