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Vikramsing Bhujun : «Personne ne va réduire sa marge de profits par amour pour MID»

10 juillet 2012, 11:33

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Les bâtiments représentent 40 % de la consommation énergétique de la planète. Le patron de Prodesign, qui vient de remporter le Mauritius Business Excellence Award, nous parle de son parcours, du développement spéculatif à Maurice et, surtout, de ses grandes appréhensions par rapport au Building Control Act 2012.

Votre entreprise a reçu le «Mauritius Business Excellence Award» dans la catégorie des Petites et moyennes entreprises (PME). Retournons quelques années en arrière. Comment est-ce que tout a commencé ?

J’ai créé Prodesign avec mon épouse, qui était alors ma fiancée, dès que j’ai terminé mes études à l’université de Maurice, en 1997. Je viens d’une famille modeste et j’avais seulement Rs 10 000 en poche, somme qui fut totalement absorbée par les frais de notaire. J’ai donc créé l’entreprise sans un sou.

Justement, pourquoi l’avoir créée ?

Je m’étais toujours vu comme un entrepreneur, je n’imaginais pas être un employé. Je ne le savais pas encore, mais ce qui m’attendait allait être très dur : ne pas toucher de salaire pendant des mois, emprunter de l’argent… Mais j’étais déterminé, je savais où je voulais aller et les choses ont avancé petit à petit. La plus grosse difficulté était de convaincre les clients de nous faire confiance. D’ailleurs, cette difficulté persiste en dépit de nos nombreuses réalisations.

Telles que…

L’hôpital Apollo Bramwell, l’hôpital Jeetoo, plus de 70 % des bâtiments de la cybercité. C’étaient des chantiers énormes.

Et «Prodesign» fait quoi exactement ?

Nous sommes des ingénieurs-conseils et concepteurs. En des termes simples, on conçoit tout ce qui est électricité, éclairage, climatisation, plomberie, sécurité, informatique pour les bâtiments. Pour une maison, on laisse ce travail au constructeur, mais pas pour un bâtiment c’est toute une discipline d’ingénierie. Dans notre bureau travaillent des ingénieurs électriques, ingénieurs électroniques, ingénieurs mécaniques, ingénieurs en environnement, ingénieurs mécatroniques, etc. Une fois la conception terminée, on aide nos clients à lancer les appels d’offres, à choisir un entrepreneur, on supervise les travaux, on vérifie les installations et ainsi de suite.

Comment «Prodesign» s’est-elle intéressée aux questions liées à l’efficacité énergétique?

Lorsque le secteur du Business Process Outsourcing (BPO) a commencé à émerger en 2003, on s’est tout de suite posé la question de savoir comment on pouvait y contribuer. Jene connaissais rien aux call centres, etc. Mais, je me suis quand même dit qu’on pouvait leur vendre nos services d’ingénierie. En 2004, on a eu un client anglais qui a fait appel à nous pour nos services de Computer-Aided Design (CAD). Je me suis donc intéressé de plus près à ce qui passait en Angleterre. En 2004 donc, une loi est passée qui a énormément contribué au main-streaming des bâtiments verts.

Cette législation, qui s’appelait Part L, était en fait une addition à leurs building regulations et limitait la consommation énergétique des nouvelles constructions. Les constructeurs étaient  obligés d’y adhérer s’ils voulaient obtenir un permis de construction.

Cela se passait forcément au stade de la conception…

Tout à fait, un bâtiment vert se conçoit, il ne construit pas.

Et comment mesuraient-ils la consommation énergétique ?

Ils utilisaient un logiciel, créé par le Building Research Establishment, qui simulait la consommation énergétique en prenant en compte tous les différents paramètres (matériaux, équipements, orientation, etc). Le secteur de la construction a dû s’y faire presque du jour au lendemain. Puisqu’il était gratuit, on a téléchargé ce logiciel et on s’y est familiarisé. Très vite, on a commencé à faire les simulations pour des entreprises britanniques.

Vous aviez donc un pied dans la porte depuis le début quasiment.

Exactement, et cette mouvance n’était pas limitée à l’Angleterre. Pour ma part, je pensais qu’elle débarquerait à Maurice vers 2005. Mais ce n’est que vers 2008 qu’on a pu trouver trois ingénieurs qui avaient les compétences et les connaissances en matière de green building design. Cela nous a pris presque 18 mois pour mettre au point notre maîtrise de la simulation et la programmation. Car cela ne suffi t pas de dire : je vais mettre des double-vitrages ou des panneaux photovoltaïques. Il faut pouvoir quantifier leur impact sur la consommation énergétique. Le problème c’est qu’il existe seulement sept ou huit logiciels à travers le monde qui puissent le faire et ils coûtent très cher. C’est un peu pour cela que la construction verte a tardé à décoller à Maurice.

N’empêche que notre retard dans ce secteur ne peut pas uniquement s’expliquer par la cherté de quelques logiciels. C’est aussi dû au fait qu’on a pris beaucoup de temps à mettre au point le Building Control Bill.

Vous ne trouvez pas dommage que ce projet de loi soit arrivé après que le boom de la construction a déjà déferlé sur le pays ?

En effet, le boom aurait été le moment idéal pour introduire cette loi. Jusqu’à récemment, le secteur de la construction était market-driven. Les projets seraient allés de l’avant même si le gouvernement avait imposé des normes strictes. C’est plus dur aujourd’hui. Maurice île durable (MID) aura beaucoup plus de mal dans le contexte économique actuel (sic). Les nouvelles normes du Building Control Act 2012 (promulgué le mois dernier, NdlR) vont ajouter un surcoût aux nouveaux projets de construction.

De combien ?

J’estime d’environ 20 %. La climatisation occupe une place majeure dans la consommation énergétique d’un bâtiment. Prenons un bâtiment typique dans la zone climatique 1 []la législation prévoit deux zones climatiques]. S’il est prévu que des vitrages vont occuper 25 % de sa superficie, aucun changement majeur ne sera nécessaire pour permettre au bâtiment de se conformer aux nouvelles normes. Si, par contre, il est prévu que des vitrages occupent la moitié de sa superficie, le constructeur devra limiter les gains de chaleur, grâce, par exemple, à des dispositifs pour créer de l’ombrage, ou en utilisant du verre avec une meilleure performance thermale. De cette manière, il pourra faire des économies d’énergie d’environ 45 %. Un bâtiment entièrement vitré a le potentiel de faire des économies de 70 % en termes de sa consommation énergétique liée à la climatisation, mais le coût sera significatif.

Il nous fallait un projet comme MID, c’est dommage qu’il soit arrivé sans préparation. Sans un encadrement légal adéquat, quelqu’un peut ajouter un panneau photovoltaïque sur un bâtiment de 100 000 m² et déclarer que c’est un green building. Dorénavant, cela ne suffira pas de dire qu’on est vert, il faudra pouvoir expliquer à quel point on l’est. Le problème, c’est qu’à Maurice on commence à zéro et on veut qu’on améliore drastiquement notre performance énergétique en très peu de temps. En Europe, cela s’est fait graduellement. Ce dont j’ai peur surtout, c’est que notre supply chain ne soit pas prête à répondre aux exigences de cette loi. Les fournisseurs ont profité du boom sans pour autant faire de la recherche en matière d’efficience énergétique. Ceci dit, si un bâtiment est conçu dans un esprit vert, il devrait coûter moins cher.

Justement, le gouvernement n’est-il pas obligé de pousser les opérateurs du secteur de la construction vers des techniques et matériaux plus économes en énergie, étant donné qu’ils n’ont pas su le faire par eux-mêmes ?

Si c’est ça la démarche du gouvernement, je ne pense pas que ce soit correct. Il faut reconnaître que le développement du pays ces cinq ou six dernières années est majoritairement dû à des projets spéculatifs du secteur privé. Tout ce qui est IRS, RES, bureaux, centres commerciaux, etc, sont des projets spéculatifs : les investisseurs mettent de l’argent dans ces projets en espérant qu’ils auront un retour sur leur investissement. C’est eux qui ont fait le succès économique de ces dernières années. Si le secteur avait consenti les efforts nécessaires quand le contexte était favorable, peut-être que les autorités n’auraient pas eu à imposer ces normes. Un homme d’affaires va tout faire pour maximiser ses profits, c’est évident. Oui, ces lois sont importantes parce qu’il est très peu probable que ces améliorations auraient été consenties volontairement. Mais, l’autre aspect, c’est qu’à l’heure actuelle l’économie de Maurice dépend du développement spéculatif.

Mais, n’est-ce pas là tout le problème ? D’un côté, on parle de MID et de l’autre, de développement spéculatif. N’y a-t-il pas une contradiction flagrante entre les deux ?

Si, mais ce dont j’ai peur à présent, c’est qu’avec les nouveaux coûts de la construction, les gens arrêtent d’investir. Il y a encore beaucoup de travail à faire au niveau de la consultation sur ces nouvelles normes. Telle qu’elle est, cette loi va créer pas mal de soucis pour le secteur. Ceci dit, il est indéniable qu’il faudra trouver un compromis entre les développeurs et le gouvernement.

Encore une fois, les développeurs n’ont pas joué le jeu ! Et en plus, ils crient au loup alors que les constructions sortent de terre aux quatre coins du pays.

Il faut comprendre qu’il y a un décalage d’au moins deux ans entre la conception et la réalisation d’un projet. Les projets qu’on voit aujourd’hui ont été conçus il y a trois ou quatre ans.

Ce qui peut expliquer pourquoi certains projets vont de l’avant malgré la situation économique…

Tout à fait. Le marché était là et il demandait que des projets soient mis à exécution rapidement. C’est vrai qu’ils auraient pu faire un peu mieux en termes de consommation énergétique, mais c’était difficile en raison du vide légal qui existait. Personne ne va réduire sa marge de profits par amour pour MID. Je dois cependant ajouter qu’il y a un changement de mentalité au niveau des entreprises. Beaucoup de mes clients, par exemple, sont très intéressés par le concept d’efficience énergétique et ils commencent à mettre en oeuvre des solutions. Je suis inquiet que l’application du Building Control Act va être assez pénible (sic).


Justement, c’est en général dans la mise en oeuvre des lois que le bât blesse à Maurice.  Avons-nous les compétences requises pour faire en sorte que cette nouvelle loi soit respectée ?

Les autorités sont en train de former des auditeurs, même si les cours ont pris un léger retard. Ce n’est pas ça le problème. Qui est le concepteur d’un bâtiment au niveau le plus élémentaire? Je ne parle pas d’un bureau d’études d’architectes ou d’ingénieurs. En général, c’est le contracteur. Les nouvelles normes sont prescriptives mais ne sont accompagnées d’aucun guide. On nous dit, par exemple, que les gains de chaleur d’un bâtiment ne doivent pas dépasser 40 à 45 watts par mètre carré (W/m²). Très bien, mais comment fait-on pour arriver à ce chiffre ?

Je pense que le secteur privé n’a pas été bien représenté lors des consultations. Il faudra démystifier ces normes, les expliquer aux contracteurs qui, dans bien des cas, sont simplement des maçons qui ont eu beaucoup de travail. Pour les maisons, les normes seront différentes : quelques auvents et une meilleure isolation devraient faire l’affaire. C’est avec les bâtiments commerciaux qu’il y aura des soucis au niveau des coûts de construction, de la mise en pratique des normes et de la chaîne d’approvisionnement. Il nous faudra apprendre à construire différemment.

Par rapport à la chaîne d’approvisionnement, ne pensez-vous pas que la demande stimulera l’offre ?

Oui, mais on parle de milliers de produits. Cela prendra beaucoup de temps pour concilier les deux. Et que vont faire les fournisseurs avec leurs produits existants ?

Comment l’Etat va-t-il mesurer l’efficience énergétique des nouveaux bâtiments ?

Le Building Research Establishment a été mandaté pour développer un logiciel pour les audits énergétiques. Ça, c’est pour les bâtiments existants. Un appel d’offres a été lancé pour l’élaboration d’un logiciel qui sera utilisé pour faire des simulations et déterminer si un projet respecte ou non les nouvelles normes. Tout le monde devra apprendre à l’utiliser. Le problème, c’est que le benchmark a été fixé de manière quelque peu arbitraire.

Mais, il faut absolument définir des normes, sinon tout le monde continuera à n’en faire qu’à sa tête !

Oui, mais ce benchmark va mesurer la performance énergétique des différents matériaux (blocs, vitrages, etc). En fait, le logiciel va réarranger les dessins d’architectes pour qu’ils soient conformes aux normes.

Mais, comme «Prodesign» veut construire le premier bâtiment zéro carbone à Maurice, ces normes ne devraient pas trop vous déranger.

On veut construire un zero-carbon building d’environ 2 000 m² pour montrer aux Mauriciens comment la construction verte se traduit dans la pratique. D’ailleurs, on cherche quelqu’un pour nous offrir un terrain. C’est un projet éducatif qui permettra à tout un chacun de voir à quoi ressemblent les théories dans la réalité. Ce sera une vitrine de différentes méthodes de construction verte. On veut donner une impulsion à ce secteur.

Vous faites cela par philanthropie ?

Non, on est conscient que tout competitive edge ne dure qu’un temps. Pour l’instant, Prodesign possède un edge, mais il ne durera pas éternellement. Nos compétiteurs vont se consulter en vue de nous rattraper. Ce bâtiment confirmera nos compétences. Et puis, c’est quelque chose qui me tient à cœur depuis quelques années déjà.

Propos recueillis par Nicholas RAINER
(Source : l’express iD, mardi 10 juillet 2012)

Nicholas Rainer