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Tuer son enfant à petit feu

31 mars 2019, 08:20

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Tuer son enfant à petit feu

«Mo zanfan sa. Mo gagn drwa fer sa ki mo anvi ar li.» Oui, j’ai le droit de lui donner à boire, par exemple. Ou de le tuer. D’ailleurs, je suis même en train de le tuer. Mais, et c’est là toute la «beauté» de l’acte, je suis en train de le tuer avec la complicité de tout le monde. Sans que je ne sois le moindrement inquiété. Pourtant, je n’ai rien d’un tueur ou d’un assassin. Je suis un père que beaucoup qualifient de responsable. Contrairement à cet autre, pris en flagrant délit de donner à boire de la bière à son très jeune enfant. Un acte capturé sur vidéo, laquelle a été rapidement propagée sur les réseaux sociaux. Choquant notre socié-té bien pensante, «lepep admirab» clouant au pilori ce «père indigne». À juste titre d’ailleurs

Oui, les gens bien-pensants s’offusquent et sont révoltés quand on voit des parents fermant les yeux sur leur propre enfant qui grille une cigarette, qui vont aller jusqu’à l’allumer pour lui, qui lui tendent la bouteille de bière ou un verre de boisson plus fortement alcoolisée, ou même, qui vont jusqu’à fumer du gandia avec lui, par exemple. «Sa, pa fer sa ! Kan pa konn swagn zanfan, péna pou met zot lor later. Oubien, donn zanfan-la enn dimounn ki kapav bien elvé li !» Combien de fois n’a-t-on entendu ces paroles, quand «lepep admirab» a été témoin d’un de ces actes précités. Ou même, de quelque chose de pire. Soit. Mais moi, je suis en train de faire des choses similaires à mon jeune fils et, pourtant, on me laisse faire.

J’ai été vu lui tendant la bouteille, le faisant boire à même le goulot, le regardant ingurgiter la boisson sans que cela ne provoque de remords chez moi. Ou chez les personnes témoins de la scène. J’ai été vu lui achetant une bouteille, quand il n’avait pas d’argent. J’ai été vu partageant avec lui le contenu de la bouteille, sans que cela ne fasse le tour du Net. J’ai été vu, aussi, lui donnant à consommer des produits hautement néfastes à sa santé, toujours sans aucunes réactions de la société. Comment cela est-ce possible ? Je suis en train de tuer mon enfant. Ce n’est pas que j’ai voulu cela. Non. Mais j’ai commencé à programmé sa mort dès son plus jeune âge. Il était encore quasiment un bambin quand je lui ai donné à boire pour la première fois. Je ne parle pas de lait ici. Ni d’eau ou d’alcool. Mais de boissons gazeuses. Oui, de ces boissons là, ces breuvages «si doux, si innocents». Si tentants pour un très jeune enfant. Ces boissons, ces «colas» si addictifs, sont vite devenues comme une drogue pour mon fils. Quel enfant qui n’aimerait pas une de ces boissons fortement sucrées, dont les médias, tous sup-ports confondus, vantent les mérites matin, midi et soir ? 

Mon fils de 16 ans a le diabète de type 2. Il est en surpoids, affiche un taux d’hyperglycémie horrifiant, ce qui l’amène à boire encore plus (je ne parle pas d’eau, ici) et à manger plus que d’habitude, il a des troubles de la vision, commence à avoir des complications cardiaques et sa vie se caractérise par une indolence quasi permanente. Tout ça fait qu’il n’est plus une personne sociable, ne cherche pas à faire les activités que beaucoup d’ados de son âge font et qu’il est devenu accroc aux boissons sucrées et à la bouffe rapide, riche en matières grasses, qu’on retrouve dans presque tous les points de restauration rapide situés dans nos centres commerciaux.

Son surpoids – il pèse beaucoup plus que moi, déjà – fait qu’il n’a plus confiance en lui-même. Il est souvent victime de brimades de la part de ses «camarades» de classe, choses qui le font déprimer. La déprime entraîne un surplus de consommation d’aliments réconfortants – plus c’est gras, plus il aime – et il passe quasiment ses moments libres enfermé dans sa chambre, scotché à sa télé ou à ses consoles de jeu. 

Je sais désormais, depuis qu’il a été diagnostiqué de sa maladie, que c’est moi le coupable dans cette situation. Je le tue à petit feu depuis 14 ans maintenant. Je ne sais plus quoi faire pour arrêter cela. On a consulté. On a été voir des thérapeutes. On a essayé mille choses. Rien ne semble marcher. Il est accroc au sucre et aux matières grasses. Mais je garde espoir de le voir guérir. Si seulement on m’avait dit de ne pas lui donner à boire..