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Bombe digitale

25 septembre 2019, 09:39

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Et boum ! Thomas Cook est à terre. Le voyagiste le plus ancien, avec 178 ans d’histoire, n’aura pas survécu à la concurrence de la vente par internet, aggravée par l’incertitude du Brexit.

La chute de Thomas Cook s’inscrit dans une transition du marché du voyage qui avait déjà été amorcée. Une transition qui remet en cause la pertinence du modèle de l’intermédiation de la vente de voyage par des agences. Thomas Cook était une agence ancienne qui n’avait pas entamé avec suffisamment de conviction le tournant pour un business model numérique (digital). Dans son modèle, une part importante (trop importante) de ses ventes reposait sur des agences avec pignon sur rue ou un service par téléphone pour convaincre le client. Moins souvent et, surtout, pas suffisamment, l’agence vendait par le biais de l’internet. Sauf que vendre par internet revient à apporter sur un plateau une marge à des géants du web tels qu’Expedia et Booking.com. Pour survivre, il aurait fallu que Thomas Cook lui-même soit plus fort sur le web que ces deux marques. Cet objectif n’a jamais été atteint.

Si Thomas Cook a maintenu ce modèle, c’est qu’il n’y a encore pas très longtemps, les professionnels du voyage y croyaient. La garantie d’une marque d’agence était, à leur avis, un élément essentiel de la vente de vacances de longue distance. Par peur de se tromper sur un budget voyage élevé, les touristes recherchaient la sécurité du service d’encadrement et de conseil de l’agence. C’est une hypothèse de moins en moins vraie. Il y a fort à parier que la chute de Thomas Cook apporte un coup d’accélérateur à la migration vers le web, les derniers récalcitrants ne trouvant plus le service habituel de l’agence.

C’est un coup dur pour l’hôtellerie mauricienne. Dans un premier temps, elle devra composer avec des réservations qui auront été annulées (voir pages 15&21). Plus durablement, elle devra s’ajuster à l’onde de choc que la chute de Thomas Cook aura sur les comportements d’achat de vacances des Européens. Longtemps, la destination s’est appuyée sur des partenariats de vente avec des agences de voyages. Les hôteliers, comme Air Mauritius, ont certes amorcé le tournant du web. Mais, mais cela reste encore trop modeste. Le pays accueille déjà des touristes qui ont acheté leurs billets d’avion seuls, leurs hôtels seuls. Pourtant, on ne sait pas encore dans quelle mesure un basculement plus rapide que prévu des voyageurs vers le web affectera la compétitivité de la destination.

Outre cette bombe digitale, pour les commentateurs du monde de la finance, la faiblesse de Thomas Cook était aussi ailleurs. Le groupe avait privilégié un business model où il était le propriétaire de ses avions et de certains hôtels. Un choix qui l’exposait à des frais fixes élevés et des pertes en périodes creuses. À en lire les commentateurs étrangers, opérer un hôtel ou un avion est un métier à part entière. Un métier à risques.

Pendant ce temps, ici à Maurice, il y a de nombreux Thomas Cook en gestation. La faiblesse de notre modèle est que nous ne maîtrisons pas la relation directe avec le client. Cette relation appartient désormais aux géants du web. Nous opérons pour notre part de nombreux hôtels, pour lesquels les propriétaires se sont endettés. Nous opérons aussi une compagnie d’aviation en difficulté. Bref, notre part de la valeur ajoutée est placée dans le maillon le plus faible de l’ex-Thomas Cook. Et cela se voit dans les résultats financiers qui tombent cette année.

La Bourse a commencé à sanctionner ces titres de ces hôteliers, et même les meilleurs. Depuis le début de l’année, Lux aura perdu 21 %, Sun Resorts 40 %, NMH 23 %. Et Air Mauritius 19 %. Au-delà de ces cours au rabais, les volumes des échanges ont baissé. Les acheteurs ne se bousculent pas.

Le temps où il suffisait d’ajouter un hôtel à son portefeuille pour faire grandir ses bénéfices est terminé. Aujourd’hui, les bénéfices reviennent à ceux qui sont libres de dettes plutôt qu’à ceux qui visent la croissance. À ceux qui maîtrisent leurs coûts à la roupie près. En clair, si le business model hôtelier et touristique n’est pas encore à mettre au placard, il est à bout de souffle. Il peine déjà à s’ajuster aux effets de la transition numérique. C’est sans compter les effets, largement médiatisés mais pas encore ressentis, de la transition énergétique. Avec des ressources pétrolières mondiales sous contrainte, la composante de transport deviendra l’élément clé du business model touristique.

C’est une tendance longue que le secteur touristique mauricien commence tout juste à appréhender. Tout juste…