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Tolérance et respect

18 février 2018, 08:05

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Grand-Bassin. Dans trois jours, le 2 mars 2068, c’est la fête Maha Shivaratree, la grande nuit du dieu Shiva. Alexandra Rumjhee, Première ministre de Maurice, doit, elle, se rendre, ce soir, au Ganga Talao, à l’invitation de la grande fédération des temples hindous. La libre-penseuse qu’elle est, qui ne pratique aucune religion, respecte néanmoins les croyances et la foi religieuse de ses concitoyens. Elle avait accepté l’invitation, pour ne pas déroger à la tradition. Sa seule présence suffisait. Elle se contentera d’observer et d’écouter. Tout en s’imprégnant de la sérénité du lieu.

Son cabinet savait que les ministres devaient s’abstenir de tout passe-droit s’ils se rendaient euxaussi au Grand-Bassin. «Vous laissez le pèlerinage aux pèlerins. Notre devoir à nous est de veiller à leur sécurité. Pas de jouer aux vedettes», leur avaitelle dit. «On ne va pas y faire de la politique, donc pas de prise de parole en public. Un ministre de la République ne participe pas activement à des rites religieux. On laisse cela aux dévots.»

«La tolérance et le respect de l’autre nous ont permis de consolider la cohésion sociale de ce pays durant toutes ces années», se dit-elle, en arpentant les allées ombragées de la Clarisse House, vieille bâtisse qui sert de lieu de détente à la Première ministre, quand elle veut s’échapper de la pesante atmosphère de son bureau hypermoderne de Wooton. En repensant au pèlerinage annuel, elle se dit que tout se passe bien jusqu’à présent. Pas d’embouteillage monstre sur les routes, le métro faisait son boulot, les pèlerins étaient disciplinés et tout le monde était content.

Elle avait lu que des années de cela, des automobilistes restaient bloqués des heures dans leurs voitures, couvrant à peine quelques mètres en une heure, voire bien plus, au plus fort du pèlerinage. Cela n’est plus le cas depuis une trentaine d’années, avec les règlements stricts de la police, par exemple sur la dimension des «kanwars» (qui avait pris une tendance vers le gigantisme, au mépris de la sécurité des dévots eux-mêmes) ou sur la façon la plus sûre de se déplacer en groupe, sans mettre aucun usager de la route en danger. Mais aussi grâce à des actions de conscientisation citoyenne, qui ont fini par mettre un frein au laisser-aller (il y en avait) de certains pèlerins.

Assise sur un des bancs du jardin, elle réfléchissait sur le concept de la laïcité de la République. Concept qui a fini par entrer dans la vie quotidienne du Mauricien lambda. Grâce aussi à la révision de la Constitution, en 2029. «Ça a pris du temps, mais on est enfin arrivé à faire comprendre à tout le monde qu’il est important de séparer politique et religion. De ne pas mêler le religieux aux activités quotidiennes de la République. Et vice versa.» Pas question pour elle de céder aux appels du pied de certains groupuscules, qui veulent la voir prendre une part plus active dans leurs activités.

«Et bien sûr, les chaînes de télévision, comme les autres médias, n’ont pas à montrer mes moindres faits et gestes lors des cérémonies auxquelles j’assiste. J’occupe déjà trop l’espace médiatique avec mes activités professionnelles. Les Mauriciens n’ont pas à subir ma tronche pendant leurs célébrations religieuses !» s’esclaffa-t-elle toute seule.

Sa rêverie est brisée par un message qui s’inscrit sur la lentille de contact spéciale de son oeil droit. Le leader de l’opposition voulait lui parler. Elle donna un ordre mental à son assistant personnel virtuel et, quelques secondes plus tard, elle parlait à Trishan Sadhien. Il voulait connaître son heure d’arrivée à Grand-Bassin, le soir. Alexandra, qui appréciait l’ancien Premier ministre pour sa vive intelligence et sa grande science politique, lui proposa de faire un bout de chemin, à pied, avec elle, juste à l’entrée du lac sacrée. «Avec plaisir», lui répondit-il. Avant de lui parler de choses politiques.

La conversation close, la Première ministre se fit une note mentale : sa ministre de la Santé n’avait pas encore déposé les réponses aux questions que le chef de l’opposition lui avait demandées trois jours auparavant, au Parlement. «Trois jours, c’est déjà deux de trop !» Elle allait lui passer un savon. Alexandra Rumjhee tenait à ce que ses ministres fassent le boulot pour lequel ils sont payés. «Bientôt, c’est le centenaire de l’Indépendance», se dit-elle, en prenant place à bord de son aéromobile…

Jayen Teeroovengadum