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Le choix du salaire minimum

4 décembre 2019, 07:37

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Après les patrons du textile, voilà les petits entrepreneurs qui râlent sur le salaire minimum. Un salaire pas réaliste au vu des conditions de leur business, disent-ils. Et si chaque business hésite au recrutement comme ils le pensent, serait-il possible que le salaire minimum devienne un frein au recrutement au travers de toute l’économie, une recette à fabriquer le chômage ?

C’est aussi ce que dit la théorie économique néolibérale. Une théorie que réfutent pourtant les économistes en faveur du salaire minimum. Eux disent que cela ne crée pas de chômage. Pour caricaturer, ils disent que tant qu’un Américain a faim, il achètera son burger chez McDonald’s, même si le burger coûte un peu plus cher... Et qu’il y aura toujours besoin de ‘burger flippers’ même s’il faut les payer un peu plus cher. Le salaire minimum aurait alors un effet sur le prix des burgers, mais pas sur l’emploi.

Est-ce vrai dans la pratique ? Notamment aux États-Unis ? Depuis que la technologie nous donne accès à des banques de données massives, il est plus aisé de tester la théorie. Certains économistes s’y sont aventurés. (Cengiz, Dube, Lindner et Zipperer, 2019). Une étude a été réalisée sur 138 évènements portant sur l’introduction ou la réévaluation du salaire minimum entre 1979 et 2016 aux États-Unis.

Cette étude conclut que le salaire minimum n’a pas créé de chômage… Il n’a fait que faire basculer des salariés pauvres dans une catégorie de salaires plus élevée. Cela n’a pas affecté non plus les autres tranches de salaire et donc pas le marché de l’emploi dans son ensemble. Tant que la demande pour les produits et services produits par ces employés au salaire minimum subsiste, l’économie s’adapte. Donc, tant que l’Américain avale son burger tout va bien ?

Il y a un bémol à cette étude. Elle révèle que, si les emplois de ‘burger flippers’ ont été préservés, ceux du secteur manufacturier ont ete perdus. Doit-on en conclure que le salaire minimum n’a pas d’effet sur l’emploi tant que ces emplois vont satisfaire une demande interne nationale qui ne peut pas s’approvisionner ailleurs ? Les économistes de cette recherche ne vont pas aussi loin dans leurs conclusions. Ce qui ne nous empêche de nous poser nous-mêmes la question : est-ce une bonne idée de maintenir le salaire minimum à Maurice ?

Électoralement, c’est brillant. Économiquement, c’est moins sûr. Beaucoup moins sûr car Maurice ce n’est pas les États-Unis. Notre marché interne est restreint et notre économie est tournée vers l’exportation. Ce qui fait que la demande pour nos produits n’est pas locale mais provient d’acheteurs étrangers, qui nous mettent en concurrence avec des pays qui pratiquent des salaires très faibles.

Si les statistiques racontent une histoire chez nous, c’est celle de l’affaiblissement de la demande de nos produits et services (sucre, textile, tourisme, offshore). En clair, si les étrangers trouvent nos produits trop chers et qu’en plus les salaires pour les produire sont plus élevés, nous risquons d’être coincés à la fois par la demande affaiblie et les coûts plus élevés…

Une question se pose alors : peut-on choisir un salaire minimum dans une économie portée vers les marchés d’exportation ? Ou faudrait-il alors sacrifier toute velléité de salaire minimum pour satisfaire l’exigence de s’aligner sur les coûts de production de nos concurrents, avec des salaires au-dessous du minimum ?

Il se trouve que les Mauriciens, eux, veulent du salaire minimum. Nombreux sont ceux qui ont voté en ce sens. Ils ont voté pour une économie qui reprend le contrôle des inégalités et décide par elle-même de la rémunération des plus vulnérables de ses travailleurs. Reste que si la demande pour nos produits s’affaiblit à quoi seront employés les Mauriciens ? Comment éviter le chômage ?

Dans la conjoncture, le pays aurait alors deux choix.

Le premier est de décider que nous allons tout faire pour que les étrangers continuent d’acheter nos produits. Ce qui veut dire de laisser glisser la roupie pour maintenir notre compétitivité à l’international. Au final, tous les salaires libellés en roupies diminueraient sauf ceux du bas de l’échelle qui auraient été soutenus par le salaire minimum. Les conditions actuelles sont réunies pour ce scénario.

Le deuxième choix, plus audacieux, serait de lâcher prise avec l’idée de vendre à l’international et de recentrer les stratégies de production et de commercialisation pour satisfaire les besoins matériels des Mauriciens eux-mêmes. Les Mauriciens changeraient de jobs. Ils ne seraient plus dans les usines ou dans les hôtels mais dans les champs pour produire notre alimentation, dans les ateliers pour produire nos vêtements, dans des petites usines pour fabriquer des biens de consommation courante qui ne seraient plus importés massivement de l’Asie.

Drôle d’idée ? Peut-être… Cela parait étrange de poser la problématique en ces termes. Étrange et surréaliste dans un pays qui, dès sa conception, a choisi d’exporter du sucre et d’importer à peu près tout le reste, y compris son riz et sa farine. C’est pourtant le modèle de l’économie plus durable, locale et circulaire du futur.