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Mové zer

11 avril 2018, 08:06

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Mové zer

Ce vendredi 13, si vous croisez un chat noir en chemin, la meilleure chose à faire, c’est de cracher trois fois. C’est ce que nos grands-parents ont toujours fait depuis des siècles. Cracher trois fois pour conjurer un mauvais sort est l’équivalent de prendre une infusion de feuilles d’ayapana contre les maux d’estomac. On le fait pour éviter d’avoir des boutons aux yeux quand on a malencontreusement aperçu un chien en train de faire pipi ; pour nous protéger contre les mauvais esprits lorsqu’on entend un chien en train de pleurer, lorsqu’on tombe sur des cocos cassés dans un coin de rue, et pour empêcher la malédiction lorsque quelqu’un dit du mal de nous. De la même manière, on touche du bois lorsqu’une pensée négative nous traverse l’esprit et qu’on ne souhaite pas qu’elle nous arrive. Parfois, on dit simplement : «Boner pou mwa, maler pou twa.»

Même si on vit à l’ère des technologies de l’information et de la connaissance scientifique, certaines croyances perdurent, transmises de génération en génération, pour nous préserver du mal, du mauvais oeil et de la mort. Lorsqu’on rentre le soir après minuit, les gran dimounn nous disent de passer le seuil de la porte à reculons pour ne pas laisser entrer un esprit méchant dans sa maison. Il nous faut aussi placer un balai devant la porte une fois à l’intérieur. Lorsqu’on emporte à manger, il faut toujours emmener un peu de sel et du piment sec dans son sac. Il est aussi recommandé de mettre ses sous-vêtements à l’envers lorsqu’on sort le soir, ne pas se parfumer, ne pas s’arrêter et s’asseoir sous un arbre la nuit, ne pas grimper sur l’arbre ou uriner sous l’arbre. Si on doit cueillir des fruits ou des feuilles de l’arbre, il faut faire une petite prière pour demander la permission. Il ne faut pas non plus cueillir des fleurs après 6 heures le soir, sinon un mauvais esprit pourrait nous suivre. Si on rentre d’un enterrement, il faut jeter de l’eau derrière soi trois fois avant d’entrer dans la maison.

Au temps de nos grands-parents, ces croyances avaient force de loi. Dans les maisons, il y avait toujours la belle-mère très attachée aux traditions qui obligeait la bellefille enceinte à rester au lit toute la journée lorsqu’il y avait une éclipse, pour éviter que son enfant ne naisse avec des complications. Elle n’avait pas le droit d’effectuer les travaux domestiques ce jour-là, et surtout pas d’attraper des ciseaux ou autres objets tranchants. Elle devait également éviter de manger des fruits collés l’un à l’autre pour être sûr de ne pas avoir des bébés siamois et de regarder quelqu’un souffrant d’une difformité pour ne pas avoir un enfant similaire. Et lorsqu’elle manifestait l’envie de manger quelque chose, son entourage devait tout faire pour la satisfaire de crainte que l’enfant naisse avec des taches sur la peau.

Le soir, il fallait toujours placer un objet en acier, des ciseaux ou un coupe-ongles, sous l’oreiller d’un nouveau-né pour lui éviter de faire des cauchemars. Il ne fallait pas tordre son linge après le lavage sinon l’enfant aurait des douleurs au corps. À la naissance d’un deuxième enfant, on laissait l’aîné prendre son bain dans l’eau utilisée pour le bain du bébé pour qu’il ne soit pas jaloux du nouveau-né. Quand le bébé avait le hoquet, on prenait un petit bout de fil à coudre et le plaçait sur son front, et lorsqu’il pleurait sans arrêt, on tournait une poignée du sel autour de sa tête pou tir lizié. Pour un enfant qui n’a pas encore commencé à parler, on lui donnait à manger une goyave qu’un oiseau aurait au préalable becquetée. On ne faisait jamais passer un enfant par la fenêtre car cela le prédestinerait à devenir un voleur, ne l’allongeait jamais sur une table car il se retrouverait sur une table d’opération et ne l’asseyait jamais sur une ros lavé ou une ros kari, car il aurait des boutons.

En grandissant, lorsque l’enfant perdait sa dent de lait, pour être sûr que la dent repousse, il lui fallait l’envoyer sur la maison en disant : «Léra léra pran mo lédan donn mwa to lédan.» Et pour arrêter de faire pipi au lit, il lui fallait dire bonswar lakaz bonswar lakwizinn trois fois avant d’aller se coucher le soir.

L’autre sujet autour duquel on a toujours eu beaucoup de superstitions, c’est le mariage. Les jeunes s’entendaient souvent dire : «Pa manzé dan karay sinon kan to maryé pou éna syklonn.» Une jeune fille ne devait pas non plus s’asseoir devant une personne en train de vann diri sinon elle se marierait dans un endroit loin de ses parents. Elle ne devait pas couper le fruit du jacquier au risque de tomber enceinte dan lakaz so mama. Lorsqu’on faisait des rotis à la maison, il ne fallait jamais laisser une jeune fille sortir le tawa du feu sinon elle n’aurait pas de mari.

Les superstitions étaient d’abord censées nous rassurer. On faisait de sorte de les respecter pour éviter que quelque chose de fâcheux se produise. Par exemple, si on tenait à entretenir de bonnes relations avec quelqu’un, on évitait de lui donner un pot de piment, un couteau, des ciseaux ou un balai en main propre, il valait mieux poser celui-ci sur une table et inviter la personne à le prendre.

Dans la maison, il ne fallait jamais garder deux balais au même endroit pour éviter des disputes dans la famille. Et il ne fallait jamais rouler le baba ros kari quand il n’y avait rien sur la roche cari pour ne pas avoir des conflits entre enfant et parent. Lorsqu’on entrait dans une nouvelle maison pour la première fois, on posait toujours le pied droit en premier, on ne se coupait jamais les ongles le soir, et on ne s’asseyait jamais sur le seuil de la porte pour manger au risque de finir comme un mendiant.

Il ne fallait jamais laisser un pigeon emporter un brin de nos cheveux de crainte qu’on ne devienne chauve. On ne disait jamais non plus à quelqu’un qu’on avait semé des karis poulé de peur que l’arbre ne grandisse pas. On demandait toujours à quelqu’un d’autre de planter notre cocotier dans la cour et on ne devait jamais dire merci lorsque quelqu’un nous offrait une tisane. Pour éviter de dépenser de l’argent, il nous fallait éviter de balayer la maison le soir, de compter notre argent sur le lit et de déchirer du papier dans la maison. Par contre, il nous fallait acheter des billets de loterie lorsqu’un pigeon nous faisait l’honneur de nous chier dessus pour nous porter chance. De plus, on attrapait le bout de sa robe et lui faisait un bisou lorsqu’elle s’accrochait à quelque chose en chemin, pour avoir une robe neuve.

Souvent dénoncées comme stupides, les croyances restent un réservoir de connaissances dans lequel on ne perd rien à puiser pour trouver des solutions au quotidien, ou du moins, pour y apporter un peu de poésie. Si vous attendez quelqu’un qui tarde à arriver, vous ne perdez rien à vous mettre sous une table et crier son nom. Quand vous êtes en chemin et une meute de chiens vous empêche de passer, essayez de croiser les doigts et dire : «Saint Roc, ramas to lisien.» Si vous devez de l’argent à quelqu’un et vous vous trouvez dans l’incapacité de le rendre, prenez une corde et faites 7 noeuds, la personne ne viendra pas vous le réclamer. Pour faire partir un cancrelat, retournez vos savates. Quand un invité ne veut pas partir de chez vous, essayez de mettre du sel sous sa chaise. Quand un arbre ne porte pas de fruits, prenez un sabre et faites semblant de taper dessus lors d’une éclipse et expliquez que vous le faites parce qu’il ne rapporte pas et que vous lui pardonnez pour cette fois.

On dit des superstitions qu’elles sont fondées sur la crainte ou l’ignorance, néanmoins, elles sont bel et bien autour de nous. Lorsqu’on fait tomber une cuillère, on laisse aussitôt échapper : «Alala, kompanié pou vini!» Et si on se met à avoir une sensation d’étranglement à la gorge, on dit aussitôt : «Kikenn pé koz mwa.» Et si vous entendez un lézard crier pendant que vous lisez ce texte, c’est que tout ce que vous venez de lire est vrai. Pa dir pann dir.