Publicité

Rastafarisme et esclavage : loin des conventions mais fidèles à leurs convictions

5 février 2012, 00:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Rastafarisme et esclavage : loin des conventions mais fidèles à leurs convictions

Ils célèbrent chaque année l’abolition de l’esclavage tout en se tenant à l’écart des formalités protocolaires. C’est en toute sobriété que les membres de l’Association socioculturelle Rastafari rendent hommage à leurs ancêtres. Par sens du devoir.

A quelque 500 mètres du lieu où a lieu la cérémonie annuelle organisée au Morne pour célébrer le 177ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage, une troupe de personnes se définissant comme des adeptes du rastafarisme défilent. Ils avancent lentement au rythme des percussions du nyabinghi (cantique rastafari) en direction de Trou Chenille. Où ils ont aménagé une grotte arborant un drapeau rouge jaune vert.

Ne voulant point être associés à la cérémonie protocolaire, à laquelle participent le chef du gouvernement et d’autres élus et des officiels, les quelque 100 membres de l’Association socioculturelle Rastafari préfèrent rendre hommage à leurs descendants victimes de l’esclavage en se tenant à l’écart des feux des projecteurs. « Pourquoi devrions-nous nous associer à Babylone, nous préférons rendre hommage à nos ancêtres dans notre cœur », lâche Ras Daniel sagement.

Il faut savoir que pour le mouvement rastafari, Babylone c’est le monde occidental. Les rastafaris y voient une continuation directe du pouvoir de ces empires qui dominent le monde. Pour la communauté rastafari, l’église, la politique, la police, entre autres institutions, représentent aussi Babylone.

C’est dans la brousse de Trou-Chenille que les membres de l’Association socioculturelle Rastafari se posent, tout en entonnant les « hymnes sacrées » dédiées au rastafarisme. « Hallelujah pour Jah Rastafarai. » Ils sont près d’une centaine de personnes à avoir fait le déplacement en ce jour de « délivrance », hommes femmes et enfants, et ce dans la plus grande piété. C’est en citant quelques extraits de la Bible que José Rose, président de l’association, commence son sermon. Un sermon comportant beaucoup de sagesse mais avec des accents de révolte.

Une révolte alimentée par le manque de considération des autres descendants d’esclaves. « Nous ne sommes qu’une centaine de personnes à faire ce déplacement chaque année. Il est triste de constater ce manque de mobilisation chez ces milliers de personnes qui souffrent pourtant des séquelles de l’esclavage », avance José Rose. « Nous tenons cette marche depuis 2001 et nous allons continuer vers cette même voie, car nous croyons dans une cause, ce n’est pas la foule qui compte », ajoute-t-il.

La culture rastafari qui a commencé à faire ses premières apparitions sur le sol mauricien vers les années 1970 reste aujourd’hui un mouvement incompris, souvent pointé du doigt avec son lot de clichés : dreadlocks épais, fumée des joints qui monte paresseusement en spirale.

José Rose est conscient de ces préjugés qui pèsent sur la culture à laquelle il a adhéré dans les années 2000, soit juste après les émeutes de février 1999. « C’est précisément à cette époque que cette mouvance a commencé à émerger. Nous avons démontré au pays que nous sommes bel et bien présents. De plus, il ne faut pas oublier que c’est la mort en prison d’un rasta, en l’occurrence Kaya, qui a provoqué un des plus grands événements dramatiques qu’a connu le pays depuis l’accession du pays à l’indépendance », avance-t-il.

José Rose nous explique ainsi que c’est dans cette optique que la culture rastafari est viscéralement liée à la prise de conscience et à la révolte des descendants d’esclaves ainsi qu’au rejet du joug colonial. Lors de son message à Trou-Chenille, le chanteur Ras Mayul n’a pas manqué d’attirer l’attention sur le manque de considération de l’Etat à l’égard des descendants d’esclaves.

« Maurice regorge d’espaces non habitées, mais ceux habitant les ghettos ne peuvent y avoir accès, nous sommes alors contraints d’aller squatter ou d’aller habiter les cités », s’est-il indigné.

L’Association socioculturelle Rastafari s’organise pour permettre à ses 350 membres de s’adonner à leur culte. Chaque vendredi ses membres ne manquent pas à la séance de nyabinghi à Sable-Noire, pour se livrer à des méditations autour des écrits de leurs prophètes, Leonard Howell et Marcus Garvey, entre autres. Des réflexions y sont ainsi apportées. « Les Rastas veulent vivre dans un monde meilleur et nous réfléchissons beaucoup sur comment améliorer notre vie et celle des autres tant que possible. Nous voulons avoir une influence sur le monde », explique José Rose.

2012 pourrait être le début d’une nouvelle ère pour cette communauté. En effet, depuis 2006, l’association milite pour l’obtention d’un lopin de terre afin de commencer la construction d’un tabernacle à Chamarel. Et le ministre des Terres et du Logement, Abu Kasenally, dit être disposé à discuter avec l’association à cet effet.

Voir la vidéo