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Sud-Soudan : A peine né, déjà malade ?

10 juillet 2011, 00:00

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Sud-Soudan : A peine né, déjà malade ?

Le Sud-Soudan est devenu, samedi, un Etat indépendant, après des décennies de guerre civile entre le Nord et le Sud. Le quotidien français Libération lui a consacré une série d’articles. Extraits.

 La naissance de la République du Sud-Soudan samedi est-elle une bonne nouvelle ? Pour les Sud-Soudanais, assurément oui : ils ont assez souffert de l’arrogance et de la cupidité d’un pouvoir nordiste qui n’a jamais été prêt à les considérer comme des citoyens à part entière. Pour les Soudanais du Nord, assurément non : leur pays, de plus grand d’Afrique, devient un (relativement) petit pays arabe pauvre et ils vont se retrouver en tête-à-tête avec un régime d’autant plus autoritaire qu’il est affaibli.

Pour l’Afrique, l’avenir dira si la naissance d’un 54e Etat va ouvrir la boîte de Pandore des frontières héritées de la colonisation, ou si elle va mettre fin à un conflit qui a coûté la vie à 2 millions de personnes. Pour la communauté internationale, cette proclamation est un début plutôt qu’un aboutissement. En se portant garante du traité de paix de Nairobi de 2005 et de la bonne tenue du référendum d’autodétermination de janvier, elle a présidé à la naissance du 193e Etat reconnu par l’ONU. Elle se doit désormais de l’accompagner dans ses premiers pas.

Le  Sud-Soudan vient de  sorti  de vingt-deux ans de guerre civile, et depuis 2005, a connu une phase de  « capacity building » durant 6 ans (2005-2011).  Mais malgré  plusieurs centaines de millions de dollars investis par la communauté  internationale, le résultat n’est pas fameux : moins de 100 km de route goudronnée dans un pays grand comme la France 160 médecins et quelques centaines d’infirmières pour près de 9 millions d’habitants le plus fort taux de mortalité maternelle et infantile au monde 80% d’analphabétisme. Et, à côté de cela, les conteneurs loués 150 dollars la nuit aux experts en développement et traders pétroliers de passage, avec le wifi quand même.

Les caciques en profitent !

 L’argent du pétrole s’est plus transformé en villas à Nairobi pour les caciques du SPLM (Mouvement pour la libération du peuple soudanais, ndlr  du sud), fondé par feu John Garang, qu’en écoles ou en dispensaires. Ce parti, qui tire une légitimité écrasante de sa longue lutte pour l’indépendance, saura-t-il bâtir un Etat indépendant de sa structure ? Une armée indépendante de ses guérilleros ? Pas sûr : la grande majorité des 300 000 fonctionnaires embauchés ces dernières années s’apparentent plus à des clients du système SPLM qu’à des serviteurs de l’Etat à naître.

Plus grave, l’Etat-SPLM s’apparente, bien souvent, à un «Dinkaland», du nom de l’ethnie dominante et au sein du parti. «La nation existe, reste à bâtir un Etat», comme le résume de manière lapidaire un diplomate. Il faudra beaucoup de moyens, mais aussi de vigilance et d’amicales pressions, pour que voie le jour un Etat de droit en République du Sud-Soudan.
Plus qu’une reprise de la guerre avec le régime du Nord, trop affaibli pour se permettre un conflit ouvert, ce qu’il faut craindre des semaines et mois à venir, c’est la multiplication de conflits locaux internes au Sud-Soudan. Depuis le début de l’année, près de 2 000 personnes ont été tuées dans des affrontements trouvant leur origine dans des différends ethniques ou pour le contrôle de la terre.

Au Soudan du Nord également, l’avenir s’annonce sombre et incertain. Le régime de Khartoum, qui vient de s’amputer du tiers de son territoire et de la quasi-totalité de ses ressources pétrolières, n’est plus disposé au moindre compromis avec les mouvements rebelles locaux, que ce soit dans les provinces du Darfour ou du Sud-Kordofan. Là aussi, il ne faudra pas oublier le «vieux» Soudan, celui du Nord, qui fut grand lorsqu’il était aussi africain qu’arabe.

L’or noir divisé en deux

Près de 80% du pétrole soudanais se trouve au Sud, mais la seule raffinerie et le port d’exportation (et l’oléoduc qui y conduit) sont au Nord. Ces deux données résument bien la complexité de l’enjeu pétrolier. Le Soudan uni était le troisième producteur du continent africain, mais séparé, il est hémiplégique. Sans exportation, pas de recettes pour le Sud. Sans accord de transit, plus de recettes pour le Nord.

Et le Nord comme le Sud sont « pétrodépendants » à plus de 90% pour leurs recettes. Khartoum et Juba sont donc condamnés à s’entendre. Ce n’est pas encore le cas, malgré six mois de négociations acharnées. La question est d’autant plus délicate que s’y mêlent des considérations capitalistiques (à quel prix le Nord va-t-il céder ses parts dans la société nationale d’hydrocarbures au Sud ?) et financières (quelle est la part de la dette globale du Soudan qui va échoir au nouvel Etat ?).

Jusqu’à présent, chaque partie a montré ses muscles. Le Nord a menacé de fermer son oléoduc si le Sud n’offrait pas un prix satisfaisant pour le transit. Le Sud a menacé de construire un pipeline vers le port kényan de Lamu, pour évacuer son pétrole. Mais cette solution dispendieuse prendrait plusieurs années. Le Sud-Soudan, dont les réserves ne sont pas infinies (même si Total n’a pas encore véritablement exploité sa gigantesque concession), a besoin de cash rapidement.
La négociation, qui se tient sous l’égide d’un panel dirigé par l’ex-chef d’Etat sud-africain Thabo Mbeki avec l’aide de facilitateurs norvégiens, pourrait être accélérée par la Chine, qui joue un rôle majeur dans l’exploitation du pétrole soudanais et achète 70% de sa production.

Repères

Le Soudan proclame son indépendance le 1er janvier 1956. La guerre civile Nord-Sud, qui a débuté en 1955, se poursuit jusqu’en 1972. Entre-temps, soit le 25 mai 1969,  le général Gaafar al-Nimeiri, prend le pouvoir à l’issue d’un coup d’Etat, Trois ans plus tard, en 1972, la signature des accords d’Addis-Abeba met fin à la guerre Nord-Sud. Puis en 1989, nouveau coup d’Etat, cette fois  du général Omar el-Béchir, toujours au pouvoir. Le 9 janvier 2005,  les rebelles sudistes signent avec Khartoum un accord de paix, qui prévoit la fin de la charia dans le Sud et lui accorde six années d’autonomie avant un référendum sur l’indépendance. Les Nations unies déploient 10 000 hommes. Janvier 2011, le Sud-Soudan vote la sécession, à 98,83 %.Et le 9 juillet, cette partie du Soudan devient une république indépendante.

C’est la première fois que sont remises en cause en Afrique, avec l’aval de l’ONU, les frontières héritées de la colonisation. Ce nouvel Etat sera-t-il viable ou est-ce le début d’une nouvelle série de conflits ? Seul le temps nous le dira. En tout cas, le  Sud-Soudan, très pauvre et sujet aux tensions, a un long chemin à parcourir.