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Et au milieu coulait une rivière
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Et au milieu coulait une rivière
Sous la route se cache une rivière… Et la promesse de miracle économique venue par la route semble plus glissante et incertaine qu’auparavant.
Au-delà de la nature du sol sous nos pieds, cette découverte géologique a aussi dévoilé la nature des raisonnements qui ont mené à la décision de construire cette route. L’avait-on vue, cette rivière ? Pouvait-on la voir ? Voulait-on la voir ? Seuls qui ont décidé à ce moment savaient… Ce qui n’empêche tout un pays de se livrer actuellement à une compétition ouverte de sarcasmes contre ceux qui assurément auraient pu savoir, auraient su faire autrement et auraient tout piloté différemment.
Nous sommes-nous seulement posé cette question : pouvait-on ne pas faire cette route ? Quand bien même nous aurions reçu une opinion claire à l’effet qu’elle était impossible et risquée ? Quand bien même les aléas de la construction, quand bien même le coût exorbitant ? Peut-on s’imaginer aujourd’hui que ce même flot de voitures, qui enjambent patiemment les obstacles de la déviation actuelle, soit demeuré sur l’ancien tracé passant par Port-Louis ? Peut-on les imaginer pare-chocs contre pare-chocs, attendant patiemment leur tour aux robots de la Place d’Armes? Que ceux qui auraient préféré que la route ne soit pas construite lèvent la main ! Nous sommes tous responsables puisque tous demandeurs impatients.
Entre-temps, nous restons avec la rivière et nos voitures, transformées en 4x4, qui se tracent un chemin par-dessus. Et des décideurs qui tentent de naviguer par-dessus les aléas de sa consolidation. Aux prises avec les extrêmes auxquels nous a mené le choix d’une vie dépendante de la voiture pour sillonner l’île à loisir.
Cette route a coûté cher à construire, cher à réparer. Coûtera sans doute durablement cher à entretenir. C’est le prix à payer pour le modèle de développement que nous avons choisi, où la voiture est reine et irremplaçable.
Le prix à payer pour maintenir cette promesse de développement par la voiture se révèle lourd ailleurs également. Prenons, par exemple, le dossier controversé du métro léger. On a sacrifié pour sa réalisation des maisons, un quartier et maintenant des rangées d’arbres qui sont la bouffée d’air frais du quartier. Un projet qui, si l’on tient compte du fait que nos ressources en énergie sont rares, sera bientôt rare, reste un investissement nécessaire dans le contexte du développement urbain de bien des générations à venir. Qui serait plus facile à vendre s’il n’y avait ces arbres qui lui font obstacle.
Pourtant, si ces arbres étaient traités à leur juste valeur, si la voiture n’était pas reine, les solutions pour les sauver auraient pu être simples. Imaginons simplement que le métro léger passe le long de l’actuelle route dédiée aux voitures plutôt que sur l’espace réservé aux arbres. Vous l’imaginez ? Non ! Personne ne conçoit une seconde de vivre avec les embouteillages sur les axes secondaires, ou à marcher plus souvent pour garder les arbres dans l’environnement.
Tout en économie est une question d’arbitrage entre deux biens, entre deux choix qui ont, en théorie, une valeur, même s’il est difficile de la chiffrer. L’erreur est de favoriser ce qui se chiffre aux dépens de ce qui ne se chiffre pas. Il s’agirait de poser la question pour comprendre la valeur relative de chaque choix. Qu’est-ce qui a plus de valeur aux yeux du public : l’arbre sous lequel se promener ? Ou la voiture qui offre un déplacement individuel confortable ? Les deux. Les Mauriciens veulent garder les arbres et la voiture. Et ce n’est pas une critique à l’égard de ceux qui veulent préserver les arbres…
L’aménagement urbain est le défi de ce tournant de siècle, siècle qui, on l’oublie trop souvent, sera celui de la raréfaction de l’énergie. Choisirons-nous de reproduire la myopie du XXe siècle, quand on avait éliminé d’un trait le rail dans l’euphorie de la manne pétrolière ? Ou choisirons-nous de prendre conscience des arbitrages entre les rivières, les arbres, les transports en commun, les transports individuels et les hommes.
Sortons un élément de l’équation, rayons un élément du discours et nous aurons effectivement raté le tournant du siècle. Nos discours sont-ils aussi visionnaires que nous voulons bien le croire ? Ou nous entraînent-ils vers des choix de plus en plus insensés ?
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