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Thierry Malbert, de la parentalité à l?interculturalité

5 mai 2008, 00:00

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Si la famille demeure sans conteste la première instance sociale avant l?école, il est normal alors que le champ de l?éducation s?intéresse aux rôles et aux fonctions de la parentalité.

Thierry Malbert, anthropologue spécialisé à l?université de La Réunion, travaillant sur la relation entre la famille et l?école et sur l?interculturalité, part du principe que, partout dans le monde, le système social émerge directement du système de parenté. Dans sa communication, lors de la conférence internationale organisée par le Mauritius Institute of Education (MIE), il est revenu sur la place des parents dans l?éducation des enfants et sur la nécessité de l?interculturalité avant de proposer les nouvelles stratégies à adopter dans un contexte de mondialisation.

Eduquer les enfants pour leur transmettre des savoirs-faire et pour les rendre autonomes dépend de la norme culturelle. Mais aujourd?hui, c?est le rapport même entre parents et enfants qui a évolué. Dans la famille contemporaine, la descendance est peu nombreuse, l?activité professionnelle du père et de la mère a redéfini et fait évoluer le rôle de l?un et de l?autre au sein du foyer, la répartition des tâches entre les deux n?est plus toujours la même et la mère n?est plus une présence permanente. Souvent l?éducation même des enfants est assurée par une grand-mère ou par une tierce personne.

L?écart d?âge entre parents et enfants ? qui est de plus en plus important à cause des activités professionnelles qui réclament des longues études et d?où une parentalité sur le tard ? a inversé les choses. Ce ne sont plus les parents qui mènent les enfants vers la modernité, ce sont les enfants qui ramènent la modernité à la maison en enseignant aux parents les nouvelles technologies. Devant l?effet de la mondialisation sur la famille, les parents sont donc souvent dépassés par la génération contemporaine. Les regards ne vont pas dans le même sens.

Il y a donc moins d?autorité parentale et plus d?incompréhension. Tout ça conduit inévitablement à un décrochage de scolarité chez de nombreux enfants. Les difficultés relationnelles, les conflits et la violence au sein de la famille débouchent parfois sur le divorce des parents.

La solution, souligne Thierry Malbert, se trouve sans doute dans la nouvelle stratégie adoptée à La Réunion depuis une quinzaine d?années déjà. Puisque les parents ne sont pas parfaits, il faut d?abord arrêter de les culpabiliser. Il ne faut plus agir sur les parents mais? avec eux. En d?autres mots, il faut les soutenir en organisant, par exemple, des groupes de rencontre qui leur permettent d?exprimer leurs soucis. Il faut mettre l?accent sur une forme de relation collective qui leur apporte un appui, un soutien et, par la même occasion, une valorisation de leurs rôles. La relation collective entre parents développera une synergie entre eux et servira à la prévention des conduites anormales. L?objectif est, cela va de soi, de maintenir l?enfant dans la famille et non de l?en éloigner.

Il faut également, préconise-t-il, développer une logique additionnelle qui consiste, par exemple, à encourager les parents à fréquenter les écoles du soir qui apporteraient un soutien à la parentalité. Certes, à Maurice, cela nécessite la mise en place d?une série d?infrastructures. Difficile peut-être, mais pas impossible. Ailleurs, on a fait mieux : on a mis en place l?organisation des parents-relais pour assurer la médiation entre les parents et l?école. Parce que l?éducation familiale occupe une place importante, la médiation entre la famille et l?école est en voie de professionnalisation.

Puisque l?éducation de l?enfant dépend de la norme culturelle, parler de l?éducation sans parler de l?interculturel, alors même que la mondialisation accentue la mobilité de l?homme, est quasiment impossible. Outre sa communication à la conférence, Thierry Malbert a conduit un atelier sur l?interculturel avec le personnel-enseignant du MIE. L?objectif était de voir dans l?interculturel une stratégie appropriée et inévitable pour le monde pluriel qu?est le monde éducatif où se côtoient l?identique et la différence. La logique interculturaliste, sur laquelle insiste Malbert, dépasse la logique assimilatrice qui cherche à éliminer la différence en rendant l?autre identique. Elle dépasse également la logique multiculturaliste qui se limite à la juxtaposition des cultures dans une société plurielle.

A la question «quelle est la place de l?interculturel dans le milieu éducatif ?» l?anthropologue répond par cette urgente nécessité de construire très tôt des rencontres entre enfants et adolescents susceptibles de les engager sur la voie de la paix à travers le respect des différences de l?autre. Cela pour faire d?eux des adultes de demain qui seront en mesure d?éviter tout conflit communautaire et surtout la guerre. Si l?interculturalité est une notion qui, selon l?UNESCO, englobe la logique de la PAIX, elle demeure toutefois un processus dynamique, en perpétuelle reconstruction.

A Maurice, a fait remarquer Thierry Malbert, le multiculturel et sa logique renforcée siéent confortablement au sein de la société à des degrés variés. Mais cette logique tend à favoriser les conflits puisqu?elle occasionne le repli identitaire dans chaque groupe. Plus d?un seraient donc d?accord pour affirmer que notre pays est certainement en retard sur l?interculturel. Il est temps alors d?intégrer cette notion dans la société mauricienne, à commencer par son milieu éducatif. Il est temps qu?elle trouve sa place dans nos manuels scolaires. A La Réunion, cela se fait depuis 1996/ 1997. A Maurice, on retrouve la matière «citizenship and values education» uniquement dans le primaire. La pratique des travaux en groupe et des tutorats qui favoriseraient les rencontres interculturelles n?est pas suffisamment accentuée.

La question qui émerge autour de toutes ces considérations est cruciale. Sans vouloir faire de nos enfants des petits ethnologues, sans vouloir faire de la laïcité l?aboutissement nécessaire d?un processus interculturel qui supprimerait d?office les croyances religieuses et les traditions, au-delà de toutes autres considérations de ce genre, on pourrait tout simplement se demander, en tant que simple citoyen responsable de l?éducation de nos enfants, si l?échec scolaire n?est pas quelque part un appel à l?interculturalité !