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Une nouvelle approche à la pauvreté
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Une nouvelle approche à la pauvreté
Éradiquer la pauvreté. Ce terme ressemble à une promesse électorale. D’autant plus que le monde de la recherche en économie n’y a pas accordé une très grande attention ces dernières années, les économistes préférant se pencher sur la création de richesses, censée soulever tous les bateaux dans une même vague.
Mais la sphère économique change. Les lauréats du prix dit ‘Nobel’ d’économie (en fait un prix donné par la Banque de Suède) de 2019 sont un trio inhabituel. Esther Duflo, Abhijit Banerjee et Michael Kremer ont été récompensés pour leurs recherches sur l’efficacité des politiques d’aide au développement et à l’éradication de la pauvreté.
Leur posture se démarque de leurs pairs. Ce qui a piqué leur curiosité est le constat que les politiques d’aide au développement sont imprévisibles. Parfois, elles sont efficaces. Parfois, elles échouent platement. Pourquoi ? C’était un mystère. Du coup, si quelqu’un croit tenir une baguette magique, éprouvée ailleurs, rien ne dit que sa baguette magique marchera sur son territoire.
Le trio de chercheurs estime que pour comprendre quel est le meilleur choix de politique, mieux vaut se libérer de son savoir et… descendre sur le terrain. C’est là, et nulle part ailleurs, que se trouve la réponse. Pour cela, ils ont développé une approche expérimentale. Ils testent des formules d’aide un peu comme on teste un médicament : avec un groupe qui est aidé et un autre qui ne l’est pas. S’il y a une différence entre les deux groupes, c’est que la formule d’aide marche.
Leurs expériences ont porté sur des micro-problèmes dans le contexte spécifique du Kenya. Exemple : donner plus de livres à des enfants pauvres permet-il de faire baisser l’échec scolaire ? La réponse : oui, mais seulement pour les plus doués... Autre exemple : pour que les pauvres s’occupent de leur santé et prennent des médicaments de manière préventive, faudrait-il subventionner le prix de ces médicaments ou les leur donner gratuitement ? Preuves à l’appui, c’est le gratuit qui fonctionne au Kenya, disent les lauréats du prix Nobel. Au Kenya seulement. Ailleurs, il faudrait recommencer l’expérience avant de se prononcer.
Ce mode de recherche en économie ébranle quelque peu le système. Il apporte de l’eau au moulin de ceux qui estiment utile de tenir à l’écart les bureaucrates dogmatiques, ceux qui aiment gagner à tous les débats, ceux qui intimident les fonctionnaires… mais n’ont jamais mis un pied sur le terrain, jamais partagé la condition et le quotidien des plus pauvres. Ces bureaucrates, on les aime bien. On veut bien les écouter. À condition qu’ils apportent la preuve de l’efficacité de leurs propositions. C’est ce que demandent désormais les organisations non-gouvernementales qui financent leurs projets.
L’approche des économistes du prix Nobel est attrayante. En tout cas, elle est dans l’air du temps, rassurent les sceptiques. Elle promet de révolutionner le monde de la finance sociale dans les pays en développement. L’inconvénient, cependant, est que l’adopter pourrait comprendre des coûts cachés qui retarderaient l’aide aux pauvres. En effet, s’il fallait initier de telles recherches avant chaque financement, le coût du financement pourrait s’avérer prohibitif.
Malgré tout, l’intérêt de ce prix Nobel est qu’il réhabilite l’idée que c’est la réalité du terrain qui devrait être le premier critère de décision dans le choix d’une formule d’aide. Et pas la connaissance théorique des bureaucrates. À vrai dire, fallait-il une recherche pour arriver à cette conclusion ? Ou n’est-ce, finalement, que la consécration de la supériorité du bon sens sur le dogme ?
Ici, à Maurice, après un mandat politique qui a vu une réforme brutale de la politique de CSR, on comprend que ce prix Nobel apportera de l’eau au moulin des travailleurs sociaux. Peut-être fallait-il un prix Nobel pour comprendre que le travailleur de terrain a une bien meilleure vision de l’efficacité de son projet que le bureaucrate ?
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