Publicité

Sur la route de Qunu

15 décembre 2013, 12:25

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Sur la route de Qunu

Le village de la prime enfance de Nelson Mandela est pris d’assaut par les caméras du monde entier. La terre des ancêtres de Qunu sera la dernière demeure de l’ancien président sud-africain, dont les funérailles ont lieu ce dimanche 15 décembre. Récit de voyage, quelques jours avant l’arrivée des projecteurs…

 
Perdu au milieu des collines, dans la province d’Eastern Cape, Qunu évoque, sur les cartes postales, une vie paisible pour les 40 000 habitants de cette localité et des environs. Mais sur place, la vie semble s’être arrêtée. Dans ce village encore tribal, même si l’on ne vit pas tout à fait dans le dénuement, la pauvreté est apparente.
 
Les caméras du monde entier sont braquées sur Pretoria et Johannesburg, lundi, quand nous prenons la route du village d’enfance de Nelson Rolihlahla Mandela. Après quelques séances de tournage dans les deux plus grandes villes de l’Afrique du Sud, nous embarquons en toute hâte notre matériel pour un long périple en voiture. Il faut arriver à Qunu avant le crépuscule, afin de pouvoir saisir images et témoignages, avant de rentrer de nuit pour ne pas rater la grande cérémonie en hommage à Mandela prévue le lendemain au stade de Soweto.
 
Nous n’avions pas conscience de l’aventure que cela représentait. Le chauffeur de taxi, Msizi Mpanza, un jeune Zulu bien bâti, ne s’en doutait pas non plus. Aller à Qunu, c’est 900 kilomètres sur les grandes autoroutes sud-africaines, fréquentées par de nombreux poids lourds et des voitures sorties tout droit des usines, puis des paysages vallonnés, mille collines et montagnes d’une fascinante beauté.
 
Nous traversons Mpumalanga, les petits villages de Free State, le Kwazulu-Natal, berceau de la culture zouloue, avant de rallier la province d’Eastern Cape, qui s’appelait auparavant Transkei, un des territoires attribués aux Noirs du temps de l’apartheid. Sur la route, à Pietermaritzburg, nous croisons une rue baptisée Alan Paton, du nom de l’auteur du poignant ouvrage Cry, the Beloved Country.
 
On se dit alors que toutes ces voies que nous avons empruntées ont été, d’une manière ou d’une autre, témoins des douleurs de l’apartheid et de la longue et terrible lutte contre la ségrégation raciale, symbolisée par Nelson Mandela. Tout éloignés, tout détachés que nous avons été des acteurs et des événements qui ont bouleversé l’Afrique du Sud dans les années 90, nous ne pouvons pas ne pas écraser une larme, ne pas ressentir une émotion, ne pas nous dire que l’histoire se joue encore en ce moment. Nous sommes, nous aussi, des témoins de l’histoire.
 
Tout au long de ce voyage en taxi, qui va durer près de dix heures, Loïc tweete, filme et photographie. Pas le temps de s’ennuyer. Sur les cent derniers kilomètres, en altitude, le brouillard rend la visibilité quasi nulle. Msizi voit à peine à dix mètres devant lui. Le temps presse, il ne nous reste que quelques heures avant d’entamer le chemin du retour. Cependant, après avoir sous-estimé la distance, notre chauffeur a raté le raccourci. Transis de froid, rendus aveugles par la purée de pois, nous n’avons pas d’autre choix que de passer la nuit dans la région. Les rares hôtels ont triplé leurs tarifs en raison de l’actualité, 2000 rands la nuit alors qu’un trois étoiles à Johannesburg se négocie à 1100 rands.
 
Quand nous découvrons Qunu, très tôt le lendemain matin, la vie a l’air de s’écouler laborieusement, au rythme d’un village africain en rupture avec le développement. Des villageois assistent à un va-et-vient incessant devant la demeure des Mandela, entourée d’un discret dispositif de sécurité policier et militaire. Un garde nous demande poliment de nous éloigner de la résidence. Il est interdit de photographier les messages et les fleurs déposés devant la demeure. «Vous pouvez le faire de l’autre côté de la route avec vos zooms », insiste la sécurité.
 
De l’autre côté de la rue, en face de la résidence des Mandela, c’est 25 mètres plus loin. Une poignée d’habitants du village attend là. « Nous sommes venus chercher du travail », nous apprend Mlueti, 25 ans, au chômage depuis un an. Les préparatifs pour les funérailles seront à la mesure du personnage et les organisateurs ont besoin de beaucoup de bras pour être prêts à temps.
 
L’Afrique du Sud compte 30 % de pauvres. Et ils représentent une proportion beaucoupplus importante à Qunu, comme dans de nombreuses régions rurales. Les habitants vivent d’une agriculture d’autoconsommation et de l’élevage.
 
L’état des logements témoigne de la dureté de la vie, même si les maisons et les huttes sont aujourd’hui plus sûres face au vent et au froid qui balaient en ce moment la région.
 
Les huttes, ces constructions circulaires recouvertes d’un toit conique fait de tôle ou de chaume, renvoient à des images d’un autre temps. Elles ont un sens profond pour les Sud-Africains. «C’est la demeure des ancêtres», précise Msizi Mpanza, devenu notre traducteur et notre compagnon de route. La demeure des Mandela, clôturée et surveillée, doit aussi avoir sa hutte.
 
Selon les croyances locales, l’esprit de l’ancien président sud-africain planera sur Qunu, ce village qui l’a accueilli à l’âge de 9 ans avec son père. Ce village où comme le dit Mandela luimême dans son autobiographie, Long walk to freedom, il a passé les plus beaux moments de son enfance. Il y reposera maintenant pour l’éternité. Le monde découvre aujourd’hui que Nelson Mandela attendait ce moment. Cette phrase était prémonitoire : «When a man has done what he considers his duty, he can rest in peace.»