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Mauritius Leaks

31 juillet 2019, 08:16

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«C’EST LÉGAL ! C’est légal ! C’est légal !» Les professionnels du Global Business ne décolèrent pas. Après avoir sabré dans toutes les zones d’ombre, renoncé aux compagnies GBL2, les accusations d’évasion fiscale de l’enquête Mauritius Leaks leur paraissent injustifiées. Ce qu’on leur reproche ? D’aider les riches et les puissants de ce monde à éviter l’impôt en toute légalité, et priver les États africains de revenus d’impôts. Ce qui n’est pas éthique.

Bienvenue au 21e siècle. Le siècle de tous les paradoxes. Un siècle où il sera plus que jamais difficile d’exercer un discernement entre ce qui est légal et ce qui est éthique. Car, de tous temps, ce qui est légal n’est pas forcément éthique. La loi n’est que le reflet des rapports de pouvoir qui existent et se sont figés dans des codes de conduite à un instant précis.

Autant la loi est rigide, autant l’éthique est insaisissable. Elle prend naissance dans des mouvements populaires, émerge sans qu’on ait le temps de la voir venir et influence tôt ou tard les détenteurs du pouvoir. L’éthique se passe d’affirmation. Elle n’est porteuse que de questions. Elle exige des individus, des leaders et des sociétés qu’ils se réfèrent à des valeurs.

 

Quelles sont les valeurs du Global Business mauricien ? Si la seule réponse est d’exercer dans la légalité, de jouer intelligemment sur les nuances de la légalité et de s’en sortir blanchi par les tribunaux, le business ne peut pas prétendre être porteur de valeurs. C’est un comportement qui répond d’un leadership égocentrique construit sur des intérêts. Il ne fait pas écho dans le monde international dans lequel nous voudrions nous distinguer.

Qu’est-ce qui précisément fait écho dans la société ? Difficile à dire.

 Lorsque la mondialisation était à la mode, le pouvoir d’écrire les lois pour l’humanité entière avait été transféré des États individuels à des États fédéraux. Ou encore à des instances internationales chargées de trouver un consensus mondial pour la gestion des affaires des États et du business. L’offshore pouvait encore s’aligner derrière l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui prône l’idée que celui qui facilite les échanges est forcément vertueux, derrière l’esprit de liberté qui n’engage que les signataires aux accords bilatéraux (et que le reste du monde n’a pas à s’en mêler).

Mais la mondialisation n’est plus à la mode. L’OMC voit passer les guerres de tarifs sans être en mesure de les influencer. Le reste du monde se mêle des accords bilatéraux. En parallèle, l’ONU peine à trouver du financement et ses directives n’intimident pas les puissants. Les guerres de tarifs sont la nouvelle guerre froide. L’exercice du pouvoir se concentre désormais sur certaines zones d’influence qui se permettent de dicter leur vision du monde, leur appétit de domination, leurs excès, leurs intérêts.

 En face, le contre-pouvoir, c’est la rue. De Paris à Hong Kong, le contre-pouvoir ce sont ces masses qui veulent plus de solidarité et d’écologie et d’égalité. C’est une vague qui inspire des journalistes et des électeurs et fait valoir ce qu’elle juge juste et important. Elle travaille sur les opinions publiques et définit à sa façon les contours de la nouvelle éthique. Tel est son pouvoir.

 C’est dans ce nouveau contexte que le Global Business mauricien est appelé à se réinventer. S’il veut comme par le passé soigner son image, rester un citoyen du monde modèle, il est condamné à voir se rétrécir son terrain de jeux année après année. Car son terrain de jeux, aussi légal soit-il, n’inspire plus la génération qui monte.

 S’il veut garder à tout prix son terrain de jeux, il devra prendre ses distances de l’éthique. Chercher moins à cocher toutes les bonnes cases auprès de l’OCDE que toutes les bonnes cases auprès des apporteurs de business. Adopter l’insolence de ceux qui voient passer tous les jours des reportages désagréables à leur égard et qui continuent néanmoins d’asseoir leur pouvoir sur l’ordre du monde. La clé du succès du Global Business mauricien sera alors moins de gérer son image que ses relations. De choisir avant tout quel intérêt servir. Celui des Chinois, des Américains, des Européens ? De quelle multinationale ?

Les Mauriciens ne sont pas très à l’aise avec cela. Forts de nos miracles économiques passés, nous avions imaginé que notre destin était de nous ériger en modèle d’une mondialisation heureuse. Or, notre réalité sera d’assumer notre rôle dans une mondialisation plutôt égocentrique et malheureuse.