Publicité

Affaire Narayan v/s le cerveau

15 décembre 2015, 15:46

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Affaire Narayan v/s le cerveau

La phrase «J'aurais voulu que mes seins soient mon cerveau» imprimée en rouge sur des t-shirts, c'est l'une des dizaines de publicités que la Media Watch Organisation et Gender Links ont réussi à faire interdire avec le concours de Vidya Narayan. Cette publicité avait été placardée dans toute l'île sur des poubelles et même devant des bâtiments très connus comme l'institut de formation de De Chazal Du Mée (DCDM) à Quatre-Bornes, devant la mairie de Port-Louis, devant le théâtre de la capitale, devant le Jardin de Pamplemousses et sur d'autres poubelles.

Oui Vidya, lorsque j'ai logé une plainte formelle devant vous en votre capacité de directrice générale de la Sex Discrimination Division, vous avez immédiatement demandé à une équipe de l'Unité d'Intervention Rapide de la police de sillonner l'île et d'enlever cette publicité. La compagnie de t-shirts n'avait pas réalisé à quel point cette publicité dénigrait les femmes et vous lui avez prouvé que le cerveau des femmes n'est pas dans leurs seins mais qu'il se trouve exactement là où il doit être.

Il est malheureux qu'après que toute la nation mauricienne et la région aient appris que vous seriez nommée vice-présidente de la République, vous ayez dû refuser le poste à la veille de votre prestation de serment. Avec la modestie et l'humilité qui vous caractérisent, vous n'avez jamais fanfaronné à propos de l'aide que vous avez apportée à des organisations comme les nôtres pour que la justice du genre règne et que les femmes ne subissent pas la discrimination.

En vous offrant la vice-présidence de la République, le Premier ministre a essayé de montrer la voie et d'indiquer que les femmes peuvent atteindre les sommets après avoir nommé Ameenah Gurib Fakim comme présidente de la République et Maya Hanoomanjee comme Speaker de l'Assemblée nationale. Lorsque votre nomination a été évoquée, nous avons pensé qu'il y avait une nouvelle aube pour les femmes de ce pays et cela nous a donné l'espoir qu'il y aurait une réforme électorale afin qu'un plus grand nombre de femmes fassent leur entrée au Parlement.

L'approche neutre du genre au sein de la nouvelle loi sur les collectivités locales nous a montré que le changement était possible lorsqu'il y a un engagement politique. Avec cette loi, le nombre de conseillères est passé de 6.4% à 26% lors des élections des collectivités locales de décembre 2012 et ce faisant, nous sommes passés de la 14e place parmi les 15 pays de la Communauté de Développement de l'Afrique australe (SADC) à la sixième place.

Le modèle mauricien est maintenant utilisé dans la région. Une délégation du Zimbabwe est venue à Maurice en juillet 2015 pour se familiariser à cette bonne pratique. L'ébauche du Livre Blanc sur la réforme électorale qui s'inspire de la nouvelle loi sur les collectivités locales est très progressiste avec son approche neutre du genre pour les femmes alignées comme candidates aux élections générales. Nous sommes sûres que le nouveau gouvernement fera un effort pour le faire voter par les parlementaires.

Au cours des élections générales de 2014, les femmes ont régressé par rapport au nombre de femmes parlementaires au sein des 15 pays de la SADC. Maurice qui occupait la 10e position avec 19% de femmes parlementaires a reculé de deux places, occupant désormais la 12e place avec un faible 12% de femmes parlementaires. Maurice a rejoint les pays ayant le plus faible pourcentage de femmes au Parlement, à savoir les Malawi, Zambie, République démocratique du Congo et Botswana.

L'article 12 du Protocole de la SADC sur le Genre et le Développement demande que «les Etats membres mettent tout en œuvre pour que d'ici 2015, au moins 50% des postes de décision dans les secteurs public et privé soient occupés par des femmes, y compris par le biais de discrimination positive». Maurice n'a pas signé ce Protocole. Maintenant qu'il est en révision et que nous avons fait du lobbying pour que l'expression «discrimination positive» soit remplacée par les mots «mesures spéciales», nous espérons que Maurice signera ce document critique pour l'égalité du genre.

Les femmes offrent des perspectives différentes, importantes et d'intérêt dans le processus de prise de décisions qui sont souvent négligées en raison de leur manque de représentation en politique.

Ayant été la première femme juge à la Cour Suprême, la première femme à diriger la Sex Discrimination Division et la seconde Ombudsperson for Children après Shirin Aumeeruddy-Cziffra, Vidya Narayan a beaucoup à offrir à la nation.

En tant que juge de la Cour Suprême, Vidya Narayan a dû être discrète. Et c'est en toute discrétion qu'elle nous a aidés lorsqu'elle était à la tête de la Sex Discrimination Division. Elle a toujours pris le temps d'écouter et prendre action. Elle a été notre principale facilitatrice au sein de toutes les entreprises de presse lors de nos formations aux journalistes sur la violence basée sur le genre, le harcèlement sexuel et la discrimination sexuelle. Elle a toujours trouvé le temps parce qu'elle croit dans l'égalité et dans les droits de tous les êtres humains. Bien qu'à court de personnel au bureau de l'Ombudsperson for Children, Narayan a toujours collaboré avec Gender Links.

L'atelier de travail qu'elle a organisé en collaboration avec l'ambassade des Etats-Unis sur les femmes était incontournable et je lui serai toujours reconnaissante de m'avoir demandé de faire une présentation sur le genre et les médias. Les femmes sont trop souvent utilisées comme des objets, y compris sexuels, dans les publicités qui n'ont rien à faire avec elles. Nous avons besoin d'un plus grand nombre d'ateliers de travail de ce type qui sont révélateurs de la discrimination sexuelle dans la presse, dans les publicités et dans d'autres secteurs de la société mauricienne.

Juste après l'annonce de sa nomination, Gender Links a demandé à Vidya Narayan quelle valeur elle ajouterait à ce poste et elle a répliqué : «Ce n'est pas qui vous êtes qui importe mais le travail que vous abattez et les résultats positifs qu'il entraîne. L'image de l'institution compte beaucoup. Je suis convaincue qu'une fois que vous êtes juge, vous restez juge toute votre vie et ce sera ma contribution à la nation». Son refus de ne pas se mêler aux débats ethniques et communautaires mesquins indique bien qu'elle reste la juge qu'elle a toujours été. Félicitations pour cette décision courageuse. Quoi qu'il arrive, Vidya Narayan sera toujours gagnante !

Loga Virahsawmy est membre du conseil d'administration de Gender Links, organisation non gouvernementale de l'Afrique australe. Cet article, écrit dans le cadre de la campagne des 16 jours d'activisme contre la violence envers le genre, fait partie du service d'information de GL qui apporte des perspectives nouvelles à l'actualité quotidienne.