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Qui retient sa langue ?

3 août 2016, 16:03

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Qui retient sa langue ?

 

L’article de Lina Myte Pascal, The Creole disillusion a provoqué une belle activité, de nombreux commentaires sur notre site. Si l’on trouve des convictions très enracinées chez nos commentateurs, de même que des opinions très contrastées, force est d’admettre que, dans l’un ou l’autre cas, les avis relèvent davantage d’opinions militantes que d’observations fondées dans la recherche. Mais ces avis sont stimulants, ils invitent au moins à poser quelques autres questions.

• Les Polonais qui travaillent aux Nations unies, à la Banque Mondiale, au Vatican ou à la FIFA s’y expriment en anglais, en français, en italien ou en espagnol mais pas en polonais, cette dernière ne figurant pas parmi les langues de travail des grandes organisations internationales. Doit-on pour autant suggérer aux Polonais de négliger l’apprentissage de leur langue parce qu’elle n’est pas en demande sur la marché international de l’emploi ? Si nous considérons que les Polonais ont droit à leur culture et à leur langue, pourquoi les Mauriciens en seraient-ils privés.

• Plus de la moitié de la population mondiale utilise chaque jour deux langues ou davantage. Si la recherche en sciences cognitives est encore partagée sur les avantages et inconvénients du monolinguisme et du multilinguisme, au plan pratique il est largement reconnu que ceux qui connaissent plusieurs langues disposent là d’atouts importants. Apprendre le créole veut-il dire renoncer aux ressources requises pour apprendre l’anglais et le français ? Et le mandarin et le russe si on voulait vraiment percevoir les choses à l’échelle du monde.

• Des 6 000 langues parlées aujourd’hui, encore vivantes, il est prévu qu’il en subsiste entre 500 et 3 000 dans un siècle. En 2003, déjà, un rapport de l’Unesco notait qu’il meure environ une langue tous les quinze jours. Les plus exposées à disparaître sont les langues sans écriture. Quant au passage à l’écrit, c’est qui est aussi arrivé un jour pour les grandes langues triomphantes d’aujourd’hui, il ne se fait jamais de manière unanime. C’est de la confrontation des graphies, des orthographes qu’un consensus finit par apparaître. Il n’est pas étonnant qu’il en soit ainsi à Maurice aussi. Mais est-ce vraiment raisonnable d’affirmer que les enfants ne doivent pas apprendre le créole à l’école ? A quoi sert-il de résister à la normalisation de l’écrit, notamment à travers le dictionnaire unilingue qui  existe depuis sept ans déjà ?

• Evitons de tenir, en matière de langue, des propos de privilégiés. Bien-sûr que les enfants des mieux lotis et des mieux éduqués d’entre nous arrivent à l’école avec un patrimoine linguistique déjà largement supérieur à celui attendu en fin de cycle primaire. Bien-sûr que, pour eux, la langue de l’école, celle des rédactions et des descriptions, ne sera jamais un problème. Bien-sûr qu’ils seront admis dans une très bonne université. Mais qu’en est-il des autres, de ceux qui malgré les médias, The Voice, le cinéma, continuent à arriver en début de scolarité sans connaissance de l’anglais et du français, ceux qui doivent subir l’enseignement de l’inconnu au moyen de l’inconnu ?