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Militant, un combat

25 novembre 2018, 08:28

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25 novembre 1971. Curepipe, rue Chasteauneuf. Il est 15 h 30. Un coup de feu retentit. Une voiture vient d’être prise pour cible. Un homme meurt. Azor Adélaïde. C’est un assassinat politique, le premier de la toute jeune île Maurice fraîchement indépendante. L’homme tué était un sympathisant, un «soldat» du Mouvement militant mauricien (MMM), nouveau venu sur la scène politique, créé deux ans auparavant. Était aussi, et surtout, visé ce jeudi noir de notre histoire politique, un jeune homme. 26 ans, l’oeil vif, la moustache fringante, le blouson noir de rigueur. Paul Bérenger. Secrétaire général du MMM et déjà leader incontournable des gauchistes, marxistes-leninistes, contestataires de tout poil, syndicalistes de tout acabit et militants des causes perdues. Il avait essuyé deux coups de feu tirés en sa direction, alors qu’il se trouvait devant la mairie de la Ville lumière, quelques minutes avant qu’Azor ne soit tué. Il ne fut pas touché. Le mythe Bérenger venait d’acquerir son aura quasi mystique.

Quarante-sept ans plus tard, au-delà du fait de se souvenir d’un attentat politique qui eut lieu à une autre époque, dans des contextes sociaux qui ne sont plus les mêmes, que nous reste-t-il comme enseignement ou comme héritage de cet épisode douloureux de notre passé ? Le MMM, après 1971, connut des hauts et des bas. Ses principaux dirigeants de l’époque connurent la prison pendant une année, de fin 71 à fin 72. Il connut aussi ses premières scissions, le tout début d’une longue liste de cassures qui ne vont jamais le quitter depuis, quand Dev Virahsawmy claqua la porte du parti en mars 1973 et partit fonder son MMM Sans Paul. Bien sûr, il y a eu aussi des épisodes heureuses. Mais, mise à part le gouvernement de 2000 à 2005, ces épisodes laissèrent un goût amer aux lèvres des militants. Paul Bérenger se présenta deux fois devant l’électorat en tant que candidat au poste de Premier ministre, avec le MMM seul ou comme locomotive d’une alliance. En 1983 et en 2010. Le MMM fut à chaque fois battu. De là à dire que Bérenger, ce bourreau de travail, faculté que lui reconnaîssent même ses plus farouches adversaires, est ce politicien que «everybody love to hate», il n’y a qu’un pas qu’on franchit allègrement. Le bonhomme est un fin stratège en ce qu’il s’agit de coups politiques. Ou peut-être devrions-nous dire «était» ?

Depuis la défaite électorale de 2005, 13 longues années se sont écoulées, sans aucune victoire aux consultations populaires, qu’elles soient générales, municipales ou même partielles (la dernière défaite remonte à presqu’un an, au n° 18). Ce parti qui jadis, même seul, ramenait régulièrement plus de 40 % du vote de l’électorat, n’est plus que l’ombre de lui-même. Moins de 15 % des Quatre-Bornais, dans une circonscription qui a longtemps plébiscité Paul Bérenger, lui ont fait confiance il y a un an. Le MMM, depuis, a connu de nombreux départs (encore).

Les défaites et les départs causent toujours un affaiblissement général d’un quelconque organisme. Lequel peut reprendre du poil de la bête après. Mais dire que le MMM, en 2018, est plus fort que jamais, c’est faire preuve d’un optimisme déraisonnable. Car cela veut dire que malgré la défaite de 2014, malgré la claque de 2017, malgré le départ de Steve Obeegadoo et consorts (après les départs des Ganoo, Barbier, Ramano, Joomaye et autres Lesjongard), le parti, si les élections ont lieu l’année prochaine, les remportera haut la main. Seul et contre tous. Et Paul Bérenger sera Premier ministre. Non ?

Malheureusement pour le MMM, pour ce qui fut l’un des deux plus grands partis de notre histoire politique moderne, la réalité est tout autre. L’autre grand parti, le Parti travailliste, a lui aussi connu une sévère défaite en 2014. Un désaveu populaire qui fut comme un message envoyé aux dirigeants. Mais là où le PTr semble avoir fait son mea culpa, avec Navin Ramgoolam affirmant haut et fort qu’il veut rompre avec le passé et pratiquer une nouvelle forme de politique, celle de la rupture, le MMM semble, lui, plutôt rester dans sa zone de confort, disant partout que «tout va bien, Mme la Marquise», et que ceux qui affirment le contraire ne sont que des «gros poumons».

Les élections générales sont toutes proches. 2019 verra un pays en campagne électorale. Quelles configurations politiques verrons-nous? Le MMM ira-t-il seul ou fera-t-il alliance ? Si oui, avec qui ? Serait-ce une formule gagnante ? Sinon, serait-ce une énième défaite électorale qui guette les Mauves ? Au final, Azor Adélaïde, qui aurait eu 94 ans aujourd’hui, si la Providence en avait voulu autrement, reconnaîtrait-il son parti ? Ce parti qui, dit-on, compte plus de militants à l’extérieur qu’à l’intérieur de ses structures… Repose en paix, Ton Azor.

Jayen Teeroovengadum