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La particularité des leçons

14 février 2017, 14:18

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Petit préambule, à titre d’information : je n’ai aucune prétention d’apporter des solutions, ni de pointer un doigt accusateur vers tous ceux qui seront concernés par le sujet de ma chronique. Je ne fais que situer le débat et qu’apporter un éclairage sensible sur un sujet qui fâche, et qui est revenu sur le devant de l’actualité ces derniers jours : les leçons particulières.

Déjà, le nom donné aux cours de rattrapage ou de consolidation pour élèves se disant «faibles» dans une matière quelconque, cours offerts par des enseignants, généralement après les heures de classe ou en week-end, le nom, disais-je, est une aberration ! Tout comme nos fameux «marchands ambulants» ne le sont absolument pas (car trop fermement ancrés sur leur petit bout d’asphalte pour qu’ils aillent «déambuler» ailleurs), les leçons, dites particulières, ne sont absolument pas, en règle générale, «particulières» !

Cette particularité mauricienne ne semble pas avoir d’équivalent au niveau international. À l’étranger, soit il n’y a pas nécessité d’avoir recours à des leçons privées, car le système éducatif est tel que les élèves n’en ont pas besoin ; ou, ces leçons de rattrapage sont régies par des règlements plus ou moins officiels, qui dictent les conditions dans lesquelles cet exercice de consolidation pédagogique doit se faire. Avec, en règle générale, un ratio prof : élève très bas, plus propice à l’apprentissage et à la connaissance.

Pourquoi a-t-on recours aux leçons particulières ? Pour de nombreuses raisons. Essayons d’en cerner quelques-unes. À la base de cette problématique se trouve notre système éducatif. Presque un demi-siècle après notre indépendance, l’éducation mauricienne a très peu changé. Mises à part des réformes plus ou moins imposées, réformes tout aussitôt effacées par un nouveau gouvernement entrant, le système est resté le même : un prof qui délivre un cours magistral (que ce soit au primaire, au secondaire et même dans l’enseignement supérieur) et des élèves-éponges qui absorbent cet «enseignement» (spoon-feeding) pour le régurgiter lors des différents examens qui jalonnent leurs parcours académiques.

 

Car, oui, notre éducation publique se limite, hélas, dans son ensemble, à faire nos enfants passer des examens ! Nous n’avons qu’à voir avec quel appétit nous commentons certaines étapes dans la vie académique de nos rejetons : «Ton enfant a eu quelle école primaire ? Il a dû passer par un examen avant d’intégrer cette école ? Tu as dû ‘trasé’ pour avoir cette ‘star school’ ? Quels sont ses résultats du CPE (très bientôt on voudra savoir ses résultats du PSAC), de la Form III National Assessment, du SC, du HSC, entre autres ?»

Les examens rythment la vie de l’enfant. Il ne peut y couper, sinon il sera broyé par le système. Ne serait-il pas temps de cesser de voir l’arbre afin de mieux voir la forêt ? De cesser de voir les lauréats (l’élite existera toujours) et de voir plutôt ces dizaines de milliers d’élèves qui échouent en fin de cycle primaire ou en SC et HSC ? Même des élèves de nos deux collèges Royal ont échoué aux derniers examens du HSC ! Et pourtant, n’étaient-ils pas la crème de la crème sept ans auparavant ? La majorité de ces élèves prennent des leçons particulières, car ils croient que cela les aidera à réussir les différents concours académiques. Mais est-ce vrai ?

Une éducation repensée

Notre système éducatif doit évoluer. Nous ne pouvons plus continuer avec un modèle qui date du 20e siècle. Regardons ce qui se fait de bien dans des pays qui ont changé d’orientation pédagogique (les pays scandinaves, par exemple) et prenons un peu des leurs pour le mélanger avec un peu du nôtre (nous avons de jeunes pédagogues dynamiques et avant-gardistes dans notre Institut de pédagogie et dans nos universités, qui ne demandent qu’à travailler pour ces enfants du 21e siècle). Et que le gouvernement, peu importe lequel, cesse d’expérimenter avec l’avenir de nos enfants et apporte, une fois pour toutes, un vrai «education shift»

Sans diminuer le rôle de nos gouvernants dans ce qu’on pourrait appeler notre échec scolaire (car pourquoi doit-on passer sous silence le sort de ces milliers d’enfants broyés par le système?), les parents aussi portent une part de responsabilité dans la perpétuation des leçons privées. Ils essaient de donner le maximum de chances à leur enfant et vont chercher des profs pour une aide pédagogique particulière. Souvent sans vérifier la qualité des leçons données, les conditions dans lesquelles se tiennent ces cours, et si vraiment l’enfant en a besoin. Les parents, en général, se dédouanent de leur responsabilité en se disant «mo pé donn li léson, mo pé fer tou pou li». Que faire dans ce cas ?

 

Et les profs dans tout cela ? Il ne faut pas leur jeter la pierre. Que ce soit au primaire ou au secondaire, il y a une demande pour les leçons privées. Qui dit demande dit offre. On ne peut reprocher aux profs d’offrir leurs services contre rémunération. C’est un accord entre les parents et l’enseignant. Mais, si beaucoup de profs respectent vraiment le mot «particulière», en ne donnant des leçons qu’à de très petits groupes, voire en mode «one-to-one», ils sont plusieurs à avoir des «classes» de plus de 50 élèves. Quid des conditions d’apprentissage : le lieu, la visibilité, l’aération, l’hygiène, le confort, etc. ? Quid de l’attention individuelle à laquelle un élève de «leçon» pense avoir droit ? La problématique est grande.

 

Est-ce logique de donner des «leçons», une fois la semaine au secondaire, par exemple, pendant 90 minutes, à de grands groupes d’élèves, alors que ces mêmes profs se plaignent de l’exiguïté de leurs salles de classes au collège ou du ratio 1:40 que le ministère leur impose pendant les heures de cours ? Ceux qui sont pour les leçons privées ne veulent pas de son abolition. Car certains enfants ont vraiment besoin d’une attention particulière. Mais que cela soit réglementé. Et les élèves qui sont contre n’ont qu’à ne pas prendre de leçons et à être, disons, plus présents en classe. Les exemples d’élèves n’ayant jamais pris de leçons privées et qui ont réussi abondent. Preuve que certains peuvent faire sans. La balle est lancée. Une collaboration des parties prenantes serait souhaitable au débat. Et même vitale.