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Grève de la faim et tentation démagogique

21 juillet 2018, 11:30

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Plusieurs facteurs se combinent, alors même qu’il ne reste plus que 17 mois avant la dissolution du Parlement, pour que les grèves de la faim connaissent dorénavant un fort taux de succès. Premier facteur, l’échéance électorale. Ce qui pousse le gouvernement à choisir la voie de la moindre résistance face aux revendications sociales et économiques exprimées à travers des grèves de la faim. Cette forme de contestation est jugée pernicieuse pour tout gouvernement.

Deuxième facteur, le souci des spin-doctors à promouvoir systématiquement l’image de Pravind Jugnauth comme un caring Prime Minister, un personnage lisse, dépourvu de toute aspérité. Cela pour compenser son absence de charisme face à son adversaire direct, Navin Ramgoolam. Troisième facteur, garder l’option d’une alliance avec le MMM ouverte et cela ne pourrait se faire si le gouvernement est tellement acculé que le MMM hésiterait à venir sauver Pravind Jugnauth de la débâcle.

Pourtant, on avait l’impression, durant le week-end dernier, et en début de semaine, que le gouvernement avait choisi la voie de la fermeté face aux revendications jugées injustifiées des «sinistrés» de Tranquebar, Bambous et Baie-du-Tombeau. D’ailleurs, le gouvernement n’avait pas hésité à recourir à la manière forte en mobilisant la police régulière et d’autres hommes en uniforme pour faire évacuer les centres sociaux où des sinistrés s’étaient réfugiés.

Ce qui semblait très significatif, c’est que l’action musclée s’était produite à un moment où le Premier ministre se trouvait hors du territoire, entamant une visite privée à l’étranger. Ce qui mettait carrément sur le dos du Premier ministre suppléant, Ivan Collendavelloo, la manière dure, ou plutôt karé-karé, employée pour mettre fin aux revendications de ceux qui cherchaient une maison et davantage que Rs 10 000 par mois de la part du gouvernement.

Pravind Jugnauth se mettait tout simplement en position de «pa mwa sa, li sa» si jamais des problèmes survenaient plus tard. Selon toute évidence, Collendavelloo, jugé produit remplaçable, a été programmé pour être éjecté quand le mode alliance avec le MMM sera enclenché.

Deux événements sont toutefois venus bousculer le plan de moyens forts adopté contre les sinistrés. Tout d’abord, les expulsés des centres sociaux ont décidé d’entamer une grève de la faim. Ensuite, la visite du chef de l’Église aux grévistes de la faim a été un game changer, comme dans le cas de Showkutally Soodhun suivant une rencontre avec le Premier ministre.

 À partir de ce moment, c’est la carte de l’apaisement, à mettre au crédit de Pravind Jugnauth, qui a été utilisée. La tentation démagogique l’emporte, même si elle ouvre la voie à une série de revendications allant crescendo jusqu’à l’ouverture officielle de la campagne électorale.

 Bien que jouissant d’une confortable majorité au Parlement, c’est au jardin de la Compagnie que le gouvernement a subi une série de tests qui ont mis à mal sa détermination à diriger avec fermeté les affaires du pays. Le premier test est venu des détenteurs des comptes Super Cash Back Gold. Le gouvernement, déjà affaibli par le départ du PMSD et la rébellion de Roshi Bhadain, laissa des plumes lors de cette épreuve.

Quand des femmes affectées au nettoyage des écoles, et qui ne touchaient que Rs 1 500 comme salaire des entrepreneurs privés, ont opté pour une grève de la faim afin de devenir des employées de l’État, on leur avait donné peu de chances de réussite. Pourtant le gouvernement a cédé sur toute la ligne, ce qui a ouvert la voie à d’autres revendications soutenues par des grèves de la faim.

 C’est sur le compte des anciens contractuels de la CWA qu’on met un autre succès du genre. Leur cas a été porté devant le sorcier Dev Manraj, connu pour sa capacité à trouver des solutions à des problèmes les plus épineux. Et en dernier, ce sont les sinistrés de Berguitta et d’autres cas d’intempéries, en situation grève de la faim, qui remportent la victoire. Ainsi, cinq familles de Baie-du-Tombeau et de Tranquebar sont devenues, du jour au lendemain, propriétaires de maisons à Quatre-Cocos.

En donnant satisfaction aux grévistes de la faim, le gouvernement ouvre toutes grandes les écluses pour d’autres mouvements de revendication. Par exemple, que se passerait-il si les 170 personnes qui ont fait un versement chacune d’au moins Rs 300 000 dans un projet de morcellement de Patrick Soobhany décident, elles aussi, d’avoir recours à une grève de la faim pour corriger une grave injustice ? En effet, ce projet est techniquement bloqué au niveau des institutions de l’État. Soobhany est l’homme qui a fait chuter le ministre Raj Dayal quand l’affaire «bal kouler» a éclaté.

 Même si Dayal n’est plus ministre, Soobhany, semble-t-il, subirait une «correction» afin de servir d’exemple aux entrepreneurs qui seraient tentés de dénoncer des politiciens quand des transactions n’aboutissent pas. De ce fait, les 170 futurs acquéreurs dans le morcellement Soobhany seraient injustement pénalisés et même s’ils décident de saisir les tribunaux d’un cas de victimisation, cette affaire prendrait des décennies avant d’être résolue.

Pourquoi ne pas choisir la voie efficace, rapide et garantie de succès qu’est une grève de la faim ? Sans l’ombre d’un doute, ces 170 Mauriciens cherchent à mettre un toit sur la tête de leur famille. À Quatre Cocos ou à Gros-Cailloux, un toit c’est un toit. Pourquoi priver 170 Mauriciens, et leurs familles, de ce droit légitime, sinon sacré ?