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Véronique Topize : «Qu’on ne déforme plus la musique de Kaya»

10 février 2014, 16:48

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Véronique Topize : «Qu’on ne déforme plus la musique de Kaya»

Pour la seconde fois depuis la disparition de Kaya, un grand concert hommage se prépare et sera présenté le 22 février au Stade Nelson Mandela à Cité Vallijee. Nous vous invitons à replonger dans les rythmes du seggae, style de musique porté au pinacle par Kaya. Quelle a été son évolution depuis 15 ans ? Réponse à plusieurs voix…

 

Azaria, reprise de l’héritage musical

 

La famille de Kaya est un témoin privilégié de l’évolution du seggae. Nombreux sont les jeunes à s’être tournés vers Véronique Topize, l’épouse du chanteur défunt pour obtenir la permission de  reprendre les titres de ce dernier. «Beaucoup de jeunes chanteurs ont voulu reprendre les compositions de Kaya. Je leur ai donné la permission quelquefois,mais à l’avenir je souhaiterais qu’on ne déforme plus ni sa musique ni ses paroles.» S’associer à Kaya représente sans doute un privilège non négligeable pour la jeune génération de musiciens qui veut se faire un nom auprès du grand public.

 

Comment voit-elle justement l’évolution de cette musique qu’elle défend ? «Mo pa enn mizisyen, me mo trouve kin enna boucou evolysyon otour lamizik seggae. Toutefois l’original reste l’original», fait-elle ressortir avant d’ajouter, «je n’ai rien contre les diverses formes qu’a adoptées le seggae. Au contraire, une musique doit évoluer. Mais pour jouer du seggae il faut un certain bagage. Il faut être inspiré».

 

S’ils sont nombreux à penser que Kaya était un prophète, il reste, pour son épouse, «un poète, un écrivain qui a fait la fierté de Maurice.» «Ek nou enkor trouv nou dan sa realite ki li tinn finn amene la. Li ti koz pou nou. Linn rakont nou zistwar. Malgré la misère ou encore les préjugés qu’il a dû subir à cause de son look, Kaya a su apprécier tout ce qu’il a fait. Après 15 ans il est temps de remettre en avant ce qu’il a fait de bon. D’ailleurs tout comme Bob Marley, sa musique ne peut disparaître.»

 

Le fils de Kaya, Azaria se lance sur les pas de son père et reprend l’héritage musical que ce dernier a quitté. Toutefois il réalise : «Mo ena ankor boucou pou apran.» Azaria explique qu’il est appelé bien souvent à reprendre les morceaux de son père lors de concerts. «J’ai aussi mes propres morceaux mais je ne suis pas encore prêt à les faire connaître.» Concernant l’évolution du seggae, Azaria reconnaît que cette musique a effectivement changé. «Les anciens compagnons de mon pèr efont encore du seggae. La sonorité a changé ; chacun y a apporté sa couleur.Je trouve que le seggae a atteint un bon niveau», soutient-il.

 

Si la spiritualité qui se dégage du seggae est souvent mise en avant par les observateurs,  Azaria, lui, préfère s’attarder sur le côté technique de cette musique. «Il faut avoir atteint un certain niveau musicalement pour pouvoir jouer du seggae. Pa tou dimoun ki ena teknik la. Il faut aussi beaucoup se documenter avant de se lancer.»

 

Si le seggae ne se fait pas souvent entendre c’est, selon Azaria, parce que «ce n’est pas tout le monde qui écoute cette musique, la plupart des gens préfèrent la techno ou encore le RnB, des musiques del’étranger.» Tout comme sa mère, Azaria pense que le seggae n’est pas appelé à disparaître mais à se transformer pour être le reflet des couleurs de notre nation arc-en-ciel.

 

 

Ras Natty Baby : « Les gens n’écoutent plus de messages » 

 

«À l’époque le reggae avait une grande importance. Kaya faisait des reprises de Bob Marley et moi j’écrivais du reggae. Nous voulions passer certains messages au public mais il nous fallait trouver une alternative au séga. C’est comme cela qu’est né le seggae, en combinant le reggae, qui est de rythme binaire, au sega qui est de rythme ternaire. La concrétisation du seggae n’a pas été facile. La paternité de cette musique revient à Kaya, moi j’en étais l’ambassadeur à Maurice, à La Réunion puis en Europe», raconte Ras NattyBaby, chanteur qui a côtoyé deprès le Roi du seggae. Lui qui aété témoin de la naissance de cettemusique voit d’un oeil critique sonévolution. «Le seggae commence à dériver de sa base. C’est une question d’idéologie. À la base le seggae était une musique contestataire. Pour comprendre cette musique, il faut avoir un certain bagage et une certaine grandeur d’esprit. Les gens ne font plus le seggae aujourd’hui avec le même état d’esprit. Aujourd’hui les musiques doivent être dansantes, commerciales. Les gens n’écoutent plus de messages. Nous sommes actuellement dans une vague d’amour. Toutes les chansons ne parlent que de ça. Mais la vie est un cercle. La roue tourne. Il va arriver un moment où les gens auront envie de nouveau d’entendre des messages.»

 

Maxime Clency Rosalba : « C’est une musique qui ne peut disparaître » 

 

Kaya a mis son groupe Racitatane sur pied dans les années 1979 –1980. Moi je l’ai connu en 1983 lorsqu’il chantait à Port-Louis. Ma vie a changé au contact de sa musique», explique MaximeRosalba, musicien de renomayant accompagné Kaya à maintes reprises. «Lorsque Kaya et son groupe ont commencé à faire du seggae, entre lui et ses musiciens il y avait une grande complicité. Ils vivaient tous ensemble. La musique qui en était issue avait une autre essence. Sur scène ils étaient mystiques. Seggae paenn zafaire a la legere sa ce enn zafaire kine vinne depi en haut ça. Tout comme lereggae le seggae est une musique à vivre. Le seggae explique la souffrance et apporte la solution.»

 

Maxime Rosalba explique que le seggae s’est également exporté. «On le retrouve à La Réunion avec le malogae et aux Seychelles avec le mouggae.» Toutefois le musicien soutient que peu de groupes arrivent de nos jours à faire résonner le seggae comme il se doit. «Il n’y a pas de travail de recherche. Saken rod zot bout. Pour faire du seggae il faut pouvoir le vivre. Si vous ne le ressentez pas dans votre vie, vous ne pourrez pas le transmettre. On ne peut pas mentir sur scène. Beaucoup ont essayé d’étouffer le seggae. Mais c’est une musique qui ne peut pas disparaître.»

 

Siva Paremamun : « Le seggae refait surface »

 

À la tête de DMS Jam, Siva Paremamun, habituel organisateur de concerts roots confie: «Le seggae a changé ma vie». Il raconte que c’est adolescent qu’il découvre Kaya et sa musique lors d’un concert au Plaza et depuis, il n’y échappe plus. «J’ai découvert le seggae d’abord, puis le reggae.Je suis la preuve vivante que la musique peut changer la destinée des gens. C’est aujourd’hui grâce à la musique notamment au reggae et au seggae que je gagne ma vie en proposant des spectacles.»

 

Proche de cette musique exaltée par Kaya et des artistes qui la côtoient, Siva Paremamun confie qu’après la mort du Roi du Seggae, les choses avaient changé. «Plusieurs groupes ont essayé defaire évoluer le seggae. Mais Kayaavait apporté un nouveau son.Dans les années 2000, on écoutait le seggae comme on écoutait une autre musique.» Personne, dit notre interlocuteur, n’avait réussi à remettre en avant cette couleur que Kaya avait amenée dans sa musique. «En 2012, c’est lorsqueRas Natty Baby refait surface quej’ai noté une résurrection du seggae.Depuis, il y a eu d’autres groupes et artistes qui proposent du seggae.En 2013 il y en a eu pas mal qui sesont fait connaître notamment Serenity Josué avec son album Seggae Konsians ainsi que le groupe Jerry & The Resistance. Il y a égalementle groupe Cool is I qui propose un bon seggae de même que le groupeNatir Chamarel. Pour moi, 2013a été comme un renouveau pourle mouvement. Seggae pe refaire sirfas

 

 

Percy Yip Tong : «Le seggae a servi à promouvoir le mauricianisme»

«Le seggae est né dans les années 80. À l’époque, Kaya n’avait même pas de guitare. Aujourd’hui nous avons toutes les facilités technologiques à notre portée pour faire de la musique», expliquePercy Yip Tong. Ce dernier aura produit les deux premiers albumsde Racitatane, groupe formépar Kaya. Ces deux opus qui ontquasiment disparu du marché depuiss’intitulent Seggae nou lamizik et Roots of seggae. «Dans les années 80 le seggae était une nouvelle musique, pas comme le séga qui avait ses assises. À l’époque, il y avait de gros producteurs sur la place mais personne ne voulait produire Kaya parce qu’il était rasta. C’est après quatre ans de galère que nous avons pu sortir Seggae noulamizik et encore ! Cet album a été enregistré dans une petite radio à l’île de La Réunion. Le son était roots. C’est pour cela que je dis toujours que c’est La Réunion qui a lancé Kaya et non Maurice», raconte Percy Yip Tong.

 

Selon lui, l’évolution du seggae n’a pas commencé à la mort de Kaya comme beaucoup de gens pourraient le penser mais bel et bien du vivant de ce dernier. «Les deux premières cassettes étaient roots par faute de moyens. Puis, avec le temps les choses ont changé, le seggae de Kaya est devenu plus pop et enfin vers la fin de sa vie, il avait proposé un seggae expérimental, c’est-à-dire un seggae fusionné à du rock et à de la musique indienne.» Pour l’ex-producteur deKaya, le seggae s’inscrit non seulementcomme une évolution musicalemais comme une évolution culturelle.

«À l’époque, le seggae avait touché les gens de toutes les communautés. Si le sega engagé a servi à pousser un parti politique, le but du seggae lui était de promouvoir le mauricianisme.» En observateur de l’évolution duseggae, Percy Yip Tong confi e avoirnoté deux courants distincts. «Il y a le ségatier de base qui fait du seggae en mêlant le séga et le reggae et il y a les rastamen et les reggamen qui proposent le reggae mixé au rythme ternaire du séga. Ce dernier est plus profond. Mais aujourd’hui c’est le séga qui est mis en avant. À l’époque c’est le seggae qui dominait.»

 

Il reconnaît également que quelques artistes se battent encore pour le seggae. «Ras Natty Baby, Ras Ninnin ou encore le groupe Cool Is I font encore le seggae. J’ai récemment découvert un nouveau groupe également, Jerry & The Resistance qui propose un seggae pas mal du tout.» La nouvelle génération qui se lancedans le seggae fait dire à Percy YipTong : «Le seggae est vivant et ne va pas disparaître, la preuve on en a même fait un cantique.»