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Questions de volume
Ça gaze au ministère des Services publics. Ragaillardi par la visite du président mozambicain, on s’apprête à lancer la State Trading Corporation (STC) sur la piste du tout nouveau gaz naturel liquéfié (LNG). Avant de se lancer dans un business si différent de nos habitudes, il est toujours utile de cerner le contexte. Quels sont les rapports de force qui s’y jouent ? Quel est le rôle éventuel que nous voulons jouer ?
Le secteur des ressources naturelles est une industrie mondialisée qui raisonne selon une logique globale avec des effets de volume. Quand un Big Oil se lance dans un projet, la taille de son investissement dépasse notre entendement. Par exemple : pour la phase 1 de son projet de LNG au Mozambique (rien que pour la phase 1…), le consortium mené par la pétrolière américaine Anadarko s’apprête à investir 14 milliards de dollars. C’est autant que le PIB entier de Maurice ou du Mozambique. Sept fois la capitalisation boursière de la MCB !... Autant dire que ce n’est plus le Mozambique qui possède des réserves de LNG mais l’industrie du LNG qui possède désormais le Mozambique.
Dès lors, en ce qui nous concerne, le Mozambique est un apporteur d’affaires, surendetté de surcroît, qui veut que les projets avancent pour rembourser ses dettes. Ses intérêts sont alignés sur ceux des pétrolières américaines, soit Anadarko et Exxon, qui ont les projets les plus avancés.
Que veulent ces grands promoteurs de mégaprojets ? La multinationale Shell, dans sa dernière édition de LNG Outlook, explique que «Most suppliers still seek long-term LNG sales to secure financing».
Aussi, avant d’obtenir 14 milliards de dollars des marchés financiers, Anadarko, qui a le projet le plus abouti, veut des contrats en béton avec des clients en béton. À mai 2018, l’agence de presse Reuters estimait qu’Anadarko aurait sécurisé des achats fermes de près de 5 millions de tonnes de gaz par an (sur une production annuelle estimée à 12,8 millions de tonnes). Pas mal, mais tout de même un peu moins que les 8,5 millions de tonnes qu’exigeraient les investisseurs et banquiers.
Les acheteurs, pour leur part, sont-ils prêts à s’engager sur des contrats fermes ? À première vue, on ne se bouscule pas. Shell estime que «LNG buyers increasingly want shorter, smaller and more flexible contracts so they can better compete in their own downstream power and gas markets».
Dans notre cas, que cherchons-nous ? Construire une turbine à gaz à Fort George et signer un contrat à long terme pour sécuriser les approvisionnements locaux ? Pourquoi pas ? Sauf que, si les enjeux n’étaient que locaux, les Mozambicains ne se seraient pas déplacés. Notre future turbine à gaz n’est qu’une poussière dans les flux mondiaux. Les Mozambicains ont déjà donné le ton des négociations : «le volume est de première importance».
C’est là qu’on regarde le Mozambicain dans les yeux et qu’on essaie de poser des questions avant de se faire une opinion. Que veut dire volume ? Dix fois Fort George ? Vingt fois ? Cent fois ? Donc, pour être en affaires, il faut aller prendre un risque de prix sur autant de fois nos besoins réels.
S’il faut non seulement nous approvisionner mais aussi trouver du volume, on nourrit l’ambition de construire une plateforme de courtage et de logistique. Une plateforme qu’il est possible de construire avec Rs 8 milliards. La construction, c’est la partie la plus facile du projet. En revanche, pour la faire marcher, c’est une autre paire de manches. Si nous voulons que le LNG passe par chez nous, il nous faut nous adjoindre les services d’un courtier.
Savons-nous ce que veut dire le courtage ? Un courtier est un spéculateur. Il achète (dès maintenant ? sur des contrats fermes comme le veulent les promoteurs ?) du LNG dont il n’a pas besoin, avec des engagements financiers bien supérieurs à Rs 8 milliards, pour le revendre (c’est un pari) à un prix supérieur à son achat. Et pour tout compliquer, notre courtier devra convaincre ses clients de changer leur chaîne logistique pour passer par chez nous. Si ça marche tant mieux, il fait une marge sur un gros volume. Si cela ne marche pas, l’appel de marge opère en sens inverse et c’est l’effet de massue.
Si le courtier est un opérateur privé, de surcroît un expert du marché des commodities, c’est le jackpot pour le pays. Il apporte l’expertise, le capital, il prend les risques. Il n’engage que lui. Les Mauriciens l’accueillent à bras ouverts. En revanche, si c’est la STC qui pilote le projet, si les investissements et les garanties financières viennent de l’État mauricien, ce seraient vous et moi qui prendrions ces risques, garantis sur l’ensemble de l’économie.
Il est temps de poser la question : qui sera le courtier ?
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