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Réduit au silence

4 mars 2018, 07:59

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Tout ce qui brille n’est pas or. Mais le platine peut, lui, valoir de l’or. De beaux bijoux même, faits du précieux métal. Ah, la magie d’une belle carte Platinum... parce que vous le valez bien ? Le Réduit est sous les feux des projecteurs depuis quelques jours. Des achats, quelque peu luxueux, font tiquer. Et devant tant de magnificence, des Mauriciens se montrent stupéfaits. On dit que la femme de César doit être au-dessus de tout soupçon. Cela vaut encore plus pour César lui-même. Le locataire du Réduit doit être comme la blanche colombe : immaculé.

Depuis quelques jours donc, celle qui fut citée en exemple pour sa rigueur scientifique et pour son beau parcours académique, de même que pour le symbolisme d’être la toute première femme à accéder au poste de chef de l’État mauricien, cela malgré le fait qu’elle ne sort pas du sérail politique habituel, cette femme d’exception, donc, a adopté une posture défensive, rejetant en bloc les informations publiées à son sujet. Cela fait du mal à son image. Combien de petites filles et de jeunes femmes se sont identifiées à elle, voyant en sa personne un modèle et un exemple à suivre ? Combien de coeurs brisés ou d’espoirs déçus depuis mercredi ?

La polémique enfle. Et tant que le silence perdurera du côté du Réduit, la boîte à palabres, une spécialité «Made in Moris», va fonctionner à plein régime. «Swa tifi, swa ti garson.» Soit tout ce qui a été publié est vrai. Soit tout est faux. Dans lequel cas, il serait facile à la locataire du Réduit de venir prouver les faits. C’est tout à son honneur. Sinon, si elle ne le peut pas, ou si elle continue à se taire et à vaquer à ses occupations, la pression populaire va s’accentuer. Et elle portera le flanc à bien des attaques, qu’elles soient politiques ou citoyennes.

Maurice ne peut s’offrir le luxe de voir sa présidente plonger au coeur d’un imbroglio médiatique. Que juridiquement parlant, la chef de l’État n’aurait rien à se reprocher, est un fait. Qu’il faut bien sûr prendre en considération. Mais, d’un autre côté, sur le plan moral, devant les questions posées sur la source de l’argent et sur la nature des objets achetés (alors que le but de la carte serait d’ordre éducatif et académique), des interrogations seraient légitimes (si la véracité des documents publiés est prouvée).

Et le Premier ministre Pravind Jugnauth dans tout cela ? Jeudi, lors d’une rencontre au Réduit, les deux plus hauts personnages de l’État semblaient mal à l’aise devant les invités et la presse. Si on doit se fier aux photos de l’événement, le langage corporel du PM était celui d’une personne sur la défensive, en proie à un stress moral et qui affichait une sorte de rigidité physique envers la présidente. De l’autre, les bras croisés de la chef de l’État, ses esquives envers les gens de la presse montraient, elles aussi, une attitude défensive et fermée.

Pravind Jugnauth peut-il se payer le luxe d’une crise politique à la tête de l’État ? À quelques jours de la Fête nationale, où l’invité d’honneur est le président indien, le Premier ministre a-t-il les moyens de faire face à une éventuelle démission de la présidente ? Peut-il prendre le risque de prendre position en sa faveur ? Peut-il prendre le risque de prendre position contre elle ? Et Maurice dans tout cela ? Honneur et réputation sont des principes qui s’appliquent au pays aussi. Pour moins que cela, en 1989, un député avait, sur une question de principe, démissionné du Parlement, provoquant une élection partielle. Autre temps, autre moeurs…

Sans surprise, des députés de la majorité, des ministres et autres affidés du gouvernement, invités à commenter l’affaire de la carte Platinum de la présidente, n’ont trouvé rien de mieux à dire que ceci (outre le standard «je ne suis pas au courant…») : «On trouve étrange qu’un journal ait osé mettre en péril l’image d’une institution bancaire» ; «on est inquiet pour notre secteur bancaire» ; «c’est antipatriotique ce que ce journal a fait»… Je ne sais pas pour vous, mais moi, là, je viens d’entendre les battements d’ailes d’un ange, qui s’est enfui, dégoûté devant tant d’hypocrisie et de «faux-culisme». Passons…

Silence au Réduit. Réduit au silence. Le peuple est-il lui aussi réduit au silence ? La motion «of no confidence» n’est pas seulement d’ordre politique. Elle pourrait être populaire aussi. «Maladi ti-poul, ti-kanar ki paye.» Entendez par-là que c’est le gouvernement qui risque de payer les pots cassés au final. Et de se faire platiner.

Jayen Teeroovengadum